Maroc : « Les immolations instaurent une réelle pression sur les administrations »
Le nombre d’immolations par le feu et de tentatives d’immolations ne recule pas au Maroc. Bien au contraire. Selon le décryptage qu’en propose le sociologue Abderrahmane Rachik, cet acte d’une rare violence est devenu avec le temps un moyen répandu de contester les décisions et l’autorité de l’administration.
Un jeune homme, stagiaire d’un centre de formation professionnelle, a tenté de s’immoler par le feu à Casablanca mardi 2 mai, à cause d’un litige avec l’administration du centre en question. Selon la presse marocaine, qui a relayé la nouvelle, une enquête a été ouverte par le parquet tandis que le jeune homme a été pris en charge par l’hôpital.
Ce n’est pas la première tentative d’immolation recensée depuis le début de l’année 2017. En mars dernier, un lycéen s’était déjà immolé par le feu après s’être opposé à l’administration de son établissement scolaire. En 2016, plusieurs dizaines de tentatives d’immolation par le feu ont été observées dans le pays : un imam à qui l’on avait retiré la gestion d’une mosquée, une femme violée, plusieurs étudiants…
Le cas d’une vendeuse ambulante ayant trouvé la mort ainsi suite à une altercation avec des représentants des autorités avait notamment secoué l’opinion publique.
Une pratique qui s’est féminisée
Le sociologue Abderrahmane Rachik, enseignant à l’université Hassan II à Casablanca et spécialiste des mouvements sociaux au Maroc, remarque des constantes dans la pratique, plutôt urbaine. « La quasi-totalité des tentatives d’immolation par le feu renvoient à des cas de contestation des pouvoirs publics », explique-t-il.
Selon le chercheur, le phénomène, né aux alentours de l’année 2000 et qui connaît depuis une augmentation constante, a d’abord été le fait de « personnes fragilisées » : les diplômés au chômage et les non-voyants ont été les premiers à oser ce terrible geste. Puis l’acte s’est répandu aux ferrachas, les vendeurs ambulants, notamment.
En 2011, la médiatisation de l’acte désespéré du tunisien Mohamed Bouazizi accélère encore la diffusion de la pratique. Paradoxalement, aujourd’hui la pratique n’est plus seulement le fait de personnes engagées, membres d’un réseau ou d’un mouvement contestataire ; désormais elle survient surtout au sein d’une population qui ne trouve plus d’autres moyens de s’exprimer.
La pratique, initialement plutôt masculine s’est féminisée avec le temps
Et aujourd’hui, fonctionnaires et militants associatifs pointent la facilité presque désarmante avec laquelle des citoyens se sentant démunis, brimés ou privés d’un droit, menacent de s’immoler par le feu ou passent à l’acte. On peut estimer à une dizaine le nombre de tentatives d’immolation chaque année au Maroc, selon le chercheur et plusieurs associatifs.
Ils signalent aussi que la pratique, initialement plutôt masculine s’est féminisée avec le temps, et que si au départ elle était répandue avant tout chez les jeunes, elle a désormais franchi la barrière des âges. De quoi inquiéter.
Des immolations toujours plus spectaculaires
« Cas après cas, cela crée une forme extrême de contestation collective », remarque encore Abderrahmane Rachik « et cela instaure une réelle pression sur les administrations. » L’absence de modalités de recours dans les administrations et les défis auxquels font face les services publics peuvent donc expliquer en partie le fait qu’on observe de plus en plus d’immolation selon le sociologue. Celui-ci en profite pour rappeler la défiance généralisée des citoyens envers les autorités.
Par ailleurs, il remarque que les actes sont toujours plus spectaculaires : « À la naissance du phénomène, certains tentaient de s’immoler ou de s’infliger des blessures dans une relative discrétion. Aujourd’hui, les actes ont souvent lieu dans l’administration même où le conflit est né. » L’immolation permettrait ainsi de briser le silence dont certains citoyens se sentent victimes.
Et Abderrahmane Rachik de souligner la violence symbolique du geste : « Cela sous-entend qu’il n’y a aucune solution, plus rien. C’est une sorte d’aveu d’échec, d’impuissance dans la violence. »
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