Royaume-Uni : et si l’Écosse larguait les amarres ?

Le royaume va-t-il, oui ou non, devoir se séparer de ses terres du Nord, annexées en 1707 ? Le référendum d’autodétermination du 18 septembre en décidera. Une première en Europe.

Partisans du oui et du non, à Edinburgh, le 8 septembre. © Andy Buchanan / AFP

Partisans du oui et du non, à Edinburgh, le 8 septembre. © Andy Buchanan / AFP

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 9 septembre 2014 Lecture : 6 minutes.

Tous les indépendantistes d’Europe suivent avec passion les débats qui font rage en Écosse à l’approche du référendum du 18 septembre. Un peu plus de cinq millions d’Écossais sont en effet appelés à répondre à la question suivante : "Should Scotland be an independent country ?" Traduction : "L’Écosse devrait-elle être indépendante ?" Une première en Europe.

Membre du Royaume-Uni, qui, depuis l’Acte d’union de 1707, rassemble l’Angleterre, l’Écosse et le pays de Galles (l’Irlande du Nord les a rejoints en 1921), elle a déjà voté à deux reprises, en 1979 et en 1997, en faveur d’une plus grande autonomie, ce qui s’est traduit par la dévolution de nouveaux pouvoirs à Édimbourg, où, depuis 1998, siègent un Parlement et un gouvernement aux pouvoirs néanmoins limités.

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Cette avancée n’a pas suffi. Est-ce la défaite de Gordon Brown, Premier ministre sortant et écossais de souche, et des travaillistes lors des élections générales de 2010 ? Toujours est-il que l’Écosse a, en mai 2011, donné une majorité absolue (69 sièges sur 129 au Parlement d’Édimbourg) au Scottish National Party (SNP), le parti nationaliste écossais. Leader du SNP et Premier ministre d’Écosse, Alex Salmond a aussitôt demandé, et obtenu, de David Cameron, le Premier ministre de Sa Majesté, l’organisation d’un référendum d’autodétermination.

Depuis le printemps 2014, la controverse fait rage entre les partisans du oui, rangés sous la bannière indépendantiste "Yes Scotland", et ceux du non, qui mènent une campagne unioniste avec pour slogan "Better Together" ("mieux ensemble").

Pour Salmond, il ne fait aucun doute que "personne ne peut faire un meilleur boulot pour l’Écosse que ceux qui y vivent". Elle peut très bien se débrouiller seule, car elle est riche. Si elle était indépendante, elle se classerait au quatorzième rang des pays les plus riches du monde. Ses eaux territoriales recèlent 90 % des gisements d’hydrocarbures du Royaume-Uni.

Recul du chômage

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Libérée de la tutelle du Parlement de Westminster – où elle s’estime mal représentée – et débarrassée des égarements de la City, elle accroîtrait sa richesse de 5 milliards de livres (6,3 milliards d’euros) d’ici à 2030, grâce à une augmentation de la productivité et à un recul du chômage. C’est en tout cas ce que fait miroiter Salmon, qui invite les électeurs à se libérer de la dette britannique, de l’austérité pratiquée par le gouvernement Cameron et des risques d’une sortie du royaume de l’Union européenne. Son rêve ? "Une protection de l’enfance à la scandinave, un apprentissage à l’allemande et une gestion prudente des ressources naturelles à la norvégienne."

Ses adversaires lui opposent un tableau de l’indépendance aussi calamiteux que le sien est idyllique. L’institut Oxford a calculé que 70 % des exportations de l’Écosse sont destinées au reste de la Grande-Bretagne, ce qui réduit son autonomie à peu de chose. D’ailleurs, la majorité du monde des affaires est farouchement opposée à l’indépendance. Certains, comme l’assureur Standard Life, ont même promis de déménager à Londres en cas de victoire du oui. Même si deux cents patrons écossais ont signé une pétition en sens inverse…

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La question de la monnaie est au coeur du débat : les indépendantistes veulent conserver la livre sterling, les unionistes leur répondent qu’il n’en est pas question. Ancien ministre travailliste des Finances, Alistair Darling a estimé le 5 août lors d’un débat télévisé avec Alex Salmond que partager la livre avec une Écosse indépendante "équivaudrait à garder un compte bancaire joint après un divorce". Le 25 août, un deuxième débat n’a pas modifié les positions des deux champions. Et la venue à Glasgow, le 28 août, du Premier ministre David Cameron, qui a consciencieusement célébré les vertus du Royaume-Uni ("l’un des marchés uniques les plus réussis au monde"), n’a pas bouleversé les électeurs.

Quoi qu’il en soit, les questions posées par une éventuelle indépendance sont nombreuses et difficiles à trancher.

L’Écosse pourrait-elle adhérer à l’Union européenne et obtenir les mêmes subventions agricoles ? Que deviendrait la base des sous-marins nucléaires de Faslane, sur la Clyde ? Qu’adviendrait-il du stockage en territoire écossais des missiles nucléaires Trident, dont Édimbourg veut le départ ? Les retraites des Écossais continueraient-elles d’être assurées par Londres ? Faudrait-il un passeport pour franchir le mur d’Hadrien, antique fortification construite par les Romains à partir de 122 apr. J.-C. pour se protéger des incursions des tribus calédoniennes ? Les Écossais se mettraient-ils à rouler à droite ?

David Bowie pour le non, Sean Connery pour le oui

Créatrice de Harry Potter, la romancière J.K. Rowling, qui est de mère écossaise et de père anglais, a pris position contre l’indépendance, qui, écrit-elle sur son site internet, ne serait "ni rapide ni propre" et qui "nécessiterait de recourir à la microchirurgie pour défaire trois siècles d’étroite interdépendance". Elle a fait don de 1 million de livres à la campagne du non.

Le chanteur David Bowie est du même avis : "Restez avec nous !" demande-t-il aux Écossais. À l’opposé, l’acteur Sean Connery et le metteur en scène Ken Loach soutiennent la cause du oui. Le premier va jusqu’à affirmer qu’il ne reviendra pas en Écosse tant qu’elle ne sera pas libre.

"J’ai des doutes sur la volonté d’indépendance des Écossais, analyse Nathalie Duclos, auteure d’un livre sur le sujet aux éditions PUPS et enseignante à l’université Toulouse-II. Ils votent pour les nationalistes à Édimbourg, mais pour les travaillistes à Westminster.

Politiquement et culturellement, ils souhaiteraient être indépendants, mais économiquement, non, car la majorité redoute les conséquences négatives de cette séparation. Les sondages indiquent de façon constante un rapport de 60/40 en faveur du non, et je crois que le scrutin du 18 septembre confirmera cet écart."

Le problème lancinant de l’identité écossaise ne disparaîtra pas pour autant. Les dirigeants des trois grands partis britanniques (conservateurs, travaillistes et libéraux-démocrates) en sont tellement conscients qu’ils ont, le 5 août, signé une lettre commune promettant d’accorder à Édimbourg davantage de pouvoirs, notamment fiscaux, une fois l’indépendance repoussée.

Une concession qui ne manquera pas d’être entendue en Catalogne et au Pays basque, où la volonté indépendantiste n’est pas moins forte, mais aussi en Irlande du Nord et au pays de Galles.

La catalogne, aussi…

"Voulez-vous que la Catalogne soit un État ? Voulez-vous que cet État soit indépendant ?" C’est à ces deux questions que les Catalans devront répondre lors du référendum convoqué le 9 novembre par Artur Mas, le président de la Generalitat.

Depuis deux ans, cette communauté autonome du nord-est de l’Espagne est le théâtre d’une flambée nationaliste que le gouvernement de Madrid a le plus grand mal à réduire. Principal argument de ses partisans : la Catalogne, région la plus prospère, est celle qui paie le plus d’impôts au gouvernement central.

Le Tribunal constitutionnel (TC) a eu beau invalider ce projet de vote populaire, Barcelone n’en démord pas. Depuis huit mois, les relations étaient extrêmement tendues avec La Moncloa. Mais, sous la pression d’associations et de chefs d’entreprise, le président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, a finalement reçu Artur Mas, le 30 juillet. Si ce dernier est sorti de leur entretien plus décidé que jamais à maintenir le référendum, plusieurs sources affirment que le président catalan a confié, en privé, qu’il pourrait supprimer la seconde question qui sera posée en novembre.

En effet, le gouvernement de Rajoy présentera une demande d’inconstitutionnalité devant le TC si le Parlement catalan vote – comme prévu -, le 19 septembre, la loi permettant la consultation populaire en Catalogne.

La possibilité d’une annulation du référendum est aussi évoquée, surtout depuis les révélations explosives de Jordi Pujol, autonomiste et ex-président de la Generalitat (1980-2003), qui a avoué avoir trompé le fisc pendant trente-quatre ans et reconnu détenir des comptes en Andorre et en Suisse. Le scandale a ébranlé les indépendantistes les plus farouches, et, selon El País, plus de la moitié des Catalans restent, sans le dire, en faveur de l’unité espagnole.

Depuis plusieurs mois, le cabinet de Mariano Rajoy maintiendrait des contacts discrets avec les plus proches collaborateurs d’Artur Mas. Quatre d’entre eux font désormais front contre le référendum au sein de la Generalitat. Artur Mas optera-t-il pour de plus intenses discussions avec La Moncloa ? Marie Villacèque, à Madrid

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