RDC – Rwanda : Moi, Charles, enfant métis arraché à ma mère et expulsé en Belgique
Né en 1945 d’une mère rwandaise et d’un père blanc au Congo belge, Charles François Gérardin, a été enlevé à sa mère alors qu’il n’avait que 5 ans.
Comme 283 autres enfants métis, après l’indépendance, il est expulsé en Belgique, une terre alors inconnue pour lui. Aujourd’hui devenu « l’un des derniers témoins » de ce drame oublié, âgé de 71 ans, Charles se bat au sein de l’association « Métis de Belgique » pour aider les victimes et leurs descendants à retrouver leur famille. Le 25 avril dernier, l’Église catholique leur a adressé pour la première fois ses excuses, se reconnaissant toutefois de « bonnes intentions » – ce qui est loin d’aller de soi pour des déracinés qui ont souvent été reniés par leur père avant d’être enlevés à leur mère.
Car à l’époque, les enfants métis étaient perçus comme « un danger » pour le système colonial. Considérés comme une « tache » sur la pureté de la race blanche, les « mulâtres » étaient estimés à 10 000 dans la région des Grands Lacs à la fin de la période coloniale, dont beaucoup ont été placés de force dans un orphelinat dirigés par des Sœurs blanches d’Afrique. Ces « enfants du pêché » (nés hors mariage) y ont alors été éduqués dans le mépris de leurs racines, et d’eux-mêmes. À tel point qu’ils auront souvent du mal à se frayer une place dans la société, même en grandissant. Et beaucoup ne retrouveront jamais leurs parents.
Voici le témoignage édifiant de Charles François Gérardin.
Un enlèvement brutal
« Je m’appelle Charles François Gérardin, je suis né le 27 juin 1945 au Congo à Popolo-Lisala, (localité située le long de la rive gauche du fleuve Congo). Mon père, Victor Gérardin, était agent sanitaire, fonctionnaire au service de l’État colonial. Ma mère était rwandaise. Après avoir quitté le Congo, dont je n’ai gardé aucun souvenir, nous nous sommes installés au Rwanda, plus exactement à Byumba, une ville située au nord-est du Rwanda non loin de la frontière ougandaise.
C’est à Byumba que ma mère fut convoquée pour la première fois chez un administrateur-territorial non sans quelques appréhensions, car lorsqu’on demandait aux autochtones, aux Rwandais, à quoi servait un administrateur territorial, la réponse était : « c’est quelqu’un qui met les gens en prison ».
Il faut rétablir la vérité : pas une mère n’a abandonné son enfant, on le leur a pris, et bien souvent de force
Lors de l’entretien, l’administrateur lui annonça que j’allais lui être retiré. Contrairement à d’autres, elle eu « la chance » d’avoir une explication quant à mon placement à Save. « Il sera éduqué, instruit, logé et nourri ». Rien ne laissait alors présager le plan qui prévoyait de nous évacuer définitivement en Europe.
Ma mère fut donc contrainte de m’envoyer à Save et de s’installer à Astrida (aujourd’hui Butare) à quelques encablures de là. Elle ne fut pas la seule mère dans ce cas. Si l’Eglise a longtemps qualifiés ces enfants « d’orphelins », il faut rétablir la vérité : pas une mère n’a abandonné son enfant, on le leur a pris, et bien souvent de force.
Pour beaucoup d’enfants, le premier enlèvement fut brutal, sans avertissement ni ménagement laissant les mères totalement désemparées. Nous étions alors placés dans des institutions pour « enfants mulâtres » dont l’un des plus connus est Save au Rwanda. Le livre de Sarah Heynssens, Entre deux mondes, retrace ce parcours.
La vie à Save, institut pour enfants mulâtres
Save était un pensionnat dirigé par les Sœurs blanches d’Afrique et financé en grande partie par les subsides de l’État belge. Il fonctionnait comme tout orphelinat. La plupart du temps, nous étions cloîtrés dans l’enceinte du bâtiment.
La vie n’y était pas toute rose. Les sœurs étaient parfois d’une sévérité cruelle. Pour avoir fait pipi au lit par exemple, on pouvait se faire fouetter. Nous étions les enfants du péché, souvent le fruit d’un adultère, mais pas toujours. Pas dans mon cas. Bravant les interdits, mon père m’a reconnu ainsi que deux demi-sœurs et un demi-frère. Cet acte lui valu son renvoi du fonctionnariat colonial belge. Contrairement à la majorité des enfants auxquels on interdisait de voir leurs parents, j’avais la chance d’aller chez ma mère durant les vacances. Et mon père et mon grand-père venaient me voir de temps à autre.
À l’âge de 7 ou 8 ans les garçons quittaient Save pour être envoyés à Byimana au Rwanda ou à Nyangezi au Congo. Les sœurs s’inquiétaient sans doute de notre taux de testostérone alors qu’un mur haut et épais, tels qu’on les construisait au moyen âge, nous séparait des filles.
Byimana, nouveau tournant pour un autre destin
Il faut savoir que le regroupement des enfants métis fut plus actif à partir de 1930, l’objectif étant de débarrasser les colonies de tout danger de révolte potentiel envers les colonisateurs blancs comme ce fut le cas dans d’autres colonies.
Byimana était un institut tenu par les frères Maristes, nous y poursuivions nos études. Et nous nous sommes épanouis vaille que vaille, par le sport, le football, la chasse le soir dans les marais dans la pénombre, nous attrapions des grue-couronnées… Nous avions même construit un enclos avec quelques biches et chevreuils témoins de notre agilité, diable ! Je me demande encore comment nous nous y prenions.
C’est ici que trois événements allaient marquer mon destin. D’abord, je fus pris discrètement en charge par un Père jésuite nommé Charles Dury. Ensuite, une autre convocation chez l’administrateur territorial allait bouleversé ma vie. Et avant cela, j’étais admis au collège jésuite de Bujumbura en Urundi dans lequel je poursuivais mes études, avant d’être expulsé.
Expulsion en Belgique, pays « des pommes et des poires »
Pour la seconde fois ma mère et moi étions donc convoqués chez l’administrateur territorial. Ma mère ne parlait pas la langue française, un traducteur lui fit vite comprendre l’enjeu de cette convocation. On allait lui retirer son fils, une seconde fois. Ainsi, le 12 septembre 1959, ma mère signe de son pouce « la déclaration d’accord ».
La deuxième phase de l’enlèvement fut bien plus douloureuse pour les mères. Elles étaient obligées de signer l’abandon de leurs enfants, parfois manipulées – on laissait miroiter une vie confortable pour l’enfant -, et souvent menacées : « si vous ne signez pas vous devrez rembourser tous les frais engagés jusqu’ici pour votre enfant », ce qui bien entendu, était impossible.
Nous débarquions alors au pays « des pommes et des poires », fruits inconnus dans notre région mais avec lesquels, nous, enfants métis avions appris à compter à l’institut. Les frères et sœurs s’il y en avait étaient séparés car placés dans des familles, institutions catholiques ou orphelinat différents. Le père jésuite Charles Dury me disait toujours : « en ce monde il y a des gens biens, il suffit de les rencontrer et de les connaître ». Il fut le premier que j’ai connu.
Il me trouva une famille d’accueil en Belgique, une famille merveilleuse et m’assura de toute son attention des années durant. Malgré leurs lourdes charges, 4 enfants aux études dont deux à l’université, ils m’accueillirent avec générosité. J’ai eu de la chance, d’autres pas. J’ai toujours pu compter sur leurs enfants, et je garde de bons contacts avec leurs petits-enfants. L’un d’eux me présenta un de ses arrière petits-enfants et lui dit : « je te présente ton oncle d’adoption »
La Déclaration d’accord pour le placement de Charles Geradin sous la tutelle de l’Etat. by jeuneafrique on Scribd
« Les Métis de Belgique », toujours en quête de leurs parents
Certains pères ayant reconnu leur enfant, un acte de naissance avait été établi et signé par des officiers d’état-civil belge. Mais ces actes ont été rendu caduques par la mise sous tutelle massive des enfants auprès d’une certaine sœur Lutgardis, sans aucun jugement, et donc en toute illégalité. Si aujourd’hui, les chercheurs attestent de la « bonne foi » de sa démarche, cela explique la grande difficulté pour beaucoup d’entre-nous de retrouver leur histoire. En effet, les dossiers ont été éparpillés par-ci par-là, dans différentes institutions qui les ont pris en charge.
Outre le travail de recherche et de mémoire que l’Association des Métis de Belgique entreprend, nous aidons les enfants métis à accéder à leurs archives personnelles. Nous demandons à l’État belge d’ouvrir tous les documents ad-hoc auprès du ministère de Affaires étrangères, du Musée colonial de Tervueren, et des différentes institutions ayant hébergé les métis issus des colonie du Congo-Rwanda-Urundi. Sans quoi, certains ne pourront jamais recouvrir leur nationalité belge. »
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