Tunisie : jusqu’où peut aller la flambée protestataire dans le sud-est ?
Rien ne calme les protestations qui enflamment le sud tunisien depuis début avril. Les engagements du gouvernement et la mise sous contrôle de la zone par l’armée restent pour l’instant sans effet.
Quelque 1 000 recrutements en juin 2017 dans les sociétés pétrolières et 1 000 autres dans les sociétés environnementales, et 1 500 encore prévues à partir de janvier 2018… Toutes ces embauches ne suffisent pas à contenter la population. Car l’objectif des manifestations qui secouent depuis avril le sud-est tunisien n’est pas tant l’emploi que la juste répartition des revenus du pétrole, dans la mesure où le gouvernorat de Tataouine est l’un des plus déshérités du pays.
Cette revendication avait été en première ligne lors des négociations avec le gouvernement qui avait abouti à des promesses d’embauche et le développement de nouveaux projets. Des propositions qui, on le voit, n’ont pas réussi à apaiser les esprits. Comment en est-on arrivé là ? Retour sur les faits.
Comment est née la surenchère protestataire ?
Les insurgés, fin avril, prennent en otage le site d’extraction pétrolière d’El Kammour et installent pas moins de 170 tentes. Avec des moyens logistiques conséquents, ils font preuve d’une excellente organisation, reçoivent les médias au compte goutte et continuent d’asséner qu’ils iront « jusqu’au bout »… sans donner plus de détails.
Le 10 mai, faute de retour au calme, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, décide de mettre les champs pétrolifères et gaziers sous surveillance de l’armée. Un geste qui va mettre le feu aux poudres.
Pour les Tunisiens, qui ont en mémoire la chronologie des événements ayant conduit à la chute de Ben Ali, il y a dans l’air comme un air de 14 janvier bis
Un violent bras de fer s’engage, qui penche rapidement du côté des protestataires. Sous le regard de l’armée, le 20 mai, ceux-ci ferment les vannes de l’exploitation d’El Kammour. Les protestations font tâche d’huile et les habitants de Tataouine sortent dans les rues en solidarité avec les manifestants. Les affrontements avec les forces de l’ordre éclatent. Aujourd’hui, elles risquent sérieusement de dégénérer suite à la mort accidentelle d’un manifestant, écrasé par un 4X4 de la gendarmerie. Pour les Tunisiens, qui ont en mémoire la chronologie des événements ayant conduit à la chute de Ben Ali, il y a dans l’air comme un air de 14 janvier bis.
Soupçons de manipulations islamistes
Les protestataires agissent-ils sur instigations de quelque intérêt économique, mafieux ou partisan ? Difficile à affirmer, même s’il est vrai qu’ils n’ont a priori ni les moyens financiers ni logistiques pour développer un tel mouvement et le maintenir dans le temps.
Des habitants de la région, dont une majorité réprouve une escalade qu’ils qualifient de populiste, affirment cependant que des contrebandiers de la région, de mèche avec des milices libyennes positionnées à quelques kilomètres de la frontière, orchestrent ce soulèvement. Le 14 avril 2017, le chercheur et analyste américain Walid Fares, ancien conseiller du président Donald Trump, avait tiré la sonnette d’alarme via un post Facebook, au sujet d’une éventuelle tentative des islamistes tunisiens de s’emparer du pouvoir en Tunisie, en collaboration avec des éléments libyens.
Imed Daimi et Adnan Mansar, proches collaborateurs de Marzouki, ont organisé une manifestation de soutien aux insurgés, à Tunis le 22 mai
Une situation chaotique sur laquelle plane l’ombre de l’ancien président, Moncef Marzouki, qui jouit d’une certaine popularité dans le sud. Il avait été en 2015, alors qu’il avait quitté le pouvoir, l’un des instigateurs du mouvement populiste « winou el petrole ? » – où est le pétrole ? – qui soutenait que la Tunisie détiendrait dans son sous sol des quantités colossales d’hydrocarbures.
Imed Hammami, ministre de l’Emploi, en charge du dossier de Tataouine, accuse formellement l’ancien président d’être derrière les troubles tandis que Imed Daimi et Adnan Mansar, proches collaborateurs de Marzouki, ont organisé une manifestation de soutien aux insurgés, à Tunis le 22 mai.
Le silence de l’État en question
Mauvaise évaluation de la situation, absence d’une réelle gestion de crise… Il semble que le gouvernement n’ait rien vu venir et l’absence de déclaration du chef du gouvernement, Youssef Chahed, laisse perplexe les Tunisiens. « On s’attendait au moins à l’instauration d’un couvre feu », entend-on en marge de la manifestation lundi après-midi à Tunis tandis que les manifestants, excités par la rumeur d’un second mort à Tataouine, continuaient en dépit de l’arrivée de la nuit à réclamer la chute de l’exécutif…
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