Présidentielle mauricienne 2015 : vaudeville à Port Louis

Après s’être affrontés des années durant, le Premier ministre et le chef de l’opposition devraient s’allier en vue des élections de 2015. Le but de leurs entrevues parfois secrètes : se partager le pouvoir.

Paul Bérenger (à g.) et Navin Ramgoolam au siège de la primature, le 17 avril. © DR

Paul Bérenger (à g.) et Navin Ramgoolam au siège de la primature, le 17 avril. © DR

Publié le 25 septembre 2014 Lecture : 4 minutes.

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Cela fait des mois que dure le vaudeville. Ses têtes d’affiche, deux hommes aux caractères diamétralement opposés mais aux parcours intimement liés, se lancent des fleurs, puis s’invectivent, puis se congratulent de nouveau…

Le tout sous l’oeil circonspect d’une flopée de figurants qui n’attendent qu’une chose pour entrer en scène : un faux pas de l’un ou de l’autre. Personne ne doute de l’issue. Pourtant, à Port Louis, on ne manquerait pour rien au monde le prochain épisode. Parce qu’ici "on n’est jamais à l’abri d’un improbable retournement de situation", souffle un proche d’un des deux protagonistes. Et parce que, si accord il y a, "il sera historique à tous points de vue".

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Les deux leaders ne sont pas des perdreaux de l’année. Cela fait trente ans qu’ils dominent la vie politique nationale. D’un côté, le Premier ministre, Navin Ramgoolam, 67 ans, patron du Parti travailliste (PTr), le mouvement qui a arraché l’indépendance aux Britanniques.

Après une première expérience à la primature entre 1995 et 2000, cette figure de la communauté hindoue, et fils du "père de la nation", Seewoosagur Ramgoolam, dirige le pays depuis neuf ans. De l’autre, son prédécesseur, à la tête du gouvernement de 2003 à 2005 : Paul Bérenger, 69 ans, grand manitou du Mouvement militant mauricien (MMM), descendant de colons français, converti au marxisme puis à la social-démocratie. Il a été ministre à plusieurs reprises, mais ce ne fut jamais très long. Et voilà neuf ans qu’il est l’opposant en chef.

Le président compte pour du beurre

Ces deux hommes, qui ont passé une bonne partie de leur vie à se combattre malgré une évidente proximité idéologique (leurs partis adhèrent tous deux à l’Internationale socialiste), ont, depuis six mois, pris l’habitude de se voir en tête à tête, parfois même en catimini. Et pas seulement pour discuter des affaires courantes. Leur objectif : élaborer un accord inédit qui les verrait partir ensemble aux prochaines élections générales, prévues en mai 2015, et, par la suite, faire adopter une grande réforme électorale qui modifierait en profondeur le système politique hérité de la colonisation.

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En juin, les discussions ont à nouveau achoppé. "On a beaucoup parlé. On était d’accord sur tout. Mais c’était trop beau pour être vrai", expliquait en juillet Paul Bérenger. En août, elles ont repris une énième fois. Un accord aurait été trouvé le 30 août lors d’un ultime rendez-vous.

Pour nombre de Mauriciens, ces négociations s’apparentent à de petits arrangements entre ex-ennemis. "Tout d’un coup, deux hommes qui se sont haïs pendant des années décident de s’entendre au crépuscule de leur carrière politique. Il s’agit pour eux de continuer à rester au pouvoir, de se partager le gâteau, ni plus ni moins", souffle un éditorialiste. "On peut le voir ainsi, admet un diplomate mauricien qui connaît bien les deux hommes.

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Bérenger rêve d’être Premier ministre et Ramgoolam se voit bien en président. Il sait aussi qu’il aura du mal à rester au pouvoir après dix années de règne. Mais il s’agit avant tout d’une chance historique. Dans notre système, le Premier ministre a tous les pouvoirs, c’est une sorte de dictateur constitutionnel, et le président compte pour du beurre. La réforme envisagée permettrait de rééquilibrer cela."

L’idée est de donner plus de prérogatives au chef de l’État, qui pourrait avoir le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale et devrait jouer un rôle diplomatique. De modifier le système électoral aussi : il pourrait être élu au suffrage universel direct pour sept ans, et non plus au suffrage indirect.

Malgré une tumeur détectée en 2013, Bérenger ne compte pas prendre sa retraite

Ramgoolam et Bérenger sont d’accord sur les grandes lignes de ce programme. Sur les conditions également : au premier la présidence, au second la primature, et à leurs partis respectifs le même nombre de sièges à l’Assemblée nationale (30). "Notre modèle, c’est le Cap-Vert, qui fonctionne avec un président de centre droit et un Premier ministre de centre gauche", précise Bérenger.

Cette entente cordiale, si elle se concrétise, "correspond à leur tempérament et à leurs ambitions personnelles", indique un homme politique de leur génération. Bérenger est "un gros travailleur, brillant et discipliné, qui veut maîtriser tous les dossiers" et qui, malgré une tumeur détectée en 2013 (et soignée depuis), n’a pas l’intention de prendre sa retraite. Ramgoolam, lui, est moins acharné à la tâche.

"C’est un charmeur, un mondain, dit de lui l’un de ses anciens collaborateurs. Il peut passer deux heures à raconter des histoires qui n’ont rien à voir avec les affaires de l’État. Mais les Mauriciens l’admirent, et il est issu de la caste la plus influente."

Si les négociations butent, c’est sur des détails, affirment plusieurs acteurs du rapprochement. C’est aussi parce que les deux hommes devront faire accepter leur choix, non pas à leur parti – qu’ils contrôlent pleinement -, mais à leur électorat. Déjà, de nombreux Mauriciens s’indignent. "Une nouvelle génération montante dénonce le verrouillage de la vie publique, explique le politologue Jocelyn Chan Low.

C’est vrai que les partis traditionnels ont du mal à se renouveler." D’autres, comme l’ancien président Cassam Uteem (lire p. 70), s’inquiètent : "Deux hommes au pouvoir, c’est la meilleure recette pour déclencher des crises politiques à l’avenir."

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