En Tunisie, une journée de la liberté de la presse sous tension

De « sérieuses menaces » pèsent toujours sur les journalistes tunisiens, six ans après la fin du régime de Ben Ali, alerte la profession. À l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, proclamée le 3 mai, plusieurs associations dénoncent un recul de la liberté d’expression dans le pays.

Des jeunes filles devant des exemplaires de journaux à Tunis en 2011. © Christophe Ena/AP/SIPA

Des jeunes filles devant des exemplaires de journaux à Tunis en 2011. © Christophe Ena/AP/SIPA

Publié le 3 mai 2017 Lecture : 3 minutes.

« Il ne peut y avoir de démocratie sans liberté de la presse », a affirmé mercredi Néji Bghouri, le président du Syndicat des journalistes tunisiens (SNJT). Présentant le rapport annuel du syndicat en conférence de presse, il a dénoncé un harcèlement judiciaire à l’encontre de certains journalistes ainsi que des tentatives de mainmise sur les médias.

Selon ce rapport, plus de 180 cas de « licenciements abusifs » de journalistes ont été enregistrés en 2016.

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Pression gouvernementale

« Le gouvernement tunisien n’a eu de cesse ces dernières semaines de resserrer l’étau sur la presse », affirme par ailleurs un collectif d’ONG dans un communiqué publié la veille.

Les 25 organisations signataires, dont Reporters sans frontières (RSF) et le SNJT, expliquent cela par un retard dans la « mise en oeuvre de la loi sur l’accès à l’information » ou encore la « nouvelle campagne de diffamation » de certains médias et partis contre la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica).

C’est la première fois depuis la chute de la dictature (…) qu’un journal est interdit de la sorte

À ce sujet, elles se disent « profondément préoccupées » par un projet de loi gouvernemental prévoyant la création d’une « Instance de régulation de la communication audiovisuelle » (ICA) limitée dans ses « prérogatives » et son « indépendance ».

Le collectif déplore également la récente saisie d’une petite parution hebdomadaire, à la faveur de l’état d’urgence en vigueur dans le pays depuis plus d’un an et demi. « C’est la première fois depuis la chute de la dictature (…) qu’un journal est interdit de la sorte », s’inquiètent ces ONG.

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Interrogé par l’AFP lors de cette saisie, le président du SNJT, Néjib Bghouri, avait en outre dénoncé de récentes nominations « d’anciens du RCD (le Rassemblement constitutionnel démocratique, ex-parti de Zine el Abidine Ben Ali) à des postes de responsabilité au sein des médias publics », « sans appel à candidatures, compétence ou projet ». « Il n’y a qu’une explication, c’est la volonté d’imposer leur volonté (…) sur le contenu de ces médias », avait-il avancé.

Le journaliste tunisien Zied El Héni a quant à lui mis en garde, dans une déclaration à l’agence TAP, contre un retour de l’ingérence des responsables politiques dans les lignes éditoriales et l’influence de « l’argent sale » qui « devient manifeste dans le secteur des médias et ne se limite plus aux domaines politique, parlementaire et économique ».

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Conflits d’intérêts

Bien que la révolution de 2011 ait amené avec elle la liberté d’expression, « la persistance de l’autocensure et des conflits d’intérêts au sein des médias » n’a pas permis « la consolidation d’une presse libre », a déploré RSF dans son rapport annuel. Classée 97e mondiale, la Tunisie a perdu une place depuis 2016 mais reste en tête des pays d’Afrique du nord.

Le rôle des médias en situation de transition démocratique est plus que déterminant

Intervenant le 3 mai lors de la conférence Pays en crise et liberté de la presse – réunissant des journalistes tunisiens, yéménites, libyens et irakiens à Tunis -, Larbi Chouikha, professeur universitaire en sciences de l’information et de la communication, a rappelé la nécessité d’une transparence à la fois éditoriale et financière des médias. L’argent de source politique ou religieuse « ne fait que compromettre la crédibilité des médias », a-t-il souligné.

« Le rôle des médias en situation de transition démocratique est plus que déterminant. Il peut conduire la transition à l’échec, tout comme il peut contribuer à sa réussite », a-t-il ajouté, déplorant un manque de rigueur professionnelle de la part de certains médias tunisiens.

La distinction entre information et opinion doit aussi être appliquée par les journalistes, au risque d’entacher la liberté de la presse et le métier même de journaliste, précise Larbi Chouikha.

Malgré ces mises en garde, la SNJT a aussi profité de cette journée pour saluer des avancées notables en Tunisie dans le secteur des médias, parmi lesquelles la création d’un Conseil de la Presse pour lutter contre les « dérives » journalistiques, ou encore un projet de convention pour l’identification d’un cadre juridique garantissant les droits matériels des journalistes.

La Tunisie a également été choisie pour accueillir le prochain congrès de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), prévu en 2019.

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