Khaled Issa, représentant des Kurdes syriens en France : « Raqqa sera libérée de Daesh avant la fin de l’année »

Le 6 juin, les Forces démocratiques syriennes ont lancé l’offensive sur Raqqa, avec en première ligne les combattants kurdes. Un risque militaire qui ne fait qu’augmenter leur popularité, notamment en Europe. Nous avons rencontré Khaled Issa, le représentant en France du Rojava, le Kurdistan syrien.

Khaled Issa, représentant du Rojava en France, dans son bureau parisien. © DR

Khaled Issa, représentant du Rojava en France, dans son bureau parisien. © DR

CRETOIS Jules

Publié le 15 juin 2017 Lecture : 5 minutes.

Khaled Issa nous ouvre la porte du petit appartement parisien sous vidéo-surveillance qui sert aujourd’hui de « Représentation du Rojava en France », comme l’indique une plaque posée sur le mur du couloir principal. Des représentations de ce genre, il y en a quelques-unes dans le monde : en Russie, en Hollande, en Allemagne, en Suède et en Irak. C’est notamment via ces représentations que les représentants du peuple kurde de Syrie assurent la liaison avec la coalition internationale, arabe et occidentale, ainsi qu’avec Moscou, dans la lutte contre Daesh.

Khaled Issa est membre du Parti de l’union démocratique (PYD), principal parti du Rojava, d’inspiration socialiste, et « représentant du Rojava en France ». Il suit donc de près l’offensive lancée le 6 juin 2017 sur Raqqa, aux mains de Daesh, par les Forces démocratiques syriennes, dont les Unités de protection du peuple (YPG) et les Unités de protection de la femme (YPJ), soldats du PYD, composent une large partie des troupes.

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Jeune Afrique : Raqqa ne fait pas partie du Rojava, le Kurdistan irakien. Pourquoi vous lancer dans sa libération ?

Khaled Issa : Nous avons un devoir moral. Raqqa n’est pas le Rojava, mais pas loin, et nous savons mieux que personne ce que la population y endure. Ensuite, nous avons un projet pour la Syrie, comme le prouve notre action au sein des Forces démocratiques syriennes. Nous sommes une force de proposition pour l’ensemble du pays. Partant de là, nous avons aussi un rôle politique et militaire concret.

Quand Raqqa sera-t-elle libérée ?

Nous ne pouvons pas donner de date, mais je suis sûr que la ville sera libre avant la fin de l’année 2017.

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Vos idées sont jugées émancipatrices et révolutionnaires en Europe. Peut-on aujourd’hui parler d’une sorte de soft power du Rojava ?

Nous faisons ce qui nous semble juste et derrière, chacun peut percevoir notre expérience comme bon lui semble. Il y a des révolutionnaires occidentaux pour qui nous sommes des « libertaires ». Pourquoi pas ? L’ancienne ministre française de la Culture, Audrey Azoulay, a relevé notre stricte application de la parité dans la représentation politique. Et c’est vrai : depuis un an, 50% de nos représentants politiques sont des femmes.

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D’autres encore remarquent qu’à notre échelle, nous sommes plus écologistes et respectueux de l’environnement que la plupart des pays européens. Ce qui est certain, c’est que notre modèle de société permet aujourd’hui d’assurer une réelle cohésion sociale et une gouvernance efficace dans un environnement très particulier.

Votre popularité, en revanche, semble plus importante en Occident que dans le monde arabe…

Oui, c’est tout à fait dommage. Certes, il y a des idéologies puissantes dans le monde arabe, le panarabisme et le panislamisme, qui sont a priori hostiles à nos idéaux, mais je ne veux pas me défiler : si nos idées y sont méconnues, c’est de notre faute. Comme je le dis parfois : si nous avons un incroyable fonds de commerce, nous restons de très mauvais commerçants. Nous devons mieux nous faire connaître auprès des États et des sociétés civiles du monde arabe.

Que pensent vos alliés de vos idées et de vos pratiques politiques ?

Ils observent et ils laissent faire. Aujourd’hui, c’est le pragmatisme qui l’emporte et il est clair que nous sommes le meilleur allié dans la lutte contre Daesh. Nous avons une expérience sans pareille aujourd’hui dans la lutte contre les terroristes. Notre efficacité militaire est claire et notre respect des partenaires aussi. Contrairement à plusieurs groupes armés, nous ne sortons pas des frontières syriennes les armes en bandoulières. Quant aux idées politiques qui animent notamment les combattants et les combattantes des YPJ et YPG, elles participent aussi de notre efficacité : elles donnent de la détermination.

Aujourd’hui, essayez-vous d’entretenir des relations avec Ankara ?

Il y a eu des rencontres avec les Turcs, plus d’une fois. Un représentant du PYD s’est rendu en Turquie durant le siège de Kobane. Nous avons reçu des promesses mais elles n’ont pas été tenues. Un téléphone rouge a longtemps été maintenu, mais malheureusement, le gouvernement turc change de ligne de conduite de manière trop régulière et sans prévenir. Il est difficile de se coordonner aujourd’hui avec Ankara. Les autorités turques occupent une partie du Rojava, maintiennent un quasi-embargo sur la région et continuent de traiter avec des groupes armés peu recommandables, qui pas plus tard que le 13 juin, ont freiné notre avancée sur Raqqa en multipliant les accrochages avec nos troupes.

Pourquoi les tensions sont-elles si vives entre vous et les Kurdes d’Irak ?

Les tensions ne sont pas vives avec les Kurdes irakiens, juste avec le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani. Il n’y a pas de conflit ouvert, mais les relations sont tendues pour la simple raison que le PDK subit une influence très importante d’Ankara. Toutefois, nous avons un devoir dans la région et nous ne l’oublions pas. Pendant la bataille dans le Sinjar irakien en 2015, plus de 700 peshmergas proches du PDK ont pu trouver refuge chez nous.

Quel était le but de la dernière rencontre avec le président Français Hollande de Saleh Muslim, le co-président du PYD ?

Saleh Muslim a pu présenter un dernier brief sur la situation, mais il s’agissait aussi de remercier un des premiers partenaires à nous avoir soutenu durant le siège de Kobane. À cette époque d’ailleurs, Hollande avait reçu notre co-présidente Asya Abdullah.

En 2015, un rapport d’Amnesty International a critiqué le PYD, assurant que le mouvement se rendait coupable d’atteintes aux libertés. Que répondez-vous ?

Quand le rapport est sorti, nous avons cherché à comprendre de quoi il retournait. Quand nous avons découvert que les deux référents de ce rapport étaient un sympathisant des idées jihadistes et une femme poursuivie pour terrorisme en Égypte, nous avons trouvé que cela faisait peu. Mais nous ne méprisons pas les critiques, nous ne sommes pas parfaits. Simplement, nous essayons de faire comprendre la très grande difficulté de notre situation.

Les plus puissantes démocraties de ce monde suspendent des libertés publiques après un attentat. Nous, nous ne subissons pas des attentats, nous sommes en état de guerre permanente et nous subissons une forme d’embargo de la Turquie avec qui nous partageons une immense frontière.

Certains craignent que le mouvement kurde en Syrie ne marginalise les Arabes. Est-ce le cas ?

Non, au Rojava, les postes dans les administrations et la représentation politique sont toujours dédoublés, pour s’assurer que Kurdes, Arabes et Syriaques soient tous représentés. Nos administrations accueillent notamment un grand nombre des représentants d’une des plus célèbres tribus arabes, les Chammakh.

Par ailleurs, la langue arabe est une des langues officielles du Rojava. Nous avons été les premières victimes du modèle centralisateur, du nationalisme… Nous n’allons pas reproduire cela. Par ailleurs, lorsque des délégations d’Arabes syriens viennent nous voir de régions éloignées de la nôtre, ils sont systématiquement bien accueillis et repartent souvent ravis et inspirés.

Entretenez-vous des liens avec le régime à Damas ?

Il n’y a plus trop de rapports. Il y a eu des discussions via les Russes, mais aujourd’hui, nous laissons simplement des personnes qui relèvent formellement de l’