Dette cachée au Mozambique : la bataille fait rage entre le président Filipe Nyusi et son prédécesseur Armando Guebuza

Le Mozambique et ses partenaires financiers attendent avec impatience l’audit censé faire toute la lumière sur la « dette cachée » par le gouvernement, au cœur d’un scandale qui menace le président Filipe Nyusi.

Le 9 octobre 2015 une statue en bronze de l’ancien Samora Machel dans la capitale du Mozambique, Maputo. © Christopher Torchia/AP/SIPA

Le 9 octobre 2015 une statue en bronze de l’ancien Samora Machel dans la capitale du Mozambique, Maputo. © Christopher Torchia/AP/SIPA

Publié le 11 mai 2017 Lecture : 3 minutes.

La dette dissimulée du Mozambique, qui a déjà coûté au pays l’aide du FMI, nourrit également une sourde bataille entre le chef de l’État et son prédécesseur Armando Guebuza. Plusieurs fois retardé déjà, l’audit mené par le cabinet de renseignements new-yorkais Kroll devait être remis au procureur vendredi 12 mai, avant d’être à nouveau décalé à la fin du mois, a appris Jeune Afrique. « On attend de connaître certains détails, comme par exemple si l’argent a réellement été utilisé pour ce qui a été annoncé ou alors s’il y a eu des pratiques de corruption », résume le patron de presse et commentateur Fernando Lima. Cet audit a notamment permis d’examiner les comptes d’Armando Guebuza, encore en poste quand près de 2 milliards d’emprunts dissimulés ont été contractés par des sociétés publiques.

Tout démarre entre 2012 et 2014, lorsque trois entreprises à capitaux publics liées aux services secrets et au ministère de la Défense empruntent 2 milliards de dollars au Crédit suisse et à la banque russe VTB pour acheter du matériel militaire, dont des bateaux aux Constructions mécaniques de Normandie (CMN). Le gouvernement s’abstient alors de demander l’autorisation au Parlement, comme l’exige pourtant la Constitution.

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L’affaire éclate sur la place publique en avril 2016. Les principaux bailleurs de fonds du pays, Fonds monétaire international (FMI) en tête, gèlent leur aide budgétaire, précipitant le Mozambique dans une crise financière et économique sans précédent. Pour sa reprise, ils exigent un audit indépendant des entreprises, des mesures de restriction budgétaire et une réduction de la dette du pays, que l’affaire a fait passer de 86% à 130% de son produit intérieur brut (PIB) de 2015 à 2016.

Passer sous silence l’implication du pouvoir

Pour le Mozambique, les conclusions du travail que s’apprête à rendre le cabinet new-yorkais Kroll sont donc cruciales. Confronté à une inflation galopante et une dépréciation record de sa monnaie, le gouvernement a augmenté les prix du pain, de l’essence et de l’électricité. La grogne sociale s’étend et le pays n’honore plus ses dettes depuis janvier 2017. Sur le plan politique aussi, c’est la fièvre. En décembre, une commission d’enquête parlementaire a conclu au viol de la Constitution et l’opposition exige l’annulation des dettes cachées.

« Elles sont un crime contre l’État, le peuple mozambicain et les investisseurs internationaux », tempête Ivone Soares, la chef de file du principal parti d’opposition, la Renamo, à l’Assemblée. « Nous espérons que le rapport Kroll sera véridique, précis et qu’il expose les faits dont l’opposition a besoin […] pour traduire les responsables devant les tribunaux », ajoute-t-elle.

D’après la Suède, qui le finance, seul un résumé de l’audit sera d’abord rendu public, pour laisser le temps au bureau du procureur de mener les enquêtes nécessaires. Le rapport complet du cabinet américain ne sera publié qu’en août, expurgé de tout nom, selon l’accord passé entre le FMI et les autorités. Pour les critiques, cette manœuvre vise à passer sous silence l’implication évidente du pouvoir.

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Le député du MDM (opposition) Venancio Mondlane doute fort que le président Nyusi, ministre de la Défense au moment des faits, ou Armando Guebuza, qui l’a précédé jusqu’en 2015, soient un jour poursuivis. « La justice n’est pas indépendante au Mozambique », tranche-t-il.

Selon les analystes, les deux hommes, jadis proches, se livrent une furieuse bataille en sous-main pour tenter de s’exonérer de toute responsabilité dans ce scandale. Des documents les mettant alternativement en cause ont fuité sur les réseaux sociaux ou dans la presse.

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Remettre en cause le bilan de Guebuza

« Le camp de l’ancien président veut montrer que l’actuel président aussi est impliqué », analyse Fernando Lima, « il veut pousser à un compromis dans lequel il n’y aura pas de coupables ».

L’actuel président s’est de son côté lancé dans une tournée des ministères et des provinces pour dénoncer la corruption et entamer un grand ménage contre la fraude. Autant d’occasions de remettre en cause le bilan de son prédécesseur…

« Une partie des deux premières années de Nyusi au pouvoir a consisté à prendre le contrôle sur le gouvernement et le parti, ce qu’il semble désormais avoir fait », juge Joseph Hanlon, un analyste de l’Open University (Royaume-Uni). Derrière ce bras de fer autour de la dette cachée se joue donc une autre bataille, très politique. En septembre, le parti au pouvoir, le Frelimo, doit confirmer la candidature de Filipe Nuysi à un nouveau mandat aux élections de 2019.

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