Hajj : Ebola n’ébranle pas la foi

Malgré la fièvre qui sévit dans la région, nombreux sont les Ouest-Africains à emprunter la route de La Mecque. Reportage dans la capitale sénégalaise.

Une musulmane nigeriane subit un contrôle de santé pour pouvoir partir en pèlerinage. © AFP PHOTO / PIUS UTOMI EKPEI

Une musulmane nigeriane subit un contrôle de santé pour pouvoir partir en pèlerinage. © AFP PHOTO / PIUS UTOMI EKPEI

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Publié le 29 septembre 2014 Lecture : 5 minutes.

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"Lorsque ma fille m’a appris qu’elle allait financer mon hajj, j’ai pleuré." Accomplir le pèlerinage, Moussa Soumaré en avait toujours rêvé. Mais pour ce sexagénaire, père de cinq enfants, le coût était rédhibitoire.

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En août, sa fille résidant en Suisse lui annonce qu’elle a réuni 3 millions de F CFA (4 500 euros) pour qu’il se conforme au cinquième pilier de l’islam. "J’ai comparé les différentes formules proposées", raconte Moussa Soumaré devant sa maison du quartier de Liberté 2, à Dakar, quelques heures avant d’embarquer dans l’un des premiers vols pour Médine, le 16 septembre. Après avoir sondé des pèlerins, il écarte l’idée de partir avec le contingent encadré par l’État.

"Certains se sont plaints des conditions proposées par le Commissariat général au pèlerinage, même si sa formule est moins onéreuse. J’ai donc opté pour un opérateur privé fondé par un ancien colonel des douanes devenu imam, qui organisait avant sa retraite le pèlerinage des douaniers."

Aucun pèlerin non encadré ne sera autorisé à pénétrer sur le territoire saoudien

Avec le groupement d’intérêt économique (GIE) Labayka, Moussa Soumaré a versé 2,6 millions de F CFA pour un séjour d’un mois en hôtel quatre ou cinq étoiles, avec pension complète, panachant le hajj et la oumra (le petit pèlerinage). La seule démarche qu’il ait eu à accomplir, c’est sa demande de passeport, obtenu en 72 heures. "Tout le reste a été pris en charge par le GIE."

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Au Commissariat général, le compte à rebours touche à sa fin. À deux reprises, cet organisme dépendant du ministère des Affaires étrangères a dû repousser la date limite d’inscription des personnes désirant se rendre à La Mecque. Cette année, le quota attribué au Sénégal par l’Arabie saoudite est de 10 500 pèlerins. Un tiers (3 500) sera convoyé par la mission supervisée par l’État sénégalais – neuf appareils de Sénégal Airlines devaient être affrétés à partir du 19 septembre -, et les deux autres tiers (7 000 personnes) passeront par des voyagistes privés.

Pour faciliter les démarches administratives et sanitaires, un guichet unique a été mis en place dans la zone de l’aéroport. Avec un seul mot d’ordre, répété par El Hadj Ahmadou Tidiane Dia, le commissaire général au pèlerinage : aucun pèlerin non encadré ne sera autorisé à pénétrer sur le territoire saoudien. "Certains sollicitent les services du Commissariat général afin d’obtenir un visa pour les lieux saints… avant de disparaître et de voyager seuls", rappelle l’officier, non sans menacer de "poursuites judiciaires" les indélicats qui compteraient accomplir le hajj en solo.

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Sixième pèlerinage en six ans

Assise sous une tente érigée face au Commissariat général, Anta est venue récupérer son visa. Pour cette fervente musulmane, ce sera le sixième pèlerinage en sept ans. "Il m’a fallu un certain temps avant d’être prête financièrement, confie la quinquagénaire. Mais à présent, ma situation professionnelle me le permet."

Chaque année, Anta prend ses congés au moment du hajj, et deux de ses amies l’accompagnent. "J’aime La Mecque. Je m’y sens tout près du prophète Mohammed – PSL [paix sur lui]." Depuis 2008, elle choisit systématiquement la formule étatique. "Je n’ai jamais eu de problème. C’est bien organisé, et on est logé dans de bons hôtels", témoigne-t-elle.

Business lucratif

Cette année, le montant du forfait demandé par l’État s’élève à 2,45 millions de F CFA. Ce qui inclut notamment un pécule reversé aux pèlerins une fois sur place pour leurs menus frais. Dans le privé, certains forfaits avoisinent ce montant. Mais des formules plus luxueuses peuvent atteindre 5 millions de F CFA, voire davantage.

Aliou Ndiaye, lui, n’aura pas à puiser dans ses économies. Un proche haut placé l’a nommé au sein de la commission administrative du pèlerinage. À 61 ans, ce sera la première fois que cet habitant de Mbour visitera les lieux saints. Il sera chargé d’encadrer les pèlerins. Pour l’heure, il avoue être dans le flou quant au déroulement de sa mission.

Bamba Samb, en revanche, ne partira pas. Mais il connaît bien les démarches pour les avoir souvent effectuées pour son père, aujourd’hui décédé. Il se rappelle, non sans ironie : "Quand on était jeunes, on déplorait ces dépenses. À nos yeux, c’était du "Regardez-moi ! J’ai de l’argent"." Une fois en âge de travailler, Bamba Samb s’est mis à économiser pour offrir le voyage à sa mère, devenue "hadja" en 1992. "Mais pour le moment, je regarde les autres partir…"

Le budget nécessaire au hajj n’a cessé de gonfler. En 1978, Ousmane, un ami de Moussa Soumaré, avait versé 750 000 F CFA. Vingt ans plus tard, il s’était acquitté de 1,7 million de F CFA. Cette année, en comptant les cadeaux pour ses proches, Moussa Soumaré estime son budget global à 4 millions de F CFA.

Pour les voyagistes privés, dont le nombre progresse d’année en année, le pèlerinage est un business lucratif. Ce qui pose le problème de l’habilitation et de la compétence des prestataires. Selon le Commissariat général, le nombre de demandes d’agrément reçues au 15 avril était de 98, contre 28 en 2013. Chaque année, des voyagistes sans scrupule provoquent la colère des pèlerins : retards dans les vols de retour, défaut de prestations, avec des Sénégalais livrés à eux-mêmes en Arabie saoudite.

"Qui se lève le matin, va à La Mecque et revient veut devenir un voyagiste privé", ironisait Safiétou Seck Diongue, la présidente du Consortium des organisateurs privés pour le hajj et la oumra (Cophom). Avec l’Union nationale des organisateurs privés pour le hajj et la oumra (Unophom), le Cophom milite pour l’assainissement du secteur, où les nouveaux arrivants sont loin de présenter toutes les garanties requises. "Il faut une bonne dose de moralité et d’expérience pour être un organisateur privé du hajj", rappelle la responsable du consortium.

À la demande des autorités saoudiennes, les voyagistes sont soumis cette année à une obligation : présenter pour chaque pèlerin un triple contrat (transport, logement et restauration) garantissant leur prise en charge. Une exigence soutenue par Mankeur Ndiaye, le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, selon qui "le gouvernement ne va pas laisser des gens qui ne sont mus que par l’appât du gain saboter le pèlerinage".

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