Éthiopie : le miel, un trésor au potentiel sous-exploité
Sur un terrain rocailleux du nord de l’Éthiopie, Alem Abraha et sa nuée d’abeilles élaborent un miel blanc, onctueux et rare, l’un des produits précieux du pays. Hélas, le succès commercial n’est pas encore au rendez-vous hors des frontières.
L’Éthiopie produit environ un quart du miel africain, avec des variétés blanche, rouge ou jaune.
Grâce au miel, des milliers de paysans misérables sont sortis de la pauvreté. Comme Alem: « Ma vie a complètement changé », confie cet apiculteur au milieu d’abeilles excitées qui tournoient autour de sa tête.
Son village, Zaena, est situé dans la région septentrionale du Tigré, où pousse à foison la fleur jaune Adey Abeba, ingrédient indispensable du miel blanc, le plus prisé d’Éthiopie.
Le pays rêve d’exporter en masse son miel, mais la route est jalonnée d’obstacles.
L’Éthiopie a beau être le principal producteur de miel d’Afrique, la plupart des ruches sont désuètes, placées dans les arbres ou des pots en terre. Elles ne donnent pas autant de miel que les boîtes en bois modernes d’Alem, constate Juergen Greiling, un conseiller auprès du bureau éthiopien de l’apiculture.
Des spécialistes du secteur estiment que la production éthiopienne ne représente que 10 % de ce qu’elle pourrait être si plus d’agriculteurs s’impliquaient dans l’apiculture et utilisaient des techniques plus efficaces.
« Si on enseignait aux agriculteurs, les méthodes modernes, comme ce que je fais là, ça transformerait la production », dit Alem.
Activité secondaire
Car l’apiculture demeure une activité secondaire pour la plupart des agriculteurs, qui installent des ruches surtout pour polliniser leurs plantations.
Le miel tient pourtant un rôle important dans l’alimentation quotidienne : le miel blanc, comme une couche de glace, est très prisé, la variété jaune sert à produire le tej, hydromel local très populaire et la variété rouge est utilisée pour napper des plats comme le chechebsa, un pain sans levain consommé au petit-déjeuner. Le miel est aussi utilisé pour atténuer diarrhées et irritations.
Mais les paysans s’occupent avant tout de leurs cultures (café, céréales, légumes). L’agriculture emploie 85 % des Éthiopiens, selon l’agence des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Elle est aussi l’un des piliers de la stratégie de développement du gouvernement, alors que la croissance économique était de 10 % en 2015.
Le climat éthiopien, avec des périodes de sécheresse, n’aide pas à développer une production de miel régulière et à prix stable. Parfois, il y a pénurie, le prix du miel explose alors, jusqu’à 450 birrs (18 euros) le kilo. Une fortune dans ce pays où environ 30 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Exportations limitées
L’industrie du miel a ainsi du mal à exploiter tout son potentiel. Ce qui n’empêche pas le gouvernement de rêver de conquérir des marchés internationaux.
L’Union européenne (UE) a donné dès 2008 son feu vert à l’arrivée du miel éthiopien dans les supermarchés européens, mais près d’une décennie plus tard, l’Éthiopie n’exporte toujours que 800 tonnes par an sur 50.000 tonnes produites.
Le miel éthiopien disponible pour les exportations est en fait limité, car la plus grande partie de la production est utilisée pour fabriquer le tej. Ce qui fait monter les prix de ce produit hors des frontières. Quand les négociants éthiopiens cherchent à placer leur miel sur les marchés asiatique ou européen, il s’avère parfois trop cher pour séduire.
Daniel Gebremeskel le dit tout net : « Je ne parviens pas à vendre autant que je le pourrais parce que le prix n’est pas compétitif, en particulier (pour le miel) venant du Tigré ».
Il dirige Comel, une entreprise de transformation et d’exportation de miel basée à Mekele, la capitale du Tigré.
Il s’est ainsi résolu à vendre à perte à des négociants d’Addis Abeba, la capitale, simplement pour pouvoir conserver l’accès à un marché qui pourrait bien devenir lucratif un jour.
À l’étranger, on s’intéresse pourtant au miel éthiopien. Alem se rend désormais régulièrement en Italie pour y présenter sa production. Et les marchands du Tigré disent ressentir un intérêt croissant des acheteurs étrangers – et Éthiopiens – pour leur miel.
Contrebande
Le miel éthiopien devient même si apprécié que des contrebandiers, pour éviter de payer des taxes à l’exportation, ont commencé à le faire transiter via la frontière soudanaise ou en le cachant dans des bagages à l’aéroport de Mekele, remarque M. Greiling.
Le gouvernement régional du Tigré, furieux du manque à gagner lié à cette contrebande, cherche à la freiner en limitant la quantité de miel pouvant être transportée dans des bagages par avion.
Dans cette région où l’on produit le miel éthiopien le plus prisé, le gouvernement du Tigré veut améliorer les techniques apicoles pour doper la production et développer les exportations, indique Tesfamariam Assefa, un responsable au bureau agricole régional.
L’objectif est même qu’à l’avenir la majorité de la production de miel du Tigré s’en aille à l’étranger.
Pour l’instant, ce miel compte surtout « beaucoup de consommateurs partout en Éthiopie », relève Haile Gebru, un commerçant qui en vend dans un centre commercial de Mekele, en soulignant que « la production est faible ».
« Nous travaillons à faible capacité, car nous avons des problèmes d’approvisionnement », renchérit Daniel Gebremeskel chez Comel.
Malgré les difficultés, cet entrepreneur veut y croire : il modernise son usine et tente de séduire des acheteurs étrangers, pour qui le miel blanc éthiopien est si étonnant qu’ils le confondent parfois avec de la crème…
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