Langues mourantes

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  • Tshitenge Lubabu M.K.

    Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.

Publié le 12 septembre 2014 Lecture : 2 minutes.

Nous vivons chacun dans un milieu donné. Mais combien d’entre nous sont vraiment attentifs à ce qui s’y passe, qu’il s’agisse des habitudes alimentaires, des modes, des façons de s’exprimer dans nos langues et dans celles que nous avons héritées de la colonisation ? Très peu, en réalité.

C’est normal : rien ne nous semble étrange parce que notre attention est depuis longtemps en berne. Paresse intellectuelle, insouciance, démission, ignorance, indifférence ? Sans doute un peu de tout cela. Pourtant, il suffit d’une petite minute de concentration pour se rendre compte de l’ampleur des dégâts. Un exemple ? J’en ai plusieurs.

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Vous débarquez un jour à Dakar, au Sénégal. Votre souci : comment communiquer avec ceux qui ne parlent que le wolof. Cette crainte est inutile car, que ce soit dans la rue ou à la télévision, la langue parlée par les uns et les autres contient tellement de mots français que vous comprendrez tout sans connaître le wolof. Vous arrivez ensuite à Kinshasa.

Amateur de musique congolaise, vous n’avez aucune idée de ce que disent les chanteurs dans leurs textes parce que vous n’avez jamais appris le lingala, l’une des quatre langues nationales. En regardant par hasard les journaux télévisés en lingala et en kikongo, autre langue nationale, vous découvrirez que "République démocratique du Congo" se dit… "République démocratique du Congo" dans ces deux langues !

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Ce n’est pas la peine de vous fatiguer : dans les villes, personne ou presque, de l’analphabète au docteur ès quelque chose, en passant par le ministre et l’enseignant, n’est en mesure de parler correctement une langue congolaise sans l’assaisonner d’une forte dose de mots français. La raison ? Ils en ont une connaissance rudimentaire, et leur vocabulaire est d’une pauvreté consternante.

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Pourtant, faut-il le souligner, le lingala, par exemple, est la langue maternelle de millions d’enfants nés à Kinshasa. L’échec de l’enseignement des langues nationales a des conséquences désastreuses sur les jeunes, qui, globalement, pensent dans leur langue maternelle non maîtrisée et traduisent leurs idées dans un français plus qu’approximatif.

Or, à l’époque coloniale, les Belges avaient formé nos parents dans ces mêmes langues sans insister sur le français. Les raisons de ce choix n’étaient pas forcément nobles. Mais nos anciens au moins savaient lire et écrire correctement les langues indigènes.

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Certains pays s’en tirent plutôt bien. C’est le cas du Rwanda et du Burundi. Dans ces deux petits États, la maîtrise du français n’est pas l’apanage de tout le monde. En revanche, tout le monde maîtrise parfaitement le kinyarwanda et le kirundi. On trouve même des journaux en kinyarwanda à Kigali.

Ce qui est rare dans nos pays. À mon avis, ne pas insister dans la formation des élites de demain sur une solide connaissance des langues nationales est une voie dangereuse. Car, en réalité, les langues qu’on baragouine s’appauvrissent chaque jour davantage et finissent par mourir.

Pourquoi existe-t-il des bibles en langues africaines et pas, sauf exception, d’oeuvres littéraires ? À l’heure où l’on parle de révisions constitutionnelles et du recours au souverain primaire, combien d’États ont traduit leur Constitution dans les langues du terroir afin que les peuples du continent en comprennent les enjeux ?

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