Guerre de six jours à Kisangani : 17 ans après, les jeunes n’ont rien oublié…

Dans la matinée du 5 juin 2000 éclatait à Kisangani, dans le nord-est de la RD Congo, un conflit à l’arme lourde entre les Forces rwandaises et ougandaises, qui soutenaient chacune un groupe rebelle congolais. Dix-sept ans plus tard, de jeunes Congolais ont lancé des hashtags sur les réseaux sociaux pour dénoncer ce crime de guerre.

Un cimetière de Kisangani où sont enterrées des victimes d’un conflit de 2002 entre milices (image d’illustration). © CHRISTINE NESBITT/AP/SIPA

Un cimetière de Kisangani où sont enterrées des victimes d’un conflit de 2002 entre milices (image d’illustration). © CHRISTINE NESBITT/AP/SIPA

Publié le 8 juin 2017 Lecture : 5 minutes.

Il y a des souvenirs qui ne passent pas. Ainsi en va-t-il de la « Guerre de six jours » à Kisangani, entre le 5 et le 11 juin 2000. Alesh Chirwisa avait 15 ans à l’époque. Le 5 juin, ce jeune rappeur et activiste congolais invite sur ses comptes Facebook et Twitter les témoins de ce conflit meurtrier – plus de 1 000 morts – à raconter ce qu’ils ont vécu avec les hastags #JoubliePas #Kisangani6Jours. La toile s’emballe, les témoignages se multiplient dans une sorte de psychothérapie collective. Des réactions aussi poignantes que nécessaires.

Contacté par Jeune Afrique, Alesh dit vouloir écrire un chapitre occulté des livres d’histoire. « Kisangani, c’est vraiment ma ville et ça me fait mal de voir un épisode aussi grave passer inaperçu. On ne veut pas que les gens nous raconte une autre version de l’histoire, on veut l’écrire et la raconter telle qu’on la vécue. »

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« Je ne sais pas comment nous sommes sortis de là vivant… »

Au troisième jour de la guerre, Alesh est cloué à la maison avec ses parents et le reste de sa famille : « Très tôt au levé du jour, les Rwandais devant notre maison commencent à bombarder les positions ougandaises se trouvant à environ 100 m. Plus de 30 obus projetés à partir de chez nous, dans le quartier Plateau Boyoma. Je suis à deux doigts de me pisser et de me chier dessus. Les Ougandais étaient super doués en calculs de trajectoire et ils décidèrent de répliquer. Ils vont lancer trois obus en réponse et forts de notre expérience de trois jours de ligne de front, après avoir entendu partir trois coups d’obus, nous savions qu’il fallait compter trois détonations d’explosion pour être sûr que les trois bombes avaient explosé et que notre tour n’était pas encore arrivé.

Le premier obus explose dans le voisinage. Le deuxième aussi… et  le troisième atterrit dans la chambre où mon frère Patrick, ma sœur Rachel et moi étions cachés. Car mon père avait décidé que l’on soit dispersés dans la maison. Grosse fumée, grosse poussière, ça sent le brûlé… Je ne vois plus rien ! J’ouvre grand mes yeux mais impossible de voir quoi que ce soit. Connaissant par cœur la géographie de la maison, l’instinct de survie me pousse à ramper aussi rapidement qu’un cafard en danger. Je voulais m’enfuir et rejoindre ma mère qui était dans le couloir. Rampant à l’aveuglette, voulant atteindre la porte de la chambre, quelqu’un m’attrape par la jambe ! Ma peur décuple d’intensité ! Je donne le coup de pied le plus intense avec le peu de force qui me reste… mais la personne ne me lâche pas ! C’était ma sœur Rachel. Elle s’accrochait désespérément à moi pour pouvoir se sauver elle aussi. Je ne sais pas comment nous sommes sortis de là vivant… »

« Serge est mort dans mes bras »

« Cette triste histoire jetée dans les oubliettes par ses commanditaires hante nos esprits car cette guerre injuste à meurtrie nos cœurs, commente de son côté Fiston Katerus, à l’appel lancé par le rappeur congolais. Comme l’initiateur de la campagne, Fiston Katerus était à Kisangani à l’époque. Il avait 21 ans.

