Francophonie : qui pour succéder à Abdou Diouf ?
Jean, Nfumu, Lopes, L’Estrac, Buyoya… Qui sera le prochain secrétaire général de l’organisation ? Entre désaccords africains et hésitations françaises, le suspense reste entier.
À l’Élysée, au Quai d’Orsay ou au siège l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), avenue Bosquet, à Paris, c’est le même refrain. On a beau se creuser les méninges depuis un an, rien n’y fait. Le candidat idéal à la succession d’Abdou Diouf – à savoir un ancien chef d’État africain élu démocratiquement ne s’étant pas accroché au pouvoir, pas trop vieux, charismatique et travailleur – est introuvable.
Or le temps presse. Alors que les favoris font campagne entre Paris, Bruxelles, Genève et le continent, il reste dix semaines aux 57 États membres de l’OIF pour s’entendre sur le nom d’un successeur à l’actuel secrétaire général, qui fera ses adieux chez lui, à Dakar, les 29 et 30 novembre, lors du 15e sommet de la Francophonie. Mais qui pour prendre le relais ?
La coutume voudrait que ce soit un Africain. Tacitement, le pacte signé à Hanoi en 1997 exige que le secrétaire général soit un représentant du Sud – plus précisément de l’Afrique, d’où sont issus plus de la moitié des membres de l’OIF. Son bras droit, l’administrateur, doit venir du Nord, principal bailleur de l’organisation. Seulement voilà, aucun des candidats ne soulève l’enthousiasme général. "Si l’un d’eux gagne, ce sera par défaut", affirme un acteur majeur de la Francophonie.
Divisions africaines et lobbying
Depuis le retrait début septembre du Malien Dioncounda Traoré, quatre Africains sont en lice, ainsi qu’une Nord-Américaine, la Canadienne d’origine haïtienne Michaëlle Jean, que beaucoup donnent favorite en raison des divisions africaines et de son intense lobbying. Au sénateur équato-guinéen Agustin Nze Nfumu (63 ans), un proche du président Teodoro Obiang Nguema, personne n’accorde la moindre chance.
>> Lire l’interview de Michaëlle Jean : "Ma candidature à la Francophonie est le résultat d’une écoute"
La Canadienne Michaëlle Jean, à Jeune Afrique, le 10 septembre. © Vincent Fournier pour J.A.
Son pays, une ancienne colonie espagnole, n’est pas un parangon de démocratie… Henri Lopes, ex-Premier ministre congolais (Brazzaville), est certes mieux coté. Mais si le diplomate-écrivain jouit d’une grande sympathie, il a déjà 77 ans et, pour beaucoup, il représente une Francophonie plus portée sur la coopération culturelle que sur l’influence politique et économique.
C’est sur cette dernière, sur le besoin aussi de donner un nouvel élan à l’OIF, que les deux autres candidats du continent, Jean-Claude de L’Estrac et Pierre Buyoya, principaux rivaux de Michaëlle Jean, mettent l’accent. Le Mauricien de 66 ans et le Burundais de 64 ans tiennent à peu près le même discours. Il faut "poursuivre ce qui a été entrepris", et "s’adapter aux changements du monde", donner à l’OIF "une dimension économique". Autrement dit, la coopération culturelle et les médiations dans les crises politiques, d’accord, mais il faut aussi entrer dans la mondialisation et créer des passerelles avec les autres aires linguistiques.
Le Mauricien Jean-Claude de L’Estrac. © Vincent Fournier pour J.A.
Sur le papier, Buyoya présente le profil le plus proche du candidat idéal. C’est un ancien chef d’État de l’Afrique centrale – il a dirigé le Burundi à deux reprises. Ce qui est tout sauf négligeable, comme le souligne un diplomate du département Paix et Sécurité de l’organisation : "C’est essentiel, surtout en Afrique, qui représente 90 % de notre action. Diouf est écouté par les chefs d’État parce qu’il l’a lui-même été." En outre, Buyoya a fait ses preuves en matière de médiation, notamment au sein de l’OIF. Il a exercé en Centrafrique, au Bénin, et au Mali pour l’Union africaine (UA).
Candidat putschiste
Problème, et pas des moindres, le Burundais a pris le pouvoir par les armes à deux reprises. "Les Suisses et surtout les Canadiens lui sont très hostiles", précise-t-on à l’Élysée. "Vous le voyez faire la leçon à des putschistes, alors que lui-même l’a été ?" raille un cadre de l’OIF. Mais d’après Buyoya, "le plus important, ce n’est pas comment on a accédé au pouvoir, mais comment on l’a quitté".
Le parcours de Jean-Claude de L’Estrac est moins sulfureux. Moins clinquant aussi. Celui qui dirige la Commission de l’océan Indien (COI) a été journaliste, député et ministre, mais pas chef d’État. Et son pays, Maurice, ne compte pas beaucoup sur le continent. Cependant, "c’est un homme de qualité, qui a fait ses preuves de médiateur à Madagascar", estime un diplomate français. Au fil de ses rencontres avec les leaders africains, L’Estrac a marqué des points. Même François Hollande aurait été séduit lors du sommet de la COI à Moroni, fin août.
