Centrafrique : à la Séléka, c’est chacun pour soi
Elle contrôle encore plus de la moitié du territoire, mais jamais l’ancienne rébellion Séléka n’a été aussi divisée. Ses chefs historiques, Michel Djotodia et Noureddine Adam, sont contestés. Reste à savoir si les Casques bleus sauront en profiter pour leur faire déposer les armes.
Article paru dans le n°2802 de Jeune Afrique, en kiosque le 22 septembre. Depuis, plusieurs généraux de la Séléka, dont Ali Darassa et Mahamat Alkhatim, ont annoncé leur retrait du mouvement.
Ils ont été profondément humiliés par l’arrivée de l’armée française en décembre 2013. Leur chef, l’ancien président Michel Djotodia, a été contraint de quitter le pouvoir un mois plus tard et de s’exiler à Cotonou. Eux ont assisté, impuissants, à l’exode des populations musulmanes. Pourtant, les combattants de la Séléka sont toujours là, avec leurs uniformes et leurs bottes dépareillées.
>> Lire aussi : Djotodia a-t-il roulé tout le monde dans la farine ?
Alors que les Casques bleus de la Minusca ont pris, le 15 septembre, le relais de la force africaine Misca, l’ancienne rébellion contrôle toujours les trois cinquièmes du territoire centrafricain. Ils y règnent en maîtres, contrôlent les principaux axes, occupent les bâtiments publics et font main basse sur ses ressources.
Surtout, ils font peur. Début septembre, d’importants mouvements de troupes ont été signalés dans le triangle Kaga Bandoro-Sido- Batangafo (Nord), ainsi qu’à Bambari (Centre), provoquant la panique à Bangui, où courait la rumeur d’une offensive imminente. Pendant une semaine, Bambari, où près de 400 combattants étaient rassemblés, fut surveillé comme le lait sur le feu tandis que les militaires français de l’opération Sangaris renforçaient leur dispositif sur la route menant à Bangui.
Finalement, rien ne se passa. D’abord parce que la Séléka a beau revendiquer 10 000 hommes, elle n’a plus la force de frappe qui lui permit de prendre Bangui en mars 2013. De combien de combattants dispose-t-elle vraiment ? "Leur nombre est très difficile à estimer", dit prudemment un diplomate européen en poste dans la capitale. "Plusieurs milliers", reconnaît l’armée française, sans plus de précisions.
"Sur le terrain, il n’y a pas énormément de troupes, ajoute Aurélien Llorca, coordinateur du groupe d’experts des Nations unies. Ils ne disposent que de peu de véhicules et sont confrontés à de gros problèmes de mobilité." Et puis il faut compter avec tous ceux qui ont encore des sympathies pour la Séléka.
"Parmi ceux qui ont pris Bangui, rappelle Roland Marchal, chercheur au CNRS et spécialiste de la région, il y a des Centrafricains qui font des affaires dans le sud du Tchad ou du Soudan et qui espèrent qu’un changement de régime leur profitera. Ils ne sont pas visibles sur le terrain et peuvent réapparaître à tout moment."
Un véritable casse-tête
Mais la Séléka est toujours très divisée – peut-être ne l’a-t-elle jamais autant été. Pour ses principaux généraux, l’avenir de cette coalition hétéroclite est un véritable casse-tête : faut-il accélérer sa mue en un parti politique ? Michel Djotodia, son président, et Noureddine Adam, son vice-président (hier à la tête de la très redoutée police politique de la Séléka), sont-ils des freins à son existence ? Ont-ils les moyens de reprendre Bangui ?
Une nouvelle étape de cette lutte d’influence s’est déroulée à Bambari, du 6 au 11 septembre. Les discussions ont permis de dégager deux lignes qui s’opposent, sur fond de divisions ethniques.
On retrouve d’abord le général Joseph Zoundeko, nommé chef d’état-major en mai, à Ndélé. Il a depuis pris ses quartiers à Bambari. Originaire de Tringoulou, dans l’extrême Nord-Est, il appartient depuis 2006 à l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) de Djotodia. Membre de l’ethnie goula, comme l’éphémère maître de Bangui, Zoundeko est aujourd’hui son principal relais sur le terrain.
La frange qu’ils représentent est toujours alliée aux combattants rungas sur lesquels Noureddine Adam, bien que bloqué dans la province de la Vakaga, dans le nord de la Centrafrique, depuis le début de la saison des pluies, garde une forte emprise. Djotodia et Adam ont pour le moment réussi à préserver l’alliance entre Rungas et Goulas grâce aux soutiens extérieurs dont ils disposent – tous deux ont toujours, selon plusieurs sources, leurs entrées dans les pays du Golfe et continuent à bénéficier de leurs largesses. Mais rien ne dit que cela durera.
