Maroc : « L’héritage des femmes », un livre pour relancer le débat sur l’égalité hommes-femmes en matière de succession
L’héritage des femmes est un ouvrage collectif sur la question de l’inégalité dans l’héritage entre hommes et femmes. Paru fin avril au Maroc, il a l’ambition de rouvrir le débat et le maintenir en vie jusqu’à ce que des évolutions sur la question soient mises en place.
Son titre a le mérité de la clarté : L’héritage des femmes. Cet ouvrage collectif est sorti en français et en arabe au Maroc à la fin avril, en pleine polémique autour de la question de l’inégalité dans l’héritage entre hommes et femmes. L’un de ses auteurs, Abou Hafs, de son vrai nom Mohammed Abdelwahab Rafiqi, est un ancien cheikh jihadiste et un ex-prisonnier repenti, qui a rouvert le débat, tabou, sur un plateau de la chaîne 2M le 16 avril.
Le but du livre est bien de mêler les approches au sujet de l’héritage, selon Siham Benchekroun, psychologue casablancaise et initiatrice du projet. Ainsi, les regards théologiques de Rafiqi ou de l’imam de Bordeaux d’origine marocaine Tareq Oubrou, côtoient les points de vue de juristes, de sociologues ou de politologues. Parmi eux, Mohammed Mouaqit, professeur à l’université Hassan II de Casablanca, Jamal Khalil, professeur de sociologie dans la même institution, ou encore Merieme Yafout, docteure en sciences politiques à l’Université de Lausanne.
Chaque auteur met à profit son expérience et sa connaissance pour traiter de la problématique. Ainsi, Jamal Khalil dresse un constat, plus qu’il ne délivre des solutions. Mais c’est dans l’analyse des dynamiques, sans doute, que résident les pistes de réforme. Le sociologue remarque ainsi que souvent, « l’inégalité est admise par les femmes afin d’éviter les conflits avec les frères ». Il note aussi que lorsque le contrat tacite qui lie les sœurs aux frères, entre autorité et protection, cesse, alors des femmes osent franchir le pas et remettre en question la préséance traditionnelle. Tareq Oubrou, de son côté, indique les possibilités religieuses qu’offre le Coran pour induire des changements, tant dans la loi que dans les mentalités, en matière d’héritage.
Le droit marocain reconnait depuis longtemps la participation de la femme à la vie économique
Mohammed Abdelwahab Rafiqi se charge de la question de la tradition islamique et Ahmed Ghazali, juriste, en fait autant en matière de droit positif. Ce dernier propose d’ailleurs une compréhension éclairante de la question : il rappelle que le droit marocain reconnait depuis longtemps la participation de la femme à la vie économique et valorise cette participation. Il en veut pour preuve le cheminement de la jurisprudence coutumière, qui n’a cessé d’élargir les droits des veuves notamment.
Un débat souvent confus
L’ouvrage se veut militant. Dès l’introduction, les auteurs expliquent leur démarche : ils écrivent pour se confronter aux arguments les plus souvent opposés à l’égalité dans l’héritage : « ceux qui débattent de l’héritage sont arrivistes » ou « l’égalité dans l’héritage n’a pas de justification religieuse »…
Si Siham Benchekroun s’est lancée dans cette aventure, allant chercher auprès de mécènes l’argent nécessaire à la parution, c’est qu’elle-même, en tant que psychologue, reçoit de nombreuses femmes marquées par l’expérience de l’inégalité. La praticienne ne cache pas que le − long − travail qu’a nécessité la parution de L’héritage des femmes est à la hauteur de son ambition : marquer suffisamment fort les principaux acteurs du débat pour s’assurer qu’il ne se refermera pas.
En 2015, le débat sur l’égalité hommes-femmes dans l’héritage s’est perdu
Car les partisans de l’égalité dans l’héritage conservent un souvenir amer : en octobre 2015, le Conseil national des droits de l’Homme, instance constitutionnelle, publie un rapport favorable à l’égalité entre hommes et femmes dans l’héritage. Plusieurs partis, le Mouvement populaire, l’Istiqlal, le Parti justice et développement, s’opposent alors fermement à l’idée. D’autres, parmi lesquels l’Union socialiste des forces populaires, soutiennent l’initiative. Mais de petites piques en déclarations d’intention, le débat de société se perd. L’ouvrage remarque que le débat autour de l’héritage est, du reste, le plus souvent confus.
Mais cette fois, c’est la bonne espèrent les auteurs, assez nombreux et éclectiques pour pouvoir, chacun de leur côté et dans des réseaux tout à fait différents les uns des autres, toucher un maximum de monde. Siham Benchekroun de son côté promet une version anglaise du titre pour assurer une couverture internationale rapide.
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