Côte d’Ivoire : pourquoi le projet de loi sur la presse fait débat

En préparation depuis les états généraux de la presse en 2012, et validé en Conseil des ministres la même année, le projet de loi portant régime juridique de la presse a été adopté par la commission des affaires générales et institutionnelles vendredi dernier. Le texte doit désormais être discuté en plénière le 31 mai.

Une femme devant un kiosque à journaux, le 26 octobre 2015 à Abidjan, en Côte d’Ivoire (photo d’illustration). © Schalk van Zuydam/AP/SIPA

Une femme devant un kiosque à journaux, le 26 octobre 2015 à Abidjan, en Côte d’Ivoire (photo d’illustration). © Schalk van Zuydam/AP/SIPA

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Publié le 10 mai 2017 Lecture : 4 minutes.

Les points du projet de loi les plus critiqués par les professionnels des médias en Côte d’Ivoire sont contenus dans le chapitre I du titre XII, intitulé Infractions commises par voie de presse ou par moyen de publication.

« La garde à vue, la détention préventive et la peine d’emprisonnement sont exclues pour les infractions commises par voie de presse », dit au préalable le texte adopté vendredi 5 mai par la commission des affaires générales et institutionnelles. Cependant, cette disposition est assortie de plusieurs exceptions, qui semblent presque l’annuler.

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Peines de prisons et amendes

Selon l’article 90 du projet de loi, est notamment « puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende  de 300 000 à 3 000 000 Francs CFA, quiconque par voie de presse ou par tour autre moyen de publication : incite au vol et au pillage, au meurtre, à l’incendie et à la destruction […] de biens publics et privés, à toutes formes de violences exercées à l’encontre de personnes physiques et morales […] ; incite à la xénophobie, à la haine tribale, à la haine religieuse, à la haine raciale et à la haine sous toutes ses formes ; fait l’apologie des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes de génocides ou de collaboration avec l’ennemi ; incite des militaires et des forces de l’ordre à l’insoumission et à la rébellion ; porte atteinte à l’intégrité du territoire national, à la sûreté intérieur et extérieur de l’État. »

Toujours d’après cette partie du projet de loi, « quiconque se rend coupable du délit de diffamation par voie de presse ou par tout autre moyen de communication au public [ce qui semble intégrer les réseaux sociaux, NDLR] » est passible d’une amende d’1 à 3 millions de F CFA.

De plus, le délit d’offense au président de la République y est également puni d’une « amende de 3 à 5 millions de F CFA ». La « diffamation envers les cours ou les tribunaux, les forces armées, les corps constitués, les administrations publiques mais aussi les membres du gouvernement ou de l’Assemblée nationale » est aussi pénalisée et punie d’une amende de 1 à 5 millions de F CFA.

L’article 99 du texte précise quant à lui que « l’infraction de diffamation n’est pas constituée lorsque la véracité des faits qualifiés de diffamatoires est établie, sauf lorsque l’imputation concerne la vie privée de la personne, qu’elle se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années ou à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à un condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision ».

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Les critiques des professionnels des médias

Dans un communiqué commun, plusieurs organisations de presse se sont émues du fait que le projet de loi institue « des amendes pécuniaires susceptibles de tuer les médias en faisant disparaître les entreprises qui les portent ».

Elles ont également estimé que ce texte était porté « par des projets foncièrement plus liberticides, plus répressifs et totalement aux antipodes de la modernité », et qu’il remettait « outrageusement en cause la dépénalisation des délits de presse acquise au bout de plus de 30 ans de lutte des acteurs des médias et de leurs partenaires en Côte d’Ivoire ».

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Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes ont eux aussi réagi aux nouvelles dispositions prévues par le projet de loi, demandant directement des explications à Bruno Koné, ministre de la Communication, de l’Économie, du Numérique et de la Poste .

La réponse du gouvernement

Pour le gouvernement, ce nouveau texte ne durcit pas la précédente loi datant de 2004. Sur Twitter, Bruno Koné a indiqué que ce texte prévoyait déjà des peines de prison puisqu’il renvoyait aux articles 174 et 175 du code pénal. De fait, une majorité des dispositions polémiques de la nouvelle loi étaient déjà présentes dans celle de 2004.

« Il ne s’agit pas d’une réintroduction. Cette disposition [sur les peines de prison, NDLR] a toujours existé. Cet article 90 n’est pas une création ex-nihilo. C’est une transportation d’articles qui existent dans le code pénal et qui pourrait induire en erreur des journalistes », a-t-il par ailleurs assuré le 5 mai devant les députés.

« Même dans le code pénal des références sont faites concernant le secteur de la presse. Il s’agit de points qu’on ne peut pas exclure de la loi sur la presse. […] Nous ne sommes pas en train de traiter d’une loi sur les journalistes mais d’une loi sur la presse. […] Le « quiconque » ne concerne pas que les journalistes. Les textes qui touchent à la presse ne peuvent pas ignorer le rôle que la presse a joué. Nous ne serions pas responsables si nous ne prenions pas en compte notre histoire récente […] On ne peut pas parler d’immunité totale, ce ne serait pas responsable. Ce terme peut induire en erreur. Même le Président n’a pas une immunité totale », a-t-il également souligné.

Un contexte particulier

Ce projet de loi sera discuté par l’ensemble des députés le 31 mai, dans un contexte plutôt tendu entre la presse et les autorités. En février, six journalistes − Vamara Coulibaly et Hamadou Ziao, respectivement directeur de l’information et rédacteur en chef du quotidien L’Inter, Jean Bédel Gnago de Soir Info (groupe Olympe, également propriétaire de L’Inter), Yacouba Gbané et Franck Bamba Mamadou, directeurs du Temps et de Notre Voie, ainsi que Ferdinand Bailly, journaliste pour Le Temps − avaient été brièvement arrêtés pour « divulgation de fausses informations » en lien avec la récente mutinerie des forces spéciales d’Adiaké.

S’ils sont aujourd’hui libres, les journalistes étaient restés 48 heures en garde à vue avant d’être inculpés. L’instruction est toujours en cours.

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