De l’autre côté de l’échiquier, le général Ali Darassa se pose en alternative. Chargé de la zone de Bambari depuis le coup d’État de mars 2013, il incarne la branche peule de la Séléka – il fut l’adjoint du Tchadien Baba Laddé avant que celui-ci renonce aux armes pour rejoindre le camp d’Idriss Déby Itno. Darassa est aujourd’hui l’un des hommes forts du mouvement et peut compter sur le soutien du général Mahamat Alkhatim. Petit, la barbe bien fournie, Alkhatim était l’un de ces Tchadiens qui avaient aidé François Bozizé à prendre le pouvoir en 2003. "La communauté internationale ne veut ni de Djotodia ni d’Adam, insiste un proche d’Alkhatim. Le premier est persona non grata en Centrafrique. Le second est sous sanctions de l’ONU. Sans nous, ils ne sont rien. Nous considérons même qu’ils sont un poids plus qu’autre chose."
Jusqu’au-boutiste
Impossible de savoir ce qu’il pèse (le conclave de Bambari n’a pas consacré la victoire d’un camp sur l’autre), mais une chose est sûre : le trio Zoundeko-Adam-Djotodia est aujourd’hui considéré comme l’aile dure de la Séléka, la plus jusqu’au-boutiste. "Les accords que nous avons signés à N’Djamena en janvier et à Brazzaville en juillet n’ont pas été respectés. Donc les choses sont simples, confirme Bachar Fadoul, un très proche de Noureddine Adam. Soit on nous laisse reprendre le pouvoir, soit nous divisons le pays. Nous contrôlons déjà trois préfectures [celles de la Vakaga, de la Haute-Kotto et de Bamingui-Bangoran]. Il ne nous reste plus qu’à les verrouiller. Tout est prêt, même le drapeau et le gouvernement."
Carte : pour y voir clair dans le micmac des groupes rebelles de Centrafrique
Reste que, si le désir de partition est présent, notamment chez les militaires, une partie de la Séléka ne partage pas l’optimisme de l’aile dure et estime que lancer une nouvelle offensive sur Bangui s’apparenterait à une opération suicide. Alkhatim le premier sait que ses troupes n’ont aucune chance de prendre Bangui si Sangaris s’interpose. À Batangafo, début août, ses hommes, pourtant décrits comme bien entraînés, bien équipés et opérant comme une véritable armée, ont subi de plein fouet la puissance de feu des Rafale français. Et puis Darassa et Alkhatim sont des seigneurs de guerre. La politique ne les intéresse pas. Ce qu’ils veulent, eux, c’est pouvoir nourrir leurs troupes.
La lutte d’influence actuelle est également – et surtout, diront certains – une lutte pour le contrôle des richesses (lire encadré). Pendant la petite année passée à la tête du pays, la Séléka a pris le contrôle des trafics les plus lucratifs, et cette prédation a exacerbé les rivalités au sein du mouvement. C’est d’ailleurs pour cette raison que les hommes de Zoundeko et de Darassa se sont violemment affrontés le 26 août à Bambari. "Le problème de la Séléka est alimentaire, conclut un diplomate français. Si certains veulent la partition, c’est uniquement pour sécuriser le contrôle des richesses dans le Nord."
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Par Vincent DUHEM
Des trafics très lucratifs
Les zones contrôlées par la Séléka sont riches en matières premières. Il y a bien sûr le diamant : la Centrafrique est officiellement suspendue du Processus de Kimberley depuis le 23 mai 2013. Mais dans les faits, le trafic perdure, ce qui profite à l’ancienne rébellion dont plusieurs officiers ont, par le passé, exercé dans le commerce des pierres. Selon un rapport des experts des Nations unies datant de juillet, certains chefs rebelles contrôlent une partie des mines et acheminent leur cargaison au Soudan. C’est notamment le cas du général Omar Younous, un ancien acheteur qui détournerait aujourd’hui les pierres venues de Bria et de Sam-Ouandja, dans le Nord-Est. Vient ensuite l’or.
La principale mine de Ndassima, dans la région de Bambari, est aux mains des hommes du général Alkhatim. Et là encore, le circuit est connu : le métal précieux est introduit illégalement au Cameroun par les airs ou par la route après avoir transité par Bangui, et génère d’importants profits. Enfin, selon toute vraisemblance, il reste peu d’éléphants dans le Nord-Est, limitant de fait le trafic d’ivoire. Mais, toujours selon les experts de l’ONU, c’est aussi la Séléka qui contrôle la vente de viande de certaines espèces de grandes antilopes. V.D.
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