Delly Sesanga : « Joseph Kabila a recyclé certains opposants mais n’a pas résolu les problèmes de la RDC »

Opposition divisée face au président Joseph Kabila, accord de la Saint-Sylvestre mis à mal… Delly Sesanga, cadre influent du Rassemblement, a livré lundi à Jeune Afrique sa lecture des derniers rebondissements de la crise politique en RDC. Entretien.

Le député Delly Sesanga © Vincent Fournier/JA

Le député Delly Sesanga © Vincent Fournier/JA

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Publié le 16 mai 2017 Lecture : 7 minutes.

L’homme est résolu, le ton de sa voix est grave. Depuis Paris où il a séjourné ces deux dernières semaines avant de rejoindre Kinshasa ce mardi 16 mai, le député congolais Delly Sesanga ne cache pas sa « colère ». Le président d’Envol et de l’Alternance pour la République (AR), l’une des plateformes politiques de soutien à la candidature de Moïse Katumbi à la présidentielle, nous a même confié lundi qu’il était « révolté » par la tournure prise par les événements qui ont suivi la signature de l’accord politique de la Saint-Sylvestre en RDC.

Côté Rassemblement, principal regroupement politique de l’opposition en RDC, l’élu de Luiza, dans le Kasaï, fut l’un des négociateurs majeurs face au camp du président Joseph Kabila lors de récents pourparlers, facilités par les évêques de la Conférence épiscopale nationale indépendante (CENCO). Avocat et député prolifique, Delly Sesanga a participé activement à la rédaction du fameux compromis politique signé le 31 décembre.

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Près de cinq mois plus tard, Delly Sesanga ne se reconnaît pas dans la mise en oeuvre en cours de l’accord. Et dénonce un « passage en force » de Joseph Kabila qui a choisi de « débaucher quelques opposants » au lieu d’appliquer, de bonne foi, le texte, comme cela était convenu. Une stratégie en trois temps, quatre mouvements, qui semble avoir replacé au cœur du jeu politique congolais un président dont le second mandat constitutionnel est arrivé à terme depuis le 19 décembre.

Joseph Kabila recourt à de fausses solutions face à un vrai problème

Jeune Afrique : L’opposition congolaise paraît aujourd’hui fragilisée à cause des dissensions internes mais surtout après l’entrée de certains de ses membres dans les gouvernements successivement mis en place ces derniers mois par le président Kabila. Partagez-vous ce constat ?

Delly Sesanga Kabila

L’opposition se vide pourtant de ses membres à chaque formation d’une nouvelle équipe gouvernementale…

Joseph Kabila a pu en effet recycler, individuellement, certains opposants mais il n’a pas apporté de solutions aux problèmes des Congolais. Car les attentes du peuple sont claires et évidentes : la stabilité, la sécurité, la paix, le pouvoir d’achat perdu par des politiques peu orthodoxes menées par les gouvernements successifs de Monsieur Kabila, mais aussi la tenue des élections pour se donner une alternance capable de changer le destin du pays.

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Bruno Tshibala, Premier ministre fraîchement nommé, et ceux qui l’entourent estiment que ce sont eux le vrai Rassemblement, légitime pour représenter l’opposition face à Kabila. Que leur répondez-vous ?

Chacun peut voir midi à sa porte. Toute personne de bon sens sait que ce sont des dissidents du Rassemblement. Certains ne représentent que leurs formations politiques respectives, d’autres leurs propres individualités. Ils ne peuvent donc pas engager le Rassemblement qui demeure un et reste composé de ses neufs plateformes. Et autour de Félix Tshisekedi, son président, le Rassemblement continue à porter son projet, celui d’assurer à notre peuple la tenue des élections dans les délais et l’alternance politique à la tête du pays.

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Eux, ils ont cru bon de rejoindre, dans ce recyclage permanent des opposants, le bateau de Joseph Kabila pour des desseins contraires à la lettre et à l’esprit de l’accord du 31 décembre. Mais le destin du Congo est au-dessus des individualités.

Kabila devient l’arbitre, foulant au pied l’équilibre des forces consacré dans l’accord

Les négociations autour de l’ « arrangement particulier », document de mise en oeuvre de l’accord, se sont pourtant cristallisées sur le choix du Premier ministre et du remplaçant d’Étienne Tshisekedi à la tête du Conseil national de suivi de l’accord (CNSA)…

C’est fort malheureux ! Les discussions autour de cet « arrangement particulier » ont en effet été plus longues que celles qui ont conduit à la signature de l’accord lui-même. Cela traduit la mauvaise foi du chef de la Majorité présidentielle (MP) qui a multiplié les artifices pour pouvoir se soustraire à l’application stricte de ce compromis politique. Tenez : aujourd’hui, à la faveur de l’arrangement particulier devenu singulier, signé entre la MP et certains opposants, c’est Joseph Kabila qui devient l’arbitre, foulant au pied l’équilibre des forces consacré dans l’accord de la Saint-Sylvestre. Comment le président de la République, qui fait partie des problèmes, peut-il être celui qui nomme le président du CNSA ?