L’Estrac, comme Buyoya et Jean, s’est rendu dans la plupart des capitales qui comptent et a été reçu par Annick Girardin, la secrétaire d’État française chargée du Développement et de la Francophonie. Mais ça n’est pas elle qui déterminera le choix de la France. "La décision relève de l’Élysée, même si Laurent Fabius aura son mot à dire", concède un membre du Quai d’Orsay.
Le Burundais Pierre Buyoya. © Vincent Fournier pour J.A.
Difficile de trouver la perle rare
Le ministre français des Affaires étrangères s’est longtemps échiné à trouver la perle rare, avant, semble-t-il, de jeter l’éponge. "Il répète sans cesse que notre préférence va à l’Afrique, relate un proche. Mais il dit aussi aux Africains : "Donnez-moi un nom, un seul !"" Fabius a bien tenté de convaincre le Gabonais Jean Ping… En vain. L’ancien président de la Commission de l’UA a d’autres ambitions. À Paris, on a aussi pensé à Blaise Compaoré, mais le président burkinabè, dont le mandat expire dans un an, a poliment refusé.
Un proche de Girardin admet que "ce serait plus facile si les Africains s’accordaient sur un candidat crédible". En attendant, la France constate que le charme de Michaëlle Jean opère. "Le président veut un secrétaire général du Sud, rappelle un proche de Hollande. Mais il ne soutiendra un candidat que lorsque l’Afrique se sera entendue. Pour l’heure, il observe."
C’est le serpent qui se mord la queue. Car de leur côté, les Africains attendent que la France prenne position. Ils n’ont pas oublié qu’en 2002 tout le monde pensait à Henri Lopes pour succéder à Boutros Boutros-Ghali, lorsque Jacques Chirac, alors président, a imposé Diouf. Un souvenir douloureux qui pousse Lopes à ne pas faire campagne. "Sauf que Hollande n’est ni Chirac ni Sarkozy, souffle un proche du président français. Jamais il n’imposera son candidat."
Que des promesses orales
Le continent est cependant loin du consensus. Pour l’heure, hormis les pays de l’océan Indien favorables à L’Estrac, personne ne s’est officiellement prononcé. Le Mali et le Sénégal soutiendraient Jean, le Gabon serait derrière L’Estrac… "Ce ne sont que des promesses orales", selon un diplomate français. "Les chefs d’État sont conscients qu’il faut trouver un candidat commun, mais ils n’y parviennent pas", précise un ancien haut responsable de l’OIF. Peut-être en discuteront-ils à la fin du mois, lors de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York. Sinon, "tout se décidera au dernier moment, dans le huis clos de Dakar", pronostique un cadre de l’organisation. C’est aussi le pari de Lopes.
L’avis de Diouf, qui préférerait voir un Africain lui succéder, pourrait aussi compter. Comme d’habitude, le Sénégalais "est d’une prudence de Sioux", selon l’un de ses collaborateurs. Il ne dévoilera pas le nom de son favori, mais il a déjà fait connaître "sa préférence" aux leaders africains, aux Canadiens, ainsi qu’à Hollande et à Girardin. Son entourage penche pour Buyoya, mais admet que L’Estrac fait "un bon candidat de compromis" et reconnaît des qualités à Jean.
Tout le monde a bien compris qu’il était chimérique d’espérer un clone de Diouf. Et que tant qu’à "passer à autre chose", selon l’expression d’un cadre de l’organisation, autant y aller franchement.
Dioncounda Traoré. © AFP
Dioncounda, le candidat éclair
La candidature de Dioncounda Traoré, l’ancien président par intérim du Mali, n’aura tenu qu’un mois. Il n’a en fait jamais eu le soutien d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Certes, c’est avec l’autorisation d’IBK que, dans un courrier adressé le 31 juillet à Abdou Diouf par l’ambassadeur du Mali en France, Bamako a présenté la candidature de Traoré. Mais le président malien n’a jamais fait la publicité de son prédécesseur auprès de ses pairs.
Deux raisons à cela (outre le fait que les deux hommes ont peu d’atomes crochus). D’une part, le Mali lorgnait déjà deux postes prestigieux : la présidence de la Banque africaine de développement (BAD) et la direction Afrique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). "Trois, ça faisait trop, on risquait de tout perdre", indique-t-on à Koulouba. D’autre part, IBK aurait promis son soutien à un autre candidat, qui pourrait être la Canadienne Michaëlle Jean. "Elle semble avoir fait son effet au Mali", souffle un proche de Traoré. Ce dernier, dont la candidature n’a pas non plus enthousiasmé la diplomatie française, a compris qu’il n’avait aucune chance. Il a donc décidé de se retirer début septembre, en accord avec IBK.
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