Soufiane Ababri, l’artiste marocain qui questionne la sexualité et le racisme avec des crayons de couleur

Soufiane Ababri est un jeune artiste marocain basé en France, qui analyse avec réalisme et créativité des questions hautement politiques. La question de l’homosexualité au Maghreb, ou le racisme à la française, par exemple.

Détail d’une oeuvre de la série « Bedwork », de Soufiane Ababri © DR/Soufiane Ababri

Détail d’une oeuvre de la série « Bedwork », de Soufiane Ababri © DR/Soufiane Ababri

CRETOIS Jules

Publié le 2 juin 2017 Lecture : 3 minutes.

« C’est une série de dessins que j’ai commencé à faire il y a deux ans, et que je réalise allongé dans un lit », explique tout de go Soufiane Ababri, artiste né à Rabat en 1985 et qui vit aujourd’hui en France, à propos de sa série, très logiquement intitulée Bedwork.

La position allongée dans laquelle il se plaît à travailler, Ababri la conceptualise, quand il l’explique : « C’est la position dans laquelle nous représentaient les peintres orientalistes : nonchalants, paresseux, offerts sur des coussins… ». Ainsi dans Bedwork, on retrouve beaucoup d’hommes, parfois nus, souvent représentés la main sur l’appareil reproducteur. Certains sont de face, rappelant les photos de profil que l’on trouve sur les réseaux sociaux, ou encore le selfie. Le mélange de réalisme et de créativité frisant l’univers enfantin, confère à l’œuvre d’Ababri un aspect contemporain réel, tout en la rendant abordable et démocratique.

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Pourtant, le dessinateur est un intello, qui partage sur Internet ses conseils de lecture. En ce moment, c’est Mâle décolonisation. L’homme arabe et la France, de l’indépendance algérienne à la révolution iranienne, de l’universitaire américain Todd Shepard, tout juste paru en français. Dans Bedwork, la question de l’homosexualité est omniprésente et se frotte à celle du passé colonial et du racisme. Ababri, crayon en main, fait la critique en creux d’un orientalisme qui oscillait entre homophilie et homophobie, entre racisme et fantasmes et le réactualise.

Une critique du racisme à la française

La critique de l’histoire coloniale était déjà au centre de son travail What’s The Name Of This Nation, présenté à la galerie Cube à Rabat en 2015. Chez lui, tout est politique. Par ailleurs, tous les travaux de Bedwork sont réalisés aux crayons de couleur, « pour parler de sujets graves grâce à une technique mineure, liée dans les consciences à l’amateurisme ». Ce féru de sociologie et d’histoire contextualise encore son travail : « Il est déterminé par ma situation d’homosexuel originaire d’un pays musulman ».

Mon travail est déterminé par ma situation d’homosexuel originaire d’un pays musulman

Bedwork est en tout cas une critique acerbe du racisme et des violences sociales à la française. Son dessin d’un homme noir, dans une rue, une pancarte à la main avec une inscription − « Le seul contact que j’ai vécu dans un bar gay est quand on m’a demandé si je vendais de la drogue » − est un véritable uppercut. Son érotisation du corps d’un employé de la RATP (la régie de transports en commun d’Île de France), que l’uniforme rend habituellement invisible aux yeux des usagers, produit le même effet :  une sorte de prise de conscience comme un électrochoc.

Une étrange introspection

Abdellah Taïa, auteur marocain qui travaille aussi sur la question de l’homosexualité au Maghreb est un ami d’Ababri. Et un fan, qui tranche : « C’est rare de voir des œuvres qui font éclatent les tabous de manière si spectaculaire. Son travail compte parmi les plus libres, les plus joyeux et les politiques du moment. »

C’est rare de voir des œuvres qui font éclatent les tabous de manière si spectaculaire

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Plus récemment, Ababri a présenté en France une autre série, Les Nouveaux masques. Des détournements de photographies qu’on trouve sur des sites de rencontres gays, retravaillées par un système de collage permettant d’anonymiser les personnes. Peut-être moins abordable que la série Bedwork, Les Nouveaux masques interroge elle aussi avec intelligence et subtilité les questions liées au corps et à la représentation.

Taïa s’extasie du « regard précis » de son ami. En effet, son travail est tout entier un jeu de regard. Un jeu de miroir aussi : Ababri observe un monde qui l’observe. Il met ainsi en abyme son propre point de vue de minoritaire, et joue la carte d’une étrange introspection en pleine conscience, qui mêlerait expériences intimes, perception particulière, représentations communes et faits sociaux convenus.

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