Chine : Xi Jinping lave plus blanc
Contre la corruption, l’hégémonie des grandes marques étrangères et les déviances en tout genre qui gangrènent le pays, le président a engagé une lutte à mort dont l’issue est encore loin d’être assurée.
Il est le dernier "tigre" à être tombé. Jusqu’à la semaine dernière, Yuan Chunqing, 62 ans, était le tout-puissant chef du Parti communiste de la province du Shanxi. Il a été brutalement remplacé par Wang Rulin. Et sept de ses collaborateurs ont disparu. Ainsi va la campagne anticorruption menée depuis deux ans par le président Xi Jinping et ses équipes d’incorruptibles.
Les "tigres" auxquels Xi a déclaré la guerre sont soit d’anciens hauts dirigeants politiques, soit des patrons de grands groupes industriels. Ce n’est certes pas la première fois que le pouvoir central lance une telle opération mains propres, mais, jusqu’ici, seul le menu fretin était pris dans les mailles du filet. Rien de tel aujourd’hui.
Tout a basculé au coeur de l’été. Le 29 juillet, un communiqué officiel annonce l’ouverture d’une enquête contre Zhou Yongkang, l’un des hommes les plus puissants du pays, pour "violations sérieuses des règles de discipline". Traduction : pour corruption.
Depuis, la Chine tremble. Il y a encore deux ans, Zhou était membre du Politburo, l’instance dirigeante du Parti communiste chinois (PCC), qui compte entre sept et neuf membres. Chargé de la sécurité publique, il gérait un budget plus important que celui de l’armée. Le premier flic de Chine était intouchable. Du moins le croyait-on.
Zhou a voulu jouer perso
Zhou est très représentatif de la caste qui dirige la deuxième économie mondiale. Avant d’être le chef de la police, il fut longtemps à la tête du secteur gazier et pétrolier. Ce qui lui a tout à la fois permis de faire fortune et de placer ses hommes aux postes clés. Depuis son arrestation, ses lieutenants tombent les uns après les autres. De Jiang Zemin, patron de Petrochina, à Zhou Bin, son propre fils, personne n’est épargné.
On ne sait si le clan Zhou était plus riche ou plus corrompu que les autres, mais il a enfreint une règle d’or de la nomenklatura communiste : la gestion collective de l’économie et le partage équitable de ses revenus entre les différentes factions. Zhou a voulu jouer perso, c’est la raison de sa chute.
Le tableau de chasse du président est déjà bien rempli. En 2013, trois douzaines de responsables de haut rang (vice-ministre minimum) ont été arrêtés. Et 182 000 membres du PCC ont fait l’objet d’une enquête pour corruption, selon le décompte du professeur Jiang Ming’an, de l’université de Pékin. C’est dix fois plus que la moyenne des années précédentes ! Cinquante-trois pour cent des Chinois voient désormais dans la corruption un problème majeur (39 % en 2008). "Le régime a compris qu’il était temps de faire quelque chose, explique Huang Jing, de l’université de Singapour.
Et que s’il ne met pas rapidement un terme à cette corruption massive, il risque de sombrer et de disparaître." Cette opération de salubrité publique débouchera-t-elle sur la mise en place de grandes réformes économiques et sociales ? Les plus optimistes veulent le croire. Quoi qu’il en soit, le Parti a annoncé la tenue d’une importante réunion au mois d’octobre. Pour remettre à plat les règles du jeu et lancer un appel solennel au respect de la loi.
Mais la guerre se déroule simultanément sur d’autres fronts. Au coeur de l’été, plusieurs centaines d’agents de la brigade financière ont ainsi débarqué dans les locaux de grandes marques étrangères comme Microsoft, Audi ou Mercedes. Le gouvernement leur a intimé l’ordre de modifier leurs méthodes commerciales. Les marques automobiles, notamment, sont accusées de faire payer trop cher leurs clients chinois.
Résultat : des millions de dollars d’amendes et l’obligation de baisser les prix. Du jamais-vu. Les laboratoires pharmaceutiques et les fabricants de lait pour enfants ont également été contraints de rogner leurs marges. Les firmes high-tech comme Microsoft sont à présent dans le collimateur du gouvernement.
Grande opération de "moralisation"
Par ailleurs, une grande opération de "moralisation" de la société chinoise a été déclenchée. En août, l’arrestation pour consommation de drogue du fils de Jackie Chan, le célèbre acteur et réalisateur de films d’arts martiaux, a sonné la fin de la récréation : descentes de police dans les boîtes de nuit et les bars, arrestation à Pékin de plusieurs dizaines de dealers nigérians, obligation faite aux stars chinoises de signer avec leurs producteurs des contrats leur interdisant de consommer de la drogue ou de fréquenter des prostituées.
Et les médias ne sont pas en reste. Plusieurs présentateurs et producteurs vedettes de CCTV, le groupe de télévision public, ont été arrêtés pour corruption et/ou conflit d’intérêts. "Tous les projets sont gelés et tout le monde a peur", confie un journaliste.
Jusqu’où ira Xi Jinping ? Le président est en effet isolé. Il s’est déjà mis à dos une partie de l’armée, des grands cartels d’État et des différents clans du PCC. Cet été, il a évoqué des risques pour sa sécurité. Il est pour lui essentiel de ne pas relâcher son contrôle de l’armée et des médias. La première est engagée en mer de Chine dans une guerre des nerfs contre le Japon et les États-Unis.
Les seconds sont mobilisés dans une vaste opération de séduction – ou de propagande – qui n’est pas sans rappeler le défunt culte de la personnalité. Sur les écrans de télévision et dans les colonnes des journaux officiels, Xi Dada, "Oncle Xi" en mandarin, est partout. Mais gare à l’effet boomerang !
En Chine comme ailleurs, il arrive que l’Histoire bégaie. À la fin du XVIIIe siècle, l’empereur Jiaqing tenta lui aussi, imprudemment, d’éradiquer la corruption. Il finit totalement isolé, tandis que son pays s’enfonçait dans les guerres de l’opium…
Les incorruptibles
Quand ils débarquent dans les bureaux d’un cadre du PC, l’affaire est rondement menée. Quelques heures plus tard, le fonctionnaire soupçonné de corruption est embarqué et on ne le revoit plus : le Parti est peu friand de procès publics. Des centaines de cadres auraient préféré se suicider plutôt que de tomber dans les griffes de cette brigade d’incorruptibles dirigée par Wang Qishan, 66 ans, membre du Politburo et vieil ami de Xi Jinping.
Marié sans enfant, Wang est à l’abri de tout soupçon : aucun de ses proches n’occupe un poste de premier plan. Ses méthodes sont brutales mais efficaces. Ses inspecteurs ont coutume de s’installer dans de grands hôtels. Ils y séjournent pendant quelques jours en demandant aux habitants de la ville de leur présenter leurs doléances et, surtout, les noms de ripoux de leur connaissance…
Dans la guerre qu’il a engagée, Xi devrait pouvoir s’appuyer sur Liu Yuan, fils de l’ancien président Liu Shaoqi, le grand rival de Mao mort en 1969 des suites de mauvais traitements. Au cours de l’automne prochain, celui-ci devrait être nommé à la tête de la commission militaire centrale, ce qui lui permettra de surveiller de près une armée notoirement très corrompue. Et très puissante.
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