Palestine : 43 réservistes israéliens dénoncent les méthodes de leur armée
Des réservistes du renseignement militaire israélien dénoncent les méthodes d’espionnage pratiquées par l’État hébreu. Et condamnent, en filigrane, la poursuite de l’occupation.
"Tout au long de l’opération, j’ai accompagné plusieurs équipes engagées dans la collecte et l’analyse de renseignements sur des cibles dans la bande de Gaza – qu’il s’agisse d’armes ou d’êtres humains. Je me souviens du silence écrasant qui régnait dans la salle où nous travaillions juste après le bombardement de ces objectifs. Et de l’espoir d’avoir causé des dommages. Dès qu’une attaque était menée, des acclamations et des applaudissements retentissaient dans la pièce. J’étais mal à l’aise : il était très difficile d’accepter que personne ne se soucie de savoir qui d’autre avait été touché. Pendant cette campagne, des centaines de civils ont été tués. Des victimes collatérales…"
Ce témoignage sans concession relate les coulisses de l’opération Plomb durci, en décembre 2008 et janvier 2009, première des trois manches de la guerre qui a opposé jusqu’ici Israël au Hamas palestinien. Les coulisses, car l’homme qui s’en fait l’écho est un ancien membre de l’unité 8200, principale branche du renseignement militaire israélien. Cette missive envoyée via un e-mail est son unique legs. Il ne souhaite ni divulguer son identité ni préciser son rôle exact avant et après le déclenchement de frappes à Gaza. En revanche, il soutient la démarche de ceux qui, comme lui, ont été traumatisés par leur mission dans l’armée et qui viennent de briser le silence.
Dans une lettre publiée le 12 septembre par le quotidien Yediot Aharonot, 43 vétérans écrivent : "Nous, anciens combattants de l’unité 8200, soldats réservistes par le passé et aujourd’hui, déclarons refuser de participer aux actions contre les Palestiniens et de continuer à servir comme outils dans l’affermissement du contrôle militaire sur les territoires occupés."
Ils dénoncent une politique d’espionnage généralisée et brutale.
Ils dénoncent une politique d’espionnage généralisée et brutale : "Il n’existe pas de distinction entre les Palestiniens, selon qu’ils sont ou non impliqués dans des violences. L’information recueillie et conservée fait du tort à des personnes innocentes. Elle est utilisée en vue d’une persécution politique et pour créer des divisions au sein de la société palestinienne."
Aucun n’a eu le courage d’être "l’Edward Snowden israélien"
Ces objecteurs de conscience font explicitement référence au recrutement d’informateurs, souvent utilisés pour faciliter les assassinats ciblés. Le message de ces 43 refuzniks se précisera quelques jours plus tard dans les colonnes du Guardian. "Si tel Palestinien a une certaine orientation sexuelle, trompe sa femme ou a besoin d’un traitement médical en Israël ou en Cisjordanie, il peut servir de cible pour du chantage", rapporte une ancienne recrue des services secrets.
Ancien de l’unité 8200, Barak Ravid, journaliste au quotidien de gauche Haaretz, déplore qu’aucun des signataires, dont les noms apparaissent floutés en bas de page, n’ait eu le courage "d’être l’"Edward Snowden israélien" et de dire à visage découvert : voilà ce qui s’est passé tel jour, à telle heure, à tel endroit". À l’évidence, les auteurs anonymes de ce courrier adressé au Premier ministre, Benyamin Netanyahou, n’ambitionnaient pas d’être les rédempteurs de la démocratie israélienne. Ils ont d’abord agi par conviction politique, "pour le bien du pays".
"Des millions de Palestiniens vivent sous le régime militaire israélien depuis plus de quarante-sept ans. Ce régime nie leurs droits fondamentaux et exproprie de larges étendues de terre au profit de colonies juives, lesquelles sont soumises à une législation différente et distincte. Cette réalité n’est pas le résultat inévitable des efforts de l’État pour se protéger, mais plutôt celui d’un choix. L’expansion des colonies n’a rien à voir avec la sécurité nationale."
