Le Burundi, un pays qui sombre dans les ténèbres ?
Une vidéo d’une célébration festive du parti au pouvoir circule depuis peu sur les réseaux sociaux.
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Armel Gilbert Bukeyeneza
Armel Gilbert Bukeyeneza est un journaliste burundais.
Publié le 1 juin 2017 Lecture : 3 minutes.
La vidéo du jeune Imbonerakure érigé en instituteur sûr de lui, faisant réciter à un groupe de jeunes danseuses un désolant sketch qui égrène naïvement les dates sombres de l’histoire du Burundi m’a laissé stupéfait, groggy. D’après ces jeunes-filles qui, visiblement, n’ont même pas 15 ans, et qui sont donc nées après la signature des Accords d’Arusha de 1965, 72, 88, ou 93, les responsables de tous les maux sont les opposants au régime actuel du Cndd-Fdd. Une soupe empoisonnée, des salades, que le jeune homme zélé, en uniforme du parti au pouvoir fait avaler à des innocentes.
Donc voilà à quoi nos enfants, les enfants de nos enfants, auront désormais droit : à la désinformation et à l’intoxication parce que – tenez-vous bien -, il n’y a, ou il n’y avait jusqu’à présent rien au programme scolaire sur la période s’étirant de l’indépendance à nos jours. Alléluia, amen ! Le vide est comblé. Les Imbonerakure apportent la lumière. Maintenant on peut ranger la Commission vérité et réconciliation aux oubliettes ! On sait désormais tout !
#BURUNDI regime is teaching hatred songs in public schools.We all know what follows. Why do we ignore earlier warning signs of a genocide? pic.twitter.com/hATLG1NNZL
— MINANI Jérémie 🇧🇮 (@minanijeremie) May 30, 2017
Reste à savoir si cette scène surréaliste révèle un nouveau cap franchi dans la surenchère qui aboutira à sacrifier la prochaine génération de jeunes (l’actuelle l’étant quasiment déjà avec la crise de 2015), en lui injectant le venin de la haine, en l’infectant avec nos blessures, nos traumas et nos cauchemars. Ou si elle relève d’un « acte isolé », ou d’un « montage grossier fomenté dans les camps de Mahama », comme on aime bien le dire ici et là.
Une jeunesse sacrifiée sur l’autel des intérêts partisans
« Izija guhona zihera mu ruhongore » : « une espèce qui va disparaître commence par perdre sa jeunesse », nous apprend la sagesse burundaise. En instillant dans ces enfants les tares du passé, en leur transférant l’ignorance, l’intolérance et l’esprit de vengeance, on sait au moins que la guerre, la violence ont des prosélytes pour les 20 ou 30 ans à venir. Mais, calmons-nous, on ne donne que ce que l’on a : ce pauvre Imbonerakure, malheureusement lui aussi victime de l’histoire, probablement touché par les crises antérieures comme la plupart des Burundais, n’est qu’une caisse de résonnance d’un discours que l’on entend souvent, qu’on lit sur les réseaux sociaux de la part de ses « modèles », « instruits » (« baciye ku ntebe y’ishure »), ou intellectuels (« incabwenge »).
« Les opposants à Nkurunziza sont ceux qui ont commis l’innommable de 1993, massacré la population de Ntega et Marangara en 1988, épuré l’élite hutu en 1972… » Les trolls ne nous servent que ça sur Twitter. Bientôt ils diront que les opposants ont même tué Jésus !
Au Burundi, toutes les voix de la raison se taisent les unes après les autres
C’est là que je comprends ce que m’a répondu un expert burundais il y a peu, quand je lui proposais une interview pour faire le point sur la situation économique du pays : « Erega nta gihugu mugifise ! Mfise umuryango i Burundi, sinzosubira kuvuga ku vyerekeye igihugu ibintu bikimeze uku » : « Vous n’avez plus de nation. Ma famille est au Burundi, je ne m’exprimerai plus sur la situation du pays tant que les choses seront telles qu’elles sont aujourd’hui. »
La réponse m’a interloqué, mais aussi interpellé sur un autre drame du Burundi : toutes les voix de la raison se taisent les unes après les autres. Signe éloquent d’un pays qui sombre dans les ténèbres.
Un texte initialement publié sur la plateforme de blogueurs Yaga-Burundi.com.
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