Nigeria : le pétrole, un espoir de développement étouffé par Boko Haram
Le pétrole découvert dans le nord-est du Nigeria pourrait apporter à cette région défavorisée le développement dont elle a un besoin vital, mais la rébellion du groupe islamiste Boko Haram empêche son exploitation.
Tous les experts le disent, et le pouvoir nigérian le reconnaît, pour sortir de cet interminable conflit, la riposte militaire ne suffit pas. Pour éviter que les jeunes se tournent vers l’islamisme radical et rejoignent les rangs de la rébellion, il faut leur offrir des perspectives.
Mais le conflit — qui a fait plus de 10.000 morts et 700.000 déplacés en cinq ans — empêche toute initiative de développement économique et social dans la région, et bloque en particulier l’exploitation des ressources pétrolières découvertes sous le bassin du lac Tchad. Les explorations menées dans l’Etat de Borno en 2012 laissent espérer des réserves atteignant jusqu’à trois milliards de barils de pétrole, de quoi transformer l’économie de la région.
A condition que ces ressources soient bien utilisées, contrairement à ce qui a été fait dans la région pétrolifère du Delta, au sud-est du Nigeria, qui n’a que très peu bénéficié des retombées financières de l’or noir. Selon l’ancien patron de la compagnie pétrolière nationale nigériane (NNPC), Andrew Yakubu, les projets pour débuter la production de pétrole ont été gelés à cause du conflit.
Ces derniers mois, Boko Haram s’est emparé de nombreuses villes et de pans entiers de territoires dans l’Etat de Borno, qui borde le lac Tchad, multipliant massacres et exactions contre la population. Devant le danger, les géologues, les ingénieurs et tout le personnel technique ont quitté la région.
"Nous avons conseillé à nos membres d’éviter la région du Nord-Est parce que nous ne voulons pas qu’ils soient tués", a expliqué Babatunde Oke, un responsable du syndicat des employés du pétrole, le Pengassan. Un haut responsable de la NNPC a assuré à l’AFP que des actions étaient en cours pour sécuriser les sites pétroliers contre les attaques rebelles, mais il a reconnu que "pour le moment, le projet est au point mort à cause des violences de Boko Haram".
Pour l’ancien gouverneur de la banque centrale nigériane, Lamido Sanusi, un personnage respecté devenu un des plus hauts dignitaires musulmans du pays en tant qu’émir de Kano, il est pourtant crucial d’investir dans le nord du Nigeria pour stopper le mouvement de radicalisation.
"Une bénédiction, non une malédiction"
L’argent du pétrole pourrait servir à réduire la pauvreté, le chômage et les carences du système éducatif, autant de facteurs qui permettent aux islamistes radicaux de recruter largement parmi une jeunesse sans espoir, estime Mustapha Ibrahim, professeur de sciences politiques à l’Université d’Etat de Yobe.
"Nous devons nous occuper de ce malaise social pour résoudre le problème Boko Haram, et c’est possible si nous faisons bon usage de l’argent du pétrole du bassin du Tchad, quand la production commencera", insiste-t-il. "On pourra lancer des programmes économiques et sociaux qui seront efficaces sur le long terme pour lutter contre Boko Haram". Encore faudra-t-il — à condition que le conflit prenne fin — tirer les leçons des erreurs commises dans la région du Delta, d’où sortent près de deux millions de barils de pétrole par jour, faisant du Nigeria le premier producteur d’Afrique.
En raison de la mauvaise gestion et de la corruption généralisée autour de la manne pétrolière, les populations du Delta n’ont quasiment pas profité des retombées financières. Au contraire, la région a plongé dans des décennies de violences, avec des attaques répétées contre les installations pétrolières et les personnels des compagnies, mêlant banditisme et revendications politiques de groupes rebelles exigeant une meilleure redistribution des richesses.
La situation a été apaisée depuis quelques années, gouvernement et compagnies ayant finalement accordé de larges concessions. Le Delta a en outre été terriblement souillé par la pollution liée à la production de pétrole, par des majors internationales peu soucieuses du respect de l’environnement.
"Le pétrole doit être une bénédiction et non une malédiction", plaide Debo Adeniran, de l’ONG Coalition contre la corruption des leaders. "Il faut tout faire pour éviter ce fléau" du détournement des ressources. Seule la bonne gouvernance permettra de venir à bout de l’insurrection de Boko Haram, et c’est un important défi à relever pour le Nigeria, estime le professeur Ibrahim.
"Si on n’y arrive pas, le conflit avec Boko Haram ne se terminera jamais. Même si ce groupe est vaincu (militairement), une autre insurrection éclatera dans quelques années avec les mêmes causes", avertit le professeur.
(AFP)
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