D’aucuns se sont largement servis de ce qui apparaît comme un réquisitoire en règle contre l’occupation de la Cisjordanie pour tenter de discréditer l’action de ces 43 objecteurs de conscience. L’armée a ainsi utilisé leur rhétorique militante pour dénoncer une instrumentalisation du service militaire, véritable ciment de la nation, à des fins politiques. Elle tente aussi de relativiser l’impact de cette fronde : "Seuls 10 des 43 refuzniks appartiennent au cercle de décision de l’unité", assure son porte-parole, le général Motti Almoz.
Des sanctions disciplinaires
Tandis que les services de contre-espionnage israéliens du Shabak ont été chargés de faire la lumière sur cette affaire, l’armée s’apprête à prendre des sanctions disciplinaires "dures et sans équivoque" contre les auteurs de cette lettre. À l’unanimité, y compris à gauche, les responsables israéliens rejettent leur acte d’insubordination. Moshe Yaalon, ministre de la Défense, évoque une "tentative idiote et obscène de soutenir la fallacieuse campagne internationale de délégitimisation de l’État d’Israël et des soldats de Tsahal".
Dans les faits, c’est le prestige de l’armée qui est écorné. L’unité 8200, souvent comparée à la NSA américaine, est spécialisée dans la collecte, le traitement et l’analyse de signaux électroniques, ainsi que dans le déchiffrage de codes. Forte de 8 000 hommes, elle s’appuie en partie sur de grandes stations d’écoute qui interceptent des communications téléphoniques, des échanges d’e-mails et des transferts de données.
Véritable élite de la nation, les futurs officiers de l’unité 8200 sont d’abord des surdoués en informatique, généralement repérés au lycée par des représentants de l’armée venus sensibiliser les élèves au service militaire. Les formations extrêmement poussées dont ils bénéficient en font des experts en cybernétique, facilement recyclables dans la pépinière high-tech israélienne. Leur fait d’armes le plus médiatique : l’attaque au virus Stuxnet lancée en 2010 contre le système de rotation des centrifugeuses iraniennes.
Conformes aux standards occidentaux et internationaux
Le fonctionnement interne de cette unité et ses méthodes restent évidemment opaques, secret-défense oblige. "Des dilemmes moraux existent dans toute opération de collecte d’informations, reconnaît Amos Yadlin, ancien chef de l’Aman, les renseignements militaires israéliens. Mais il y a aussi des règles, une éthique, des normes de conduite qui sont respectées dans chacune de ces situations. Elles sont conformes aux standards occidentaux et internationaux."
Au sein de l’État hébreu, certaines voix interprètent autrement l’appel des refuzniks de 8200. "Il est très important de les écouter et de comprendre ce qui se tient derrière la décision inhabituelle d’un nombre si important de réservistes, explique Yossi Beilin, figure illustre de la gauche israélienne et ancien architecte des accords d’Oslo. Cet incident a ouvert à beaucoup d’Israéliens un nouveau champ de vision sur le prix que l’État hébreu paie pour la poursuite du contrôle de la Cisjordanie. Il est impossible de considérer que le problème n’existe pas." D’autres, en Occident mais aussi en Israël, estiment que les assassinats ciblés, loin de viser l’élimination d’un danger, ont au contraire pour but d’exacerber délibérément les tensions, voire d’envenimer la situation afin de provoquer des représailles de l’ennemi… et une contre-riposte israélienne, perpétuant ainsi le cycle infernal de la violence.
Ils avaient donné l’exemple
C’était il y a onze ans. Dans une lettre ouverte publiée par le journal Haaretz le 24 septembre 2003, 27 pilotes israéliens déclaraient ne plus vouloir effectuer de frappes "sur les territoires occupés, la Cisjordanie et la bande de Gaza". Alors que la seconde Intifada était à bout de souffle, ils refusaient de cautionner la politique d’assassinats ciblés dirigée contre les chefs militaires palestiniens au motif qu’ils provoquent de nombreuses victimes innocentes.
Leur démarche, qui avait déclenché une véritable onde de choc en Israël, avait été motivée par la liquidation dans des conditions dramatiques d’un haut dirigeant du Hamas, Salah Chehadeh, en juillet 2002. L’attaque, menée à l’aide d’une bombe d’une tonne, avait tué 14 civils palestiniens, dont 9 enfants.
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