Restes humains découverts au Maroc : « Les Homo sapiens se sont répandus dans toute l’Afrique il y a plus de 300 000 ans »

Des restes humains ont été découverts au Maroc sur le site de Jebel Irhoud. On estime qu’ils ont 300 000 ans voire un peu plus, ce qui repousse d’au moins 100 000 ans l’âge des premiers Homo sapiens, les ancêtres de l’homme moderne. Jean-Jacques Hublin, l’un des deux directeurs des fouilles, décrypte pour nous cette découverte.

Jean-Jacques Hublin et Abdelouahed BenNcer, les deux directeurs des fouilles de Jebel Irhoud. © Patrick Imbert/Collège de France

Jean-Jacques Hublin et Abdelouahed BenNcer, les deux directeurs des fouilles de Jebel Irhoud. © Patrick Imbert/Collège de France

Publié le 9 juin 2017 Lecture : 5 minutes.

L’Homo sapiens a encore pris de l’âge avec les découvertes de Jean-Jacques Hublin, de l’institut Max-Planck de Leipzig et du Collège de France, et du professeur Abdelouahed Ben-­Ncer, de Institut National d’Archéologie et du Patrimoine, à Rabat, au Maroc. Cent mille ans, exactement. Les fossiles humains retrouvés sur le site marocain de Jebel Irhoud dans la région de Safi ont environ 300 000 ans alors que jusqu’à maintenant les restes d’Homo sapiens trouvés en Éthiopie laissaient penser que notre ancêtre était apparu il y a 200 000 ans.

On est certes loin des sept millions d’années de Toumaï, le plus vieux représentant de l’humanité à ce jour découvert par Michel Brunet au Tchad en 2001. Mais à Jebel Irhoud, on ne parle pas d’australopithèques ou d’Homo habilis ni même d’Homo erectus : les Homo sapiens d’Afrique du Nord sont apparus bien plus récemment, et sont plus proches de nous morphologiquement que Toumaï.

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La richesse de ce site relance aussi la réflexion concernant la présence géographique de l’Homo Sapiens en Afrique. Jean-Jacques Hublin nous éclaire sur le sujet.

Jeune Afrique : Les découvertes de restes d’Homo sapiens datés de 300 000 ans sur le site de Jebel Irhoud font-t-elles du Maroc le berceau de l’Homme moderne ?   

Jean Jacques Hublin : D’abord, ce ne sont pas des hommes modernes, ce sont les ancêtres des hommes modernes, des Homo sapiens archaïques. Mais ils partagent beaucoup de caractères avec les hommes d’aujourd’hui.

Nous pensons que ces Homo sapiens se sont répandu dans toute l’Afrique il y a plus de 300 000 ans

Cette découverte au Maroc pourrait changer la date et l’endroit de l’apparition de l’espèce, mais il y a de nombreuses régions d’Afrique où nous n’avons pas du tout de fossiles. Les fossiles de Jebel Irhoud sont les plus anciens connus, mais pas les plus anciens ayant existé.

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L’analyse du matériel de Jebel Irhoud et d’autres sites en Afrique du Sud et en Afrique de l’Est nous font penser qu’il y a 300 000 ans, ces Homo sapiens archaïques étaient déjà répandus sur une grande partie du continent africain.

Le site archéologique de Jebel Irhoud au Maroc (illustration) © Shannon McPherron, MPI EVA Leipzig, Crédit: CC-BY-SA 2.0

Le site archéologique de Jebel Irhoud au Maroc (illustration) © Shannon McPherron, MPI EVA Leipzig, Crédit: CC-BY-SA 2.0

Plutôt que de voir dans toutes ces découvertes la marque d’un espèce de berceau de l’Humanité qui serait au Kenya, en Éthiopie ou au Maroc, nous pensons que ces Homo sapiens se sont répandus dans toute l’Afrique avant il y a 300 000 ans et c’est toute l’Afrique qui a été impliquée dans l’évolution et l’apparition de l’homme moderne.

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Est-ce à dire que l’Homo sapiens archaïque serait apparu il y a plus de 300 000 ans ?

Oui, c’est très probable. Les outillages qu’on associe à ces hommes, datent de l’époque dite du Middle Stone Age, laquelle date d’au moins 300 000 ans.

Quelle était la nature du site de Jebel Irhoud à l’époque?

C’était une grotte que les hommes n’occupaient pas de façon permanente, mais assez intensément quand même. Il y a toujours à cet endroit beaucoup de silex. Les Homo sapiens chassaient la gazelle mais aussi le zèbre et d’autres animaux. Ce site ne devait pas être le centre de leur domaine. La plupart des matériaux proviennent d’une zone qui est 20 à 30 kilomètres plus au Sud.

Le site archéologique de Jebel Irhoud a été découvert en 1960, pourquoi ces révélations n’arrivent qu’aujourd’hui ?

« Jebel» signifie « petite montagne » et c’est un site où il y a eu autrefois des mines de barytine. Ces mines ont creusé des galeries dans le massif calcaire et un jour l’une de ces galeries a rencontré une poche de sédiments qui était en fait une grotte dans laquelle il y avait des ossements, des silex taillés et les ouvriers ont découvert un crâne. C’est la première découverte à Jebel Irhoud en 1961.

On a trouvé trois adultes, un adolescent et un enfant

Dans les années qui ont suivi, il y a eu quelques travaux sans grande rigueur scientifique sur le site, sauf à la fin des années 60. Ensuite, le site a été abandonné et est devenu un dépotoir.

En 2004, nous avons entrepris avec Abdelouahed Ben-­Ncer et grâce aux autorisations obtenues par Insap, de nettoyer le site puis d’étudier ce que la mine n’avait pas dévasté. L’idée de départ était surtout de dater le site précisément. Je ne pensais pas du tout trouver des restes humains. Le nombre de spécimens est passé de 6 à 22. On a donc une série de fossiles assez remarquables qui représentent cinq individus : trois adultes, un adolescent et un enfant. On a trouvé des crânes, des mandibules, des dents, des os, des vertèbres… Il y a un peu de tout.

Jean-Jacques Hublin était le co-directeur des fouilles. © Shannon McPherron, MPI EVA Leipzig, License: CC-BY-SA 2.0

Jean-Jacques Hublin était le co-directeur des fouilles. © Shannon McPherron, MPI EVA Leipzig, License: CC-BY-SA 2.0

Les fouilles que nous avons menées ont produit beaucoup plus de spécimens qu’avant, ce qui nous permet de faire une étude plus exhaustive du matériel. Les pièces que nous avions avant étaient difficiles à interpréter. On ne connaissait pas leur âge et elles présentaient un mélange de caractères à la fois proche de l’homme moderne et aussi de l’homme plus primitif, qui les rendaient incompréhensibles.

Leur âge était beaucoup plus ancien que tout ce que nous avions envisagé

On a obtenu des dates avec une méthode qui s’appelle la thermoluminescence et nous nous sommes rendu compte que leur âge était beaucoup plus ancien que tout ce que nous avions envisagé. Jusqu’à maintenant, nous avions du mal à comprendre ce que représentait les hommes de Jebel Irhoud et avec cet âge de 300 000 ans, on a mieux compris leur signification.

Ces résultats qu’on publie aujourd’hui sont l’aboutissement de plusieurs autres études qu’on a menées en général sur les Homo sapiens.

Quels est l’avenir des fossiles que vous venez de retrouver ?

Aujourd’hui, ils sont à l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine à Rabat. Ils sont encore en cours d’étude. Certaines pièces n’ont même pas encore été dégagées. Lorsqu’on aura fini je pense qu’ils iront au musée archéologique de Rabat.

Qu’adviendra-t-il du site de Jebel Irhoud ?

Il faut qu’on finisse notre fouille, car il reste encore des sédiments et des restes humains. Des sites où l’on trouve des restes humains de cette époque, c’est exceptionnel. On va y retrouver en octobre 2017 et on espère y trouver d’autres fossiles humains.

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