Crises : CMI, DRC, Carter Center… les diplomates de l’ombre

Ils agissent en coulisses, quand les organismes officiels peinent à résoudre un conflit armé. Mais les méthodes et les résultats de ces négociateurs privés ne font pas toujours l’unanimité.

Lors du dialogue intermalien pour la paix, à Alger, le 1er septembre. © FAROUK BATICHE / AFP

Lors du dialogue intermalien pour la paix, à Alger, le 1er septembre. © FAROUK BATICHE / AFP

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Publié le 24 septembre 2014 Lecture : 6 minutes.

Avant de gagner Alger, le 1er septembre, pour la reprise des négociations de paix avec le gouvernement malien, les groupes armés du Nord-Mali ont passé une semaine à Ouagadougou afin de mettre à plat leurs divergences et d’harmoniser leurs revendications. À l’issue de leur réunion, les six principaux "mouvements politico-militaires de l’Azawad" ont signé une déclaration officielle affirmant qu’ils s’exprimeront désormais d’une même voix face aux autorités de Bamako. En bas du texte, les signataires remercient les autorités burkinabè et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), mais aussi l’énigmatique HD Centre.

Rares sont ceux qui connaissent ce troisième médiateur officieux. Selon plusieurs sources actives au coeur des négociations, le Centre for Humanitarian Dialogue (HD Centre) joue pourtant un rôle important dans le processus de paix malien. Basée à Genève et spécialisée dans la médiation au sein de conflits armés, cette ONG est présente au Mali depuis 2011.

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La mission de l’ONU a retenu ses services pour relancer le dialogue intermalien. "La Minusma est un médiateur officiel, soumis à une obligation de neutralité, explique une source diplomatique proche du dossier. Elle se sert donc de ce genre de relais pour ne pas être accusée de partialité." Ainsi, la réunion de Ouagadougou qui a réconcilié les six mouvements armés du Nord-Mali a été – en dehors des frais de transport et de logistique, payés par la mission onusienne – entièrement financée par le HD Centre, lui-même soutenu par l’ambassade du Danemark à Bamako.

Également actif en République centrafricaine à la demande de la présidente Catherine Samba-Panza, le HD Centre est loin d’être le seul organisme privé évoluant dans ce complexe univers de la diplomatie parallèle et de la médiation de conflit sur le continent. Du Darfour au Liberia en passant par le Sahel, chaque crise politico-sécuritaire draine son lot d’ONG ou d’instituts privés proposant leurs bons offices pacifiques, tels les Finlandais de Crisis Management Initiative (CMI), les Américains du Carter Center, ou encore les Danois du Danish Refugee Council (DRC).

Entre cette multitude d’instituts privés, la concurrence est parfois rude.

Beaucoup fonctionnent grâce aux financements d’États scandinaves ou réputés "neutres", comme la Suisse ou le Luxembourg, qui peuvent débourser jusqu’à 30 000 euros pour un séminaire d’une semaine. "Ces pays n’ont pas l’aura diplomatique de la France en Afrique, analyse un diplomate français. Ils utilisent ce genre d’organismes pour maintenir une certaine influence sans être en première ligne."

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Former à la médiation

Entre cette multitude d’instituts privés, la concurrence est parfois rude. Au Mali, l’ancien chef de projet du HD Centre, le Français Éric Blanchot, a été remercié en mars. Doté d’un important carnet d’adresses et proche des groupes armés, il a réactivé dans la foulée sa propre structure privée, Promédiation, financée par des fonds norvégiens. Lui aussi intervient en coulisses dans les négociations maliennes.

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En août, pendant que son ancien employeur organisait, à Bamako, des formations aux techniques de médiation pour des groupes rebelles (Coalition du peuple pour l’Azawad, CPA ; Mouvement arabe de l’Azawad, MAA – dissident du Mouvement national de libération de l’Azawad, MNLA – ; Coordination des mouvements et fronts patriotiques de résistance, CM-FPR) et une délégation du gouvernement malien, son équipe faisait de même à Ouagadougou avec des représentants du MNLA, du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), et du MAA.

