Marafa Hamidou Yaya : « J’ai servi le Cameroun. J’en paie aujourd’hui le prix »

Sa chute, l’ancien ministre d’État l’avait vue venir. Marafa Hamidou Yaya a senti le vent tourner bien avant d’être arrêté. Depuis deux ans, il est le détenu le plus célèbre de Yaoundé. Mais du fond de sa cellule, il garde les yeux tournés vers l’avenir.

Marafa Hamidou Yaya à la sortie du tribunal de Yaoundé le 16 juillet 2012. © DR

Marafa Hamidou Yaya à la sortie du tribunal de Yaoundé le 16 juillet 2012. © DR

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Publié le 6 octobre 2014 Lecture : 7 minutes.

Cet homme est le masque de fer le plus célèbre du Cameroun. À 62 ans, Marafa Hamidou Yaya, ancien secrétaire général de la présidence et ex-ministre d’État chargé de l’Administration territoriale, survit depuis deux ans et demi dans une cellule du secrétariat d’État à la Défense de Yaoundé.

Ce qui fait de lui une personnalité beaucoup plus populaire aujourd’hui qu’il ne l’était lors de son arrestation n’est pas tant le fait qu’il clame son innocence – il n’est pas le seul, parmi les détenus de l’opération Épervier -, mais qu’il ait préféré faire face à la justice alors qu’il aurait eu l’occasion de fuir, ainsi que la qualité de sa production intellectuelle distillée sous forme de lettres ouvertes aux Camerounais, sorties clandestinement de prison et lues avec avidité.

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Nombreux sont ceux qui, au Cameroun et au sein de la diaspora, admirent la résilience de ce grand baron peul de Garoua, condamné à vingt-cinq ans de réclusion pour "complicité intellectuelle de détournement", même s’ils sont bien rares à avoir le courage de le dire publiquement.

Qu’il soit ou non reconnu comme un embastillé de conscience victime d’une lettre de cachet importe finalement assez peu : alors que ses proches attendent sans illusions excessives le résultat de son pourvoi en cassation, Marafa continue de s’exprimer dès qu’il le peut sans rien renier de ses convictions, quitte à renforcer la détermination de ceux pour qui ses ambitions à peine voilées représentent un danger absolu. L’entretien qui suit a été recueilli par correspondance, sans autre but, on l’aura deviné, que de contribuer au débat sur le présent et l’avenir d’un pays qui, plus que jamais, doute de lui-même.

Jeune Afrique : Vous avez été hospitalisé à deux reprises à Yaoundé. Comment allez-vous ?

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Marafa Hamidou Yaya : Intellectuellement et mentalement, je vais bien, mais j’ai des problèmes respiratoires et ophtalmologiques qui s’aggravent. Mon état n’est pas compatible avec une incarcération, et les autorités le savent parfaitement. Cela dit, j’avais hâte de quitter l’hôpital, parce que ma seule présence perturbait les autres patients et le personnel. À chacun de mes séjours, l’établissement se transforme en forteresse, avec une cinquantaine de soldats armés jusqu’aux dents qui patrouillent dans les couloirs et sur les toits !

À quoi occupez-vous vos journées en prison ? Je réfléchis et je travaille. Je demande aux rares personnes autorisées à me rendre visite de me résumer ce qui est dit dans les journaux, puisque la presse m’est interdite.

Avant même d’être exclu du gouvernement, j’avais dit que l’opération Épervier était une campagne d’épuration politique à laquelle je n’échapperais sans doute pas.

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Vous avez aussi écrit un livre. Comment est-ce possible ?

Ce livre, Le Choix de l’action, était en grande partie achevé quand j’ai été arrêté. C’est un projet que j’avais gardé confidentiel ; très peu de personnes étaient au courant.

Aviez-vous compris, quand vous avez été limogé du ministère de l’Administration territoriale, que vous finiriez par être arrêté ?

J’avais conscience que c’était une possibilité avant même d’être exclu du gouvernement. N’avais-je pas dit à l’ambassadrice des États-Unis, Janet Garvey – et le contenu de cette conversation a été révélée par WikiLeaks -, que l’opération Épervier était une campagne d’épuration politique à laquelle je n’échapperais sans doute pas ?

Pourquoi ne pas avoir tenté de quitter le pays ?

Beaucoup me l’ont conseillé, y compris à des niveaux insoupçonnés de l’État, mais je n’ai pas été tenté une seule seconde, parce que j’ai toujours servi mon pays avec droiture et que je n’ai rien à me reprocher. Je n’avais aucune raison de fuir, mais toutes les raisons de rester pour m’expliquer publiquement sur mon rôle dans l’affaire de l’avion présidentiel.

De ce point de vue, le procès a été une bonne chose : les juges ont reconnu que je n’avais pas détourné ou reçu la moindre somme. Cela ne les a pas empêchés de me condamner à vingt-cinq ans de prison pour "complicité intellectuelle de détournement". Mais tout le monde sait que je suis innocent et que je suis un prisonnier politique.

Regrettez-vous d’avoir fait confiance à la justice ?

Non. J’ai été condamné à tort par des juges sous pression.

Ne valait-il pas mieux, puisque vous espérez succéder à Paul Biya, que vous soyez libre de vos mouvements ?

C’est vous qui dites que je suis candidat ! Pour l’instant, je suis seulement porteur d’un projet de développement, de paix et d’équité qui s’appelle la Société de confiance. Le moment venu, c’est le peuple qui dira qui doit lui donner réalité. Par ailleurs, du fait de ma situation, ma voix s’est libérée. Je ne suis plus tenu à aucune solidarité gouvernementale. Je m’exprime en toute indépendance, en homme qui assume son passé.

Selon certaines informations, Boko Haram recrute dans le nord du Cameroun. Cela vous semble-t-il possible ?

Comment pourrait-il en être autrement ? Si les jihadistes du Moyen-Orient parviennent à recruter en Occident, pourquoi les islamistes nigérians ne recruteraient-ils pas dans leur voisinage immédiat, dans un contexte de pauvreté et de désespoir ? Nous devons porter une attention particulière à ces jeunes qui sont tombés dans le piège de l’extrémisme. Ils ont appris le maniement des armes, ils ont peut-être tué. Que fera-t-on d’eux quand ils reviendront au pays ?

Quelle est la situation dans le Nord, là où progresse Boko Haram ?

Ces régions, comme celles qui jouxtent la frontière avec la Centrafrique, ont été laissées à l’abandon ces trente dernières années. Aucun projet économique d’envergure n’y a vu le jour. Il y a des différences, bien sûr, et la situation n’est pas la même dans l’Adamaoua, qui est de plus en plus reliée au reste du Cameroun, que dans le Nord ou l’Extrême-Nord.

Le Nord est une région qui pourrait être très riche, mais l’État n’exploite pas ce potentiel. L’Extrême-Nord, enfin, est la région la plus peuplée du pays, mais elle est complètement abandonnée à elle-même. Elle subit les affres de la sécheresse, des inondations, de la famine, des épidémies et d’un déficit de scolarisation… Pas étonnant que les jeunes soient sensibles aux sirènes de Boko Haram.

Certains journaux vous ont accusé de fomenter une rébellion dans ces zones…

C’est faux. Cela fait plus de quinze ans que le nord du Cameroun est à la merci des coupeurs de route et des bandits. La tuerie de Kolofata, fin juillet, et l’enlèvement de l’épouse du vice-Premier ministre, du lamido de Kolofata et de sa femme nous mettent face à notre incapacité à assurer la sécurité dans la région.

Alors que fait le pouvoir ? Il cherche des boucs émissaires. Il veut faire croire que notre modèle social et économique est si solide que l’islamisme radical ne peut s’y enraciner, que nos frontières sont si sûres que Boko Haram n’osera les franchir ! Mais la rébellion du Nord est un fantasme.

Où en est l’affaire qui vous oppose à l’État du Cameroun et pour laquelle vous avez été condamné ?

J’ai formé un pourvoi contre ma condamnation et j’attends depuis deux ans, au lieu des six mois prévus par la loi, que la saisine soit vidée. Je rappelle que, après ma condamnation, mon successeur au secrétariat général de la présidence [Jean-Marie Atangana Mebara] a été condamné pour avoir détourné la somme que j’étais supposé avoir dérobée !

Je rappelle aussi qu’un an après ma condamnation, l’avocat de l’État du Cameroun a tenu une conférence de presse à Yaoundé, au cours de laquelle il a reconnu que le litige portant sur l’acquisition de l’avion présidentiel avait fait l’objet d’un accord validé par la justice américaine. Cet accord a consacré l’indemnisation de l’État du Cameroun et a établi la renonciation par ce dernier à toutes poursuites et réclamations ultérieures relativement aux mêmes faits !

Votre assistante, Christiane Soppo, a été assassinée en janvier. Où en est l’enquête ?

Un Rwandais, réfugié au Cameroun, aurait été arrêté. Mais je maintiens que ce meurtre est un odieux assassinat politique. Le pouvoir s’honorerait à traduire les vrais meurtriers devant la justice, mais il n’osera pas le faire. L’enquête de votre journal sur la disparition de l’opposant Guérandi Mbara (lire J.A. no 2801) accrédite l’idée que des groupes d’individus forment des tribunaux occultes, rendent une justice parallèle dans le seul dessein de satisfaire des ambitions et des intérêts privés.

Vous avez écrit, dans une lettre ouverte au chef de l’État, que vous craignez pour votre sécurité. Est-ce toujours vrai ?

Pourquoi croyez-vous que l’on m’accuse de préparer une rébellion ? Mon emprisonnement ne suffit pas. Il faut me faire taire définitivement. Mon assistante a été tuée à coups de machette. Un ancien opposant au régime a disparu. Les avertissements sont clairs pour tous.

Vous avez été membre du gouvernement pendant près de deux décennies. Avez-vous des regrets ?

Je l’ai dit, j’assume mon passé. Au public de porter un jugement sur mon bilan, mais je suis convaincu qu’il me reconnaîtra au moins deux choses : la première, c’est que j’ai toujours eu pour seul guide l’intérêt général. Je n’ai pas servi le régime, j’ai servi le pays. La seconde, c’est d’avoir eu le courage de m’exposer, de contribuer à ma mesure à faire avancer le Cameroun, serait-ce sous l’autorité d’un président qui a fini par décevoir le pays. J’en paie le prix aujourd’hui.

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François Soudan et Georges Dougueli

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