Aux termes du compromis politique, nous avions pourtant fait en sorte que le CNSA puisse superviser l’ensemble de la mise en oeuvre de l’accord et arbitrer, le cas échéant, les différends entre parties. Déplacer ce pouvoir d’arbitrage du CNSA vers le président de la République me semble aller à l’encontre de tout ce que nous avons discuté pendant de longs mois.

Où en est-on des mesures de décrispation qui faisaient également partie de l’accord, notamment en ce qui concerne la libération des prisonniers politiques et la cessation des poursuites contre Moïse Katumbi, en exil forcé depuis bientôt 12 mois ?

Nous ne sommes pas allés aux premières discussions de la Cité de l’OUA parce qu’il y avait un climat politique délétère dans le pays : des opposants emprisonnés, harcelés, contraints à l’exil. Longtemps ces questions ont constitué un préalable avant notre participation aux pourparlers. En acceptant de venir négocier sous la médiation de la Cenco, nous avions reçu l’engagement ferme qu’on allait y trouver une solution.

Mais, jusqu’à ce jour, la décrispation politique n’a pas connu un dénouement heureux. Le dossier de Moïse Katumbi est resté en suspens. Idem pour ceux concernant le bâtonnier Jean-Claude Muyambo et d’autres opposants arrêtés, notamment Franck Diongo. Au lieu d’être assaini, le climat politique s’est durci, en défaveur des opposants.

Dans ces conditions, le compromis politique de l’accord de la Saint-Sylvestre tient-il toujours ?

Pour nous comme pour la communauté internationale et les évêques, cet accord reste la seule feuille de route crédible pour restaurer la paix et la sécurité en RDC. Mais Joseph Kabila et sa famille politique s’en sont désengagés. Ils ont estimé que ce compromis politique ne leur convenait pas. En conséquence, Kabila est en train de tout faire, sauf la mise en application de l’accord de la Saint-Sylvestre. C’est un passage en force.

Qu’à cela ne tienne, l’accord tient toujours dans la mesure où le peuple congolais a exprimé un soutien total et une espérance forte en faveur de sa mise en oeuvre. Il tient aussi parce qu’il est reconnu par la résolution 2348 du Conseil de sécurité. Et l’Angola a récemment appelé, pour sa part, les parties prenantes congolaises à revenir à des discussions sérieuses pour résoudre la crise en cours. Visiblement, il ne s’agit plus que d’un problème congolo-congolais. La sécurité et la stabilité de la sous-région en dépendent. Il est donc fort dangereux pour le camp de Kabila de considérer qu’il peut sortir du cadre de l’accord parce qu’il a trouvé un arrangement sur un coin de table avec deux ou trois opposants.

La RDC ressemble aujourd’hui à une prison à ciel ouvert

En attendant, Kabila se maintient et la perspective de la tenue de l’élection de son successeur d’ici fin 2017, comme prévu dans l’accord, s’éloigne. Que va faire le Rassemblement ?

Dans les semaines qui suivent, nous serons en conclave à Kinshasa pour évaluer notre action et dresser les pistes d’avenir. Le peuple congolais ne veut plus de ce que Joseph Kabila est en train d’entreprendre : le priver de la possibilité d’aller aux élections, ne pas résoudre la question de la décrispation politique, laisser le pays dans une forte instabilité…

Je suis moi-même un élu du Kasaï où des massacres continuent d’être perpétrés dans des villages et territoires. Des populations civiles fuient des exactions et vont se réfugier en Angola. La situation dans laquelle le pays se trouve est intenable. Il faut que tous les acteurs politiques reviennent à la raison et appliquent de bonne foi l’accord du 31 décembre. Car, si ce n’est pas le cas, les Congolais sont prêts à se donner le destin qu’ils méritent. La Constitution les autorise en effet à exercer un droit de résistance à l’oppression et contre tous ceux qui veulent se maintenir ou accéder au pouvoir par la force.

Entre l’instabilité dans l’est du pays depuis une décennie et dans le Kasaï, dans le Centre, depuis quelques mois, y-a-t-il un risque d’expansion de ces foyers de tension dans le reste du pays ?

Certains considèrent que cette instabilité peut concourir à allonger leur survie au pouvoir mais elle peut aussi être la porte par laquelle certains régimes ont pris fin dans notre pays. Il convient de se rappeler de ce qui s’est passé à l’époque de Mobutu. Il est donc temps de préserver les acquis, notamment celui de la stabilité, et respecter les règles du jeu démocratique et le libre exercice des libertés individuelles. Ce qui n’est pas le cas en RDC. Le pays ressemble aujourd’hui à une prison à ciel ouvert.

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