"Courtiers de conflits"

Pour certains, ce genre de pratiques peut dépasser le cadre d’une simple médiation. "Ces organismes vont parfois plus loin que ce qu’ils sont censés faire, déplore notre source diplomatique. Lorsqu’ils aident les groupes armés à formuler des revendications, ils vont au-delà de la "simple" formation." Pierre-Antoine Braud, docteur en sciences politiques et spécialiste du domaine, les appelle les "courtiers de conflit". Selon lui, ils débusquent le rebelle le plus présentable, le plus familier des codes occidentaux, puis tentent de s’appuyer sur lui. Quitte parfois à l’éloigner de sa base et à brouiller le message initial de sa rébellion.

Sur leurs méthodes, "ces prestataires de services ont tendance à rester secrets. Cela peut déraper dès que l’une des parties remet en question leur neutralité", explique un fonctionnaire européen installé à Bamako. Ils organisent des rencontres discrètes, la plupart du temps dans un autre pays, entre États et groupes armés, et créent les conditions d’un dialogue. Certains gouvernements n’hésitent pas à s’en débarrasser dès que la situation paraît leur échapper, ou que l’organisme semble perdre sa neutralité.

Quant à l’efficacité de ces médiateurs privés, là aussi, les avis divergent. Alors que le chef d’un mouvement touareg évoque leur "indéniable rôle de facilitateurs", un diplomate en poste à Bamako préfère parler de "personnes disposant d’un gros réseau, mais n’ayant pas la force de conviction d’acteurs officiels tels qu’un État ou que l’ONU". Cependant, ces derniers ont un agenda.

Or un conflit ne se soumet pas à une date limite. Quand la signature d’un accord de paix est imposée, le résultat est rarement satisfaisant. C’est ce chaînon manquant dans le processus de paix que ces ONG proposent de combler, et ce d’autant plus aisément qu’elles peuvent être désavouées par l’une ou l’autre des parties sans que cela nuise aux institutions qui les mandatent.

Part de gâteau

La diplomatie parallèle démontre aussi l’incapacité des États et des organisations internationales à résoudre une crise. Les régimes victimes d’une rébellion peuvent voir la diplomatie classique comme une forme d’ingérence, et donc se montrer favorables à une autre voie. "Il y a beaucoup de jalousies. Les organismes s’agglutinent – à grands coups de voyages, de per diem, sans aucune coordination – autour de conflits qui paraissent pérennes et rentables. Idem du côté des États ayant des intérêts dans le pays en crise, ou des organismes de type Union africaine, ONU… Chacun veut sa part du gâteau", explique le fondateur d’une ONG spécialisée dans la médiation.

Un autre pays du continent, pourtant touché par un conflit majeur depuis des années, reste en dehors du giron de ces "faiseurs de paix" : le Nigeria.

Sur place, il faut composer avec les intérêts des uns et des autres, précise-t-il : "On ne peut pas travailler au Soudan du Sud sans parler avec les Américains, les Britanniques et les Norvégiens, de même qu’on ne peut espérer travailler au Tchad ou en Centrafrique sans être en bons termes avec les Français."

Un autre pays du continent, pourtant touché par un conflit majeur depuis des années, reste encore en dehors du giron de ces "faiseurs de paix" : le Nigeria. Certains ont essayé, à titre privé, de mener des médiations avec Boko Haram. Des organisations internationales, tel le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), ou des instances religieuses, comme la communauté Sant’Egidio, ont aussi proposé leurs services – sans succès. Si certains organismes privés, notamment l’américain Search for Common Ground, y conduisent des projets à l’échelle locale, aucun n’a pour l’instant tenté de résoudre cette crise africaine.

Divines médiations

Plusieurs institutions religieuses font oeuvre de médiation dans l’ombre sur le continent. Comme l’Église anglicane et l’Église norvégienne, le Vatican a son relais diplomatique : la communauté Sant’Egidio. Cette organisation catholique romaine, qui a aidé à résoudre plusieurs conflits en Afrique, a récemment joué les médiateurs au Mali, en invitant les rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) à Rome.

Elle a également tenté d’user de son influence pacifique en Centrafrique et au Nigeria, cette fois sans grand succès. Les musulmans ne sont pas en reste. L’Organisation de la conférence islamique (OCI) est ainsi active au Mali et en Centrafrique. Elle compte parmi les "facilitateurs" présents à Alger pour les négociations de paix maliennes. Et son envoyé spécial en Centrafrique, le Sénégalais Cheikh Tidiane Gadio, joue un rôle important dans la résolution de la crise que traverse ce pays.

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