Burundi : les cadavres du lac Rweru viennent-ils du Rwanda ?
Officiellement quatre cadavres – bien plus selon des témoignages de pêcheurs – ont été retrouvés sur le lac Rweru, au Burundi. Enfermés dans des toiles de jute et ligotés, les corps auraient été charriés par la rivière Nyabarongo-Kagera, qui prend sa source au Rwanda voisin.
Sur le lac Rweru, à la frontière du Burundi et du Rwanda, les pêcheurs se souviendront longtemps de l’année 2014. Selon leurs témoignages, ils ont vu passer depuis deux mois, au fil de l’eau, des dizaines de cadavres, parfois enveloppés dans des sacs de jute, pieds et poings liés derrière le dos… C’est le cas des quatre corps officiellement retrouvés à la mi-août, qui embarrassent Bujumbura et dont Kigali ne veut pas entendre parler.
Le porte-parole du président burundais Pierre Nkurunziza, Willy Nyamitwe, a réaffirmé cette semaine sur Radio France Internationale que son pays travaillait "en synergie" avec le Rwanda sur le dossier. De fait, fin août, une commission d’enquête mixte a été mise sur pied par les deux pays, mais les investigations piétinent.
Aline Manirabarusha, la gouverneure de la province de Muyinga, qui borde le lac, reconnaît qu’il n’y a pas de réelle enquête conjointe avec les Rwandais. Mais "de notre côté, nous avons enquêté en demandant aux chefs de collines de la région s’il n’y a pas eu de personnes portées disparues dans leur secteur, et ils nous ont dit que non".
Des habitants sur les bords de la rivière Kagera où des pêcheurs ont vu des corps flotter, le 14 septembre 2014 au Rwanda. © Esdras Ndikumana
De leur côté, les pêcheurs qui ont découvert les corps disent n’avoir jamais été entendus. Un diplomate en poste à Bujumbura affirme même sous couvert d’anonymat que "les cadavres découverts ont été enterrés sans autopsie": "on n’a même pas ouvert trois des quatre sacs pour voir ce qu’ils contenaient, cela signifie clairement qu’on ne pourra jamais identifier ces gens, ni savoir d’où ils viennent".
Réminiscences
Sur les deux rives du lac Rweru, à 270 km au nord-est de Bujumbura, les habitants sont pourtant sûrs que les corps ont surgi dans le lac après avoir descendu la rivière Nyabarongo-Kagera, qui prend sa source au Rwanda voisin. Le cours d’eau est tristement célèbre pour avoir charrié de nombreux corps durant le génocide rwandais en 1994.
Le bras tendu, un jeune agriculteur rwandais montre un nouveau chemin que la Kagera s’est frayé jusque dans le lac depuis deux mois. Ce bras de la rivière ne passe normalement pas par là, et c’est parce que son cours a dévié que les cadavres sont apparus sur le lac.
Trois sépultures anonymes dans un champ près de la rivière Kagera où des pêcheurs ont vu des corps flotter, le 14 septembre 2014 au Rwanda. © Esdras Ndikumana
"Si ces cadavres n’étaient pas ressortis sur le lac Rweru, s’ils étaient restés sur la rivière Kagera, l’injustice qui a frappé ces gens n’aurait jamais été connue, c’est Dieu qui a voulu que ces crimes ne restent pas impunis", insiste l’agriculteur, qui vit au bord du cours d’eau dans une petite hutte de paille avec sa femme et leurs deux enfants, à cinq minutes de bateau à moteur de la frontière avec le Burundi.
"Je pense avoir vu une vingtaine de sacs contenant des cadavres et qui étaient entraînés par le courant de la rivière", dit-il sous couvert d’anonymat. Les habitants du coin disent avoir vu les corps émerger à partir de la mi-juillet. Après les avoir découverts, ils les ont systématiquement laissés dans l’eau, de crainte d’être eux-mêmes inquiétés.
Amnésie
La gouverneure de Muyinga assure aussi que "ces corps sont charriés par la rivière Kagera", qui passe non loin de Kigali. Mais pas question de mettre en cause explicitement le voisin rwandais : lorsqu’on lui demande où la Kagera prend sa source, elle est prise d’amnésie. "Je ne sais pas d’où vient exactement la Kagera, j’ai oublié, il faut demander aux géographes qui ont étudié cela", dit-elle, visiblement embarrassée.
Un haut cadre burundais explique sous couvert d’anonymat que l’affaire risque bien de ne jamais être élucidée, car "le Burundi va sacrifier la vérité sur l’autel de ses relations avec Kigali". "C’est crucial, le Burundi ne peut pas se permettre de se mettre à dos son puissant voisin du nord", explique-t-il.
Interrogé par l’AFP, le porte-parole de la police rwandaise, Damas Gatera, affirme cependant que cette histoire ne concerne en rien son pays. "Il n’y a pas de cadavres au Rwanda ou retrouvés au Rwanda, ceux dont nous parlons ont été trouvés au Burundi", dit-il. Et quand on lui demande pourquoi les agriculteurs rwandais ont reçu ordre de ne pas parler aux journalistes burundais, il indique simplement ne pas être "au courant".
(Avec AFP)
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