Mohamed Talbi est mort, son combat continue
Il n’a jamais rien cédé. Ni aux islamistes, ni aux fondamentalistes, ni à Zine el-Abidine Ben Ali. Seule la mort aura eu raison de son indépendance d’esprit et de sa détermination.
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 9 mai 2017 Lecture : 3 minutes.
Mohamed Talbi, 95 ans, nous a quittés le 1er mai. Étrange que, hors de sa Tunisie natale, on parle aussi peu de la disparition de l’un des plus éminents intellectuels du monde arabo-musulman, véritable fanal au milieu d’un océan d’obscurantisme où s’affrontent les extrémismes de tout bord.
D’un côté les islamophobes occidentaux, qui confondent allègrement musulmans et islamistes, piété et radicalisme, voile et burqa. Et, de l’autre, les « fous de Dieu » du Maghreb et du Moyen-Orient, qui pensent que l’islam est leur propriété exclusive et entendent imposer à tout prix, fût-ce celui du sang, leur vision moyenâgeuse de la société et du monde.
Penseur, historien et auteur fécond, Talbi a consacré sa vie entière à la défense d’un islam ouvert, où le respect de l’autre est une valeur fondamentale. Rien ne l’horripilait davantage que le passéisme, le wahhabisme, le refus du changement et de la modernité, les entorses à la liberté de penser. Avec science, il s’est attaché à démonter les habituels poncifs, qui, bien sûr, ne sont la plupart du temps que des inventions humaines : la charia, la polygamie, la lapidation, la violence prétendument inhérente à cette religion et même le voile… Jusqu’à son dernier souffle, il a tenté de promouvoir l’adaptation à la modernité, la quête du meilleur, l’intelligence et le dialogue entre les religions.
Un homme rare, donc, surtout dans ce monde arabo-musulman engoncé dans un conservatisme pavlovien. Ses textes et, plus largement, son discours doivent, en ces temps troublés, être relus et largement diffusés. Les médias, tous les médias, doivent apporter leur écot à cette mission, même s’ils préfèrent souvent le buzz, l’événement qui choque ou provoque la peur et le repli. Même s’ils tendent plus volontiers leurs micros à des personnages qui n’ont généralement rien, ou si peu, à dire.
Un combat pour la renaissance du monde arabo-musulman
Mis à l’index en Occident, le monde arabo-musulman est, par calcul, paresse ou ignorance, la cible de tous les clichés, de tous les amalgames. Il n’en est pas moins confronté à un immense défi : mener à bien une révolution copernicienne pour redevenir ce qu’il fut, il y a des siècles, et dont seuls les livres d’histoire conservent la trace. Car cette terre fut jadis « éclairée ». La quête de la modernité et le réformisme y étaient méthodiquement favorisés. Nous en sommes loin en ce début de XXIe siècle !
Le constat est en effet affligeant. Les moyens alloués à l’éducation (comme à l’innovation, et à la recherche) sont ridicules, ce qui en dit long sur le niveau – ou les misérables desseins – de ses dirigeants. Les femmes sont considérées comme des sous-citoyennes et cantonnées, dans le meilleur des cas, à leur rôle de mère. L’intolérance règne ; les libertés individuelles et l’État de droit demeurent embryonnaires ; la démocratie et la laïcité sont une chimère.
Son combat doit être coûte que coûte poursuivi, amplifié, partagé
Qu’en est-il de l’effort d’interprétation de textes religieux qui régissent pourtant, au-delà du raisonnable, la vie de millions d’êtres humains ? Il est absent ou inaudible. À la place, on voit surgir des monstres : Al-Qaïda, Daesh et consorts. Le mal est profond, et ceux qui tentent de le guérir ne courent pas les rues. Nous sommes nombreux à regretter le manque d’implication d’une majorité silencieuse qui rejette pourtant le fanatisme. Et le mutisme des autorités morales et des élites.
Mohamed Talbi a consacré sa vie à ce combat pour la renaissance du monde arabo-musulman, avec tous les risques, y compris physiques, qu’il implique. Ce combat doit être coûte que coûte poursuivi, amplifié, partagé.
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