Côte d’Ivoire : Youssouf Bakayoko, un diplomate peu consensuel
La reconduction à la tête de la Commission électorale indépendante de Youssouf Bakayoko n’est pas du goût de tous. Et pour cause : il occupait déjà ce poste lors de la présidentielle de 2010, scrutin le plus mouvementé de l’histoire de la Côte d’Ivoire.
Ils n’en veulent pas. Le 9 septembre, en signe de protestation contre la réélection de Youssouf Bakayoko à la tête de Commission électorale indépendante (CEI), l’Alliance des forces démocratiques (AFD), qui regroupe douze partis d’opposition, dont le Front populaire ivoirien (FPI), a annoncé qu’elle suspendait sa participation et celle de ses représentants aux travaux de la CEI. Quelques jours plus tard, le FPI votait son retrait de la commission.
"Youssouf Bakayoko n’est pas crédible et il a une grande responsabilité" dans la crise postélectorale de 2010, a justifié Alphonse Douati.
À 71 ans, Youssouf Bakayoko en a, semble-t-il, vu d’autres. L’ancien ministre des Affaires étrangères de Laurent Gbagbo a donc accueilli avec philosophie ces soubresauts. "C’est regrettable, mais je pense qu’ils vont revenir à la raison, parce que le travail à faire engage tout le monde", commentait l’intéressé au lendemain de la décision de l’AFD.
Un calme qui n’a en rien étonné ses proches. "Il a cette capacité à ne pas s’énerver, à attendre que les choses s’apaisent pour réussir à imposer son point de vue", confie l’un d’eux. "Sa façon de faire rappelle celle d’Henri Konan Bédié, président de son parti, le PDCI [Parti démocratique de Côte d’Ivoire]. La ressemblance entre les deux hommes est même physique. Il a les mêmes attitudes, les mêmes silences", renchérit un fin connaisseur de la politique ivoirienne.
Koyaka originaire de la région du Worodougou, dans la moitié nord de la Côte d’Ivoire, Bakayoko est né en 1943 à Bouaké, où son père était enseignant. Titulaire d’une licence en lettres de l’université Paris-X et de plusieurs diplômes dans les domaines des relations internationales et de la défense, il fait son entrée au ministère des Affaires étrangères en 1972. Onze ans plus tard, il est nommé ambassadeur – poste qui le mènera successivement en Allemagne, en Suisse, en Autriche et en France -, avant de remporter la mairie de Séguéla, en 1990.
>> Lire aussi l’interview de Youssouf Bakayoko : en 2010 "les membres de la CEI n’ont pas tiré sur les Ivoiriens"
Membre du bureau politique du PDCI, il est élu député cinq ans plus tard, et conserve son siège lors des législatives de 2000. Il prend alors la présidence de la commission des relations extérieures de l’Assemblée. En 2005, lorsque Charles Konan Banny, lui aussi membre du PDCI, devient Premier ministre, sa candidature au poste de ministre des Affaires étrangères fait l’unanimité. C’est donc en diplomate chevronné qu’il a été élu à la tête de la CEI en février 2010.
"Trop marqué par la crise postélectorale"
Mais aujourd’hui, le maintien d’un homme dont le rôle a été prépondérant lors de la présidentielle contestée de 2010 – c’est lui qui avait annoncé la victoire d’Alassane Dramane Ouattara – crée l’émoi au sein de l’opposition, qui estime que le poste aurait dû revenir à l’un des siens et que Bakayoko est tout sauf la personnalité consensuelle dont le pays a besoin. "Lors des négociations [sur la composition de la CEI], nous avions été clair sur ce point : nous ne voulons pas de lui. Le principe de sa non-reconduction avait même été accepté par toutes les ambassades et par l’Onuci [Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire], fulmine un cadre du FPI. Qu’on nous explique pourquoi on veut absolument le maintenir !"
La réélection de Bakayoko à la tête de la CEI crée également des remous au sein du PDCI, particulièrement chez ceux qui s’opposent à Henri Konan Bédié et à une candidature unique du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP, qui regroupe le PDCI et le Rassemblement des républicains, de Ouattara). "Nous ne considérons pas Bakayoko comme un membre du PDCI. Pour nous, il est un simple pion de Bédié", témoigne un proche de Kouadio Konan Bertin, l’un des chefs de file de ces "frondeurs".
"Personne ne doute de ses compétences, mais était-il le bon choix pour tourner la page de la crise postélectorale ? s’interroge un diplomate européen. Car ces vicissitudes font perdre un temps précieux à une commission dont le travail, à moins d’un an de la présidentielle, s’annonce loin d’être simple."
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Par Vincent DUHEM
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