Le secteur de la santé en Afrique… un patient à soigner d’urgence
Tribune rédigée avec Benjamin Romain, co-fondateur d’Okan.
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Amaury De Féligonde
Ancien de McKinsey et de l’AFD, associé d’Okan, société de conseil en stratégie et en finance dédiée à l’Afrique.
Publié le 15 mai 2017 Lecture : 4 minutes.
« J’ai décidé d’être heureux car c’est bon pour la santé » disait Voltaire. Un nombre croissant d’africains ont fait leur cette maxime. Mais ils ont également décidé… qu’il fallait être en bonne santé pour être heureux. La santé en Afrique a été plombée par des années de sous-investissement et de croissance démographique accélérée : l’Afrique sub-saharienne compte 1 médecin et 10 lits d’hôpital pour 10.000 habitants (l’OMS préconisant un ratio de 7 médecins et 30 lits d’hôpital).
La visite d’un hôpital en Afrique révèle souvent des réalités tragiques : patients non soignés faute de médicaments, soignants peu rémunérés et démotivés, état alarmant des infrastructures.
Indicateurs inquiétants
Les indicateurs reflètent ce drame : des dépenses de santé 10 fois inférieures à la moyenne mondiale, une espérance de vie inférieure de 14 ans à la moyenne mondiale pour un subsaharien et deux fois plus de risques de mourir à la naissance. Faute de choix, des milliers de patients se font soigner à l’étranger, occasionnant des sorties de devises massives. Face à cette situation dramatique, que faire ? Quelques pistes de réflexion peuvent être esquissées.
Premièrement, il faut de l’argent et de la méthode. Un nombre -encore restreint- d’États africains a fait des efforts conséquents pour atteindre l’objectif fixé à Abuja en 2001 (15% des dépenses publiques alloués à la santé). Les dépenses publiques par habitant sont passées de 70 à 160 dollars en quinze ans, et des systèmes de couverture santé ont été déployés avec succès, comme au Rwanda.
Dépenses à la charge des familles
Ces montants demeurent néanmoins dérisoires, vu le renchérissement des soins de santé -soigner un cancer coûte plusieurs milliers de dollars-. La majorité des dépenses demeure encore à la charge des familles, impliquant une grande inégalité dans l’accès aux soins. Au Niger et au Tchad, comme au Maroc, 63% des dépenses de santé sont privées (une proportion inverse à celle de la Suisse), et la majorité des patients atteints de maladies graves ne peuvent se soigner, faute de moyens.
Par ailleurs, les ressources ne sont pas nécessairement allouées de façon optimale : la récente visite d’un pôle hospitalier financé par la Chine au Sahel et construit en dépit du bon sens (inadaptation au climat, matériel inadéquat) montre les limites de certains grands projets de santé publique. A contrario, l’Ethiopie montre qu’il est possible de mettre en place des politiques de santé publique efficaces, grâce à des plans quinquennaux précis, malgré le contexte budgétaire très contraint. La mortalité des enfants de moins de cinq ans y a été divisée par cinq en 6 ans (à un niveau qui reste élevé).
Manque de personnels soignants
Deuxièmement, il faut des hommes et des femmes pour soigner. Certains hôpitaux neufs des Etats pétroliers d’Afrique Centrale en portent témoignage… ils demeurent partiellement vides, faute de soignants. Les autorités devraient réfléchir aux moyens de faire revenir les « médecins africains du monde ». Il est paradoxal de constater que l’Afrique est devenue un centre de formation de personnel médical pour les pays du Nord. L’Europe, les Etats-Unis et le Canada ont négligé la formation d’un nombre suffisant de professionnels et ont attiré des milliers de soignants africains.
L’Île-de-France compte aujourd’hui plus de médecins béninois que le Bénin !
Des études estiment qu’au début des années 2000, 20.000 personnels soignants quittaient l’Afrique annuellement. 75 % des médecins formés au Mozambique exercent à l’étranger, tout comme 34 % des infirmières originaires du Zimbabwe. L’Île-de-France compte aujourd’hui plus de médecins béninois que le Bénin ! Certains pays ont réussi à endiguer, au moins partiellement, cette fuite des cerveaux (comme le Maroc ou l’Afrique du Sud) en proposant des outils de travail de qualité et des perspectives de carrière claires.
Vers de nouveaux modèles de santé
Troisièmement, il faut réinventer l’offre de soin, en l’adaptant aux besoins de l’Afrique et à ses ressources (qui demeureront limitées). Il s’agit de ne pas négliger les exigences de qualité des pays développés, tout en s’inspirant des nouveaux modèles de santé frugaux et innovants développés dans des pays pionniers comme l’Inde.
Ces nouveaux modèles se déploient déjà en Afrique. Les start-ups Vula Mobile (Afrique du Sud) ou Gifted Mom (Cameroun) permettent de mettre en contact des patients ruraux avec des spécialistes, via leur smartphone. La société Clinifit déploie en Afrique des cliniques « low-cost », alliant des techniques de construction en préfabriqué et des techniques médicales ambulatoires modernes. Le groupe Elsan souhaite également se développer en Afrique, en s’appuyant sur les médecins locaux pour monter des cliniques de qualité organisées en réseau, un concept encore largement inexistant en Afrique. Un modèle prisé par les fonds qui cherchent à s’impliquer dans la santé, à large échelle, à l’image de Abraaj, Satya Capital ou de la SFI.
La refondation du secteur africain de la santé est un défi monumental. Il appartient aux Etats d’investir massivement, avec discernement et méthode. Au secteur privé d’appuyer leur action, en inventant des solutions innovantes et adaptées au continent pour offrir aux citoyens (y compris les plus modestes) des soins de qualité à des prix acceptables. Tout cela dans un contexte de croissance démographique accélérée, d’explosion des maladies chroniques et de fortes contraintes budgétaires. Une opération complexe et de longue haleine, qui seule pourra sauver le secteur de la santé, un patient à traiter d’urgence…
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