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« Les Ougandais avaient décidé de faire de notre quartier leur QG. Avec mon hôte et d’autres amis, nous voulions traverser le pont Tshopo quand l’armée rwandaise s’est pointée de l’autre coté en tirant sur les troupes ougandaise qui étaient sur le pont. Beaucoup de gens sont morts, dont l’un de nos amis. Ils ont été touchés par des balles perdues. Ils sont restés là et nous sommes rentrés en courant chez mon ami où je suis resté deux nuits. Mercredi 7 juin, donc le troisième jours de la guerre, je décide de rentrer chez ma mère. Sur ma route, je rencontre mon ami Serge Longandi. Avec lui, nous empruntons la Zéro avenue pour contourner les militaires et leurs embuscades que les Rwandais  appelaient hambuchi. L’idée était de s’abriter à nouveau chez une famille que je connaissais bien, à la 10e rue de la commune, mais quand j’ai vu l’état de la maison, j’ai compris que personne n’avait survécu. Alors on a décidé de courir et à ce moment là, je sens que Serge n’y arrive plus. Une balle l’avait atteint. Il m’a tout juste dit : « Drangon endelesha bwana kuna isha utani lamikiya na mama yangu et le petit Robert », ce qui veut dire : « Je ne saurai continuer avec toi papa, mes compliments à ma mère et mon petit frère Robert. » Je l’ai vu mourir, Serge est mort dans mes bras et je ne pouvais rien faire pour sauver la vie de mon ami. Aujourd’hui encore, je me demande si son corps a été pris en charge après ou pas. Ce sentiment d’inachevé m’a dérangé pendant bien longtemps… »

« Une balle dans la tête »

Chris Elongo, originaire de Kisangani, est aujourd’hui journaliste à Kinshasa. Il avait 17 ans au moment des faits.

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Pendant six jours, celui qui s’était promis de ne plus revenir sur cette guerre accepte de relater ses souvenirs : « Quand j’ai vu les hashtags lancés par Alesh sur la Guerre de six jours, j’ai compris qu’il y avait encore des séquelles en moi, que la guerre avait laissé des traces dans ma vie et qu’il me fallait raconter ce que j’ai vécu pour faire entendre ma voix et aussi rendre hommage à mon ami, » confie-t-il au téléphone à Jeune Afrique.

Les victimes demandent justice

Aujourd’hui, l’Association des victimes de la Guerre de six jours à Kisangani ne baisse pas les bras. Depuis dix sept ans, les membres de l’Association s’organisent pour saisir les instances congolaises. Mais après la condamnation de l’Ouganda en 2005 par la Cour internationale de Justice(CIJ), la plus haute instance judiciaire des Nations unies, les familles des victimes ont le sentiment que rien n’a été fait concrètement. Le Rwanda, lui, n’a pas été poursuivi car n’ayant pas accepté les compétences de la Cour pour ses ressortissants. 

Que les Congolais impliqués soient poursuivis par la justice de leur pays, demande l’Association des victimes.

Pourtant, la guerre de six jours à Kisangani, c’est plus de 1 000 morts, au moins 500 blessés et quelques 800 bâtiments détruits. Et les Nations unies avait reconnu, dès le 16 juin 2000, « la violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la RDC. »

Sur le terrain à Kisangani, l’Association des victimes s’organise donc autrement, en plusieurs petits groupes notamment de revendication et de plaidoyer, pour faciliter le fonctionnement et l’avancement de leur lutte. « L’Association des victimes de la Guerre de six jours a suivi pas mal de formations entre 2012 et 2017, notamment sur la justice congolaise et internationale », explique Dismas Kitenge, président de l’ONG Lotus qui organise ces formations avec l’appui du Centre international pour la justice transitionnelle. « L’objectif, c’est de mieux préparer le cahier des charges pour les revendications internationales mais aussi de mieux comprendre ses droits du coté de la justice congolaise, car nous souhaitons vivement que les Congolais impliqués dans cette affaire soient poursuivis par la justice de leur pays. »

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