Maurice : derrière la carte postale… le communautarisme

Grattez le vernis de l’île au métissage heureux, et un communautarisme très prononcé montrera vite le bout de son nez. Surtout à l’heure du vote.

Le communautarisme est encore très fort. © Dom

Le communautarisme est encore très fort. © Dom

Publié le 24 septembre 2014 Lecture : 3 minutes.

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Pour Paul Bérenger, le leader de l’opposition, c’est une avancée majeure, "qui fera date" dans l’histoire de la jeune République de Maurice. Plus prosaïque, Navin Ramgoolam, le Premier ministre, a convenu qu’il ne s’agissait pas d’un choix, mais bien d’une obligation pour son pays, sous peine de se voir tancé par l’ONU.

Quoi qu’il en soit, le 11 juillet, Bérenger, Ramgoolam et 61 autres députés (sur 69), issus de la majorité comme de l’opposition, ont adopté ce que la presse a qualifié de "mini-­amendement". Désormais, les candidats aux différents scrutins n’auront plus à déclarer leur appartenance communautaire. "Ils pourront le faire s’ils le veulent, mais n’y seront plus obligés", précise Paul Bérenger.

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Candidature invalidée

Un groupe de militants de gauche, réunis au sein de l’association Rezistans ek alternativ, est à l’origine de cette réforme. En 2005, décidés à contester ce système, ils se présentent aux élections sans spécifier leur appartenance communautaire. Leur candidature est invalidée. Après un long et infructueux combat devant les juridictions mauriciennes, ils s’adressent au Comité des droits de l’homme de l’ONU, qui leur donne raison en 2012.

Entre-temps, le nombre de candidats "pirates" a explosé. Lors des élections générales de 2010, ils étaient 104, soit 16 % des postulants, à se présenter sans étiquette communautaire – et à voir eux aussi leur candidature rejetée. Pour Ashok Subron, l’un des leaders de Rezistans, la réforme est une victoire. Mais il reste beaucoup à faire. "Aucun autre pays au monde n’a une représentation politique fondée sur l’ethnicité. C’est le résultat de notre histoire mais, aujourd’hui, cela nourrit les rivalités ethniques", regrette-t-il.

Le "miracle mauricien" tel que le décrivent ses promoteurs présente en effet quelques failles. Les conflits communautaires, parfois violents, jalonnent son histoire : en 1968, 1995, 1999… "Maurice n’est pas une société si stable que cela, confirme Subron. Notre pays n’est pas immunisé contre ce qui s’est passé, par exemple, au Kenya, et le système électoral en vigueur est un danger."

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À l’origine de celui-ci, la volonté du colon britannique d’organiser en communautés les différentes composantes de la société mauricienne : les Blancs et les créoles (descendants des colons français et des esclaves africains), les Indiens (venus en nombre à l’époque de l’engagisme et divisés en nombreux sous-groupes), les Chinois, etc. Puis, à l’aube de l’indépendance, acquise en 1968, la nécessité de rassurer les minorités, qui craignent "le péril hindou". Ces derniers sont alors majoritaires et remportent la plupart des élections.

Un système dépassé

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Un subtil dosage électoral est donc mis en place : le "best loser system", qui ajoute aux 62 sièges de députés élus 8 sièges pourvus en fonction de l’appartenance ethnique sur la base des quatre communautés définies par la Constitution : les hindous, les musulmans, les Chinois et la "population générale" (essentiellement les Blancs et les créoles). "Ce système a rassuré les minorités. Mais aujourd’hui il est dépassé", estime Paul Bérenger. "Il faut en finir, admet l’ancien président Cassam Uteem. Car il reste beaucoup à faire pour qu’un vrai sentiment national soit partagé par l’ensemble des Mauriciens."

Certes, les mariages mixtes progressent, et le "mauricianisme" avec. Mais les rancoeurs héritées du passé persistent. Les responsables politiques ont longtemps joué de ce critère ultrasensible pour se faire élire. Et rien ne dit que la réforme électorale changera leurs habitudes. Certains de ceux qui ont voté le "mini-­amendement" ont d’ailleurs d’ores et déjà annoncé qu’ils continueraient à préciser à quelle communauté ils appartiennent.

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