Ryad Boulanouar, banquier alternatif
D’origine algérienne, Ryad Boulanouar, ingénieur de 40 ans, a créé le Compte-Nickel, pour les exclus du système bancaire.
Bien sûr, son visage s’affiche parfois sur les écrans des télévisions françaises, mais difficile de repérer Ryad Boulanouar au milieu de ses collaborateurs, dans l’interminable open space orange et blanc où règne une ambiance de start-up. En jeans et baskets noirs, il nous rejoint dans une salle de réunion, sourire vite remplacé par de francs éclats de rires. Inhabituel dans l’univers feutré de la banque ? Tant mieux : incarner le rôle de banquier alternatif lui convient.
Le Compte-Nickel qu’il a imaginé est opérationnel depuis février 2014 pour les exclus du système bancaire. En cinq minutes, ces derniers peuvent ouvrir pour 20 euros un compte chez un buraliste agréé et obtenir une carte de paiement. Une contrainte : ne dépenser que ce dont on dispose. Ni crédit ni découvert.
La Financière des paiements électroniques (FPE) que dirige Boulanouar (35 salariés à temps plein, 80 sous-traitants) revendique déjà environ 35 000 usagers. Certes, l’entreprise perd de l’argent mais, confiant, l’entrepreneur assure que la courbe s’inversera quand il aura franchi la barre de 100 000 clients. Cinq cent mille adhérents lui permettront de rembourser les 12 millions d’euros investis.
Certains parlent de révolution, lui d’une simple évolution : « Les banques font croire aux usagers, en particulier aux moins nantis, qu’ils peuvent dépenser l’argent qu’ils n’ont pas. Elles créent des surendettés qu’elles se hâtent ensuite d’exclure. » L’invention du Compte-Nickel est son acte militant le plus abouti : « Il redonne de la dignité, avec des solutions répondant à de vrais besoins.
Il aurait fallu davantage de temps pour décrocher un mandat de maire et servir de faire-valoir à un parti ravi d’exhiber son Arabe de service ! » Qu’on le renvoie à ses origines l’exaspère. En particulier quand les médias réécrivent son histoire, qui n’a rien à voir avec celle d’une « intégration réussie ». Cet immigré de la deuxième génération, né à Lyon, n’a jamais mis les pieds en Algérie. Une blessure profonde pour cet adepte du raï et de la chanson française. Mais déjà son épouse, une sophrologue nutrithérapeute kabyle, y emmène régulièrement leurs deux filles de 12 et 8 ans.
Boulanouar est né et a toujours vécu en pavillon, mais les médias s’évertuent à le domicilier dans les cités. « Quelques-uns s’imaginent d’ailleurs que ma mère fait du couscous toute la journée », se marre-t-il. Pourtant, quand il se raconte, c’est bien avec l’arrivée de son père en France qu’il débute son récit. Journaliste et fervent soutien du FLN, celui-ci a fui après le coup d’État de Boumédiène.
Pour faire vivre sa famille, il est devenu maraîcher. De ce père tôt disparu, Boulanouar garde le souvenir d’un homme exigeant, qui le poussait à l’excellence, lui le benjamin d’une fratrie de trois. Aucune excuse à ses échecs et surtout pas celle de ses origines ! À sa mort, l’enfant perd pied et devient un temps le « branleur du fond de la classe ». Sa mère veille. Il se ressaisit et dévore des manuels de technologie. À 10 ans, il fabrique des décodeurs Canal+ pour ses copains ; à 15, il copie les cartes téléphoniques de France Télécom.
Major de son IUT de Créteil, Ryad postule à Supélec. On lui préfère le deuxième de la liste. Une injustice qui donne la gnaque ! Il intègre l’Institut national des sciences appliquées dont il sortira major aussi. Un sésame ? Pas pour lui. Suivent des années difficiles, jusqu’à son entrée à la SNCF. Chef de projet, il participe à la conception de la carte de transport Navigo, puis est pris dans un tourbillon.
Débauché par une société de services en informatique, il conçoit la carte Moneo et crée à 27 ans sa première entreprise, ABM Technologies, spécialisée dans les logiciels des cartes à puce. Avec lui, fini le grattage, le code de la carte prépayée est inscrit sur une facturette. Il devient millionnaire en revendant des parts et des brevets. « L’argent est un outil », précise celui qui roule toujours en Twingo.
L’idée du Compte-Nickel germe en 2009 et se concrétise grâce à Hugues Le Bret, journaliste et ancien directeur de Boursorama, la banque en ligne de la Société générale. Contraint à la démission pour avoir brisé la loi du silence avec un livre sur l’affaire Kerviel, le reporter est à la recherche d’un nouveau souffle. Trois ans de procédure et 4 000 pages de dossiers plus tard, ils décrochent leur agrément à la Banque de France et disposent de quinze jours pour trouver 10 millions d’euros. 75 personnes entrent au capital de l’entreprise. Les banques traditionnelles ?
Boulanouar ne s’en préoccupe pas et revendique une part de naïveté et d’inconscience. « Je n’agis pas contre elles », dit-il, même s’il ne serait pas contre une limitation des profits. Son objectif, c’est de faire de la FPE une entreprise rentable pour ne pas avoir à quémander les subventions : d’une manière générale, il n’aime pas demander. Dans le livre qu’il consacre à leur aventure (No Bank, éd. Les Arènes), Hugues Le Bret indique que le père du petit Ryad aimait à lui rappeler qu’il était un « invité » en France. Aujourd’hui ? « La société se charge de me le signifier », dit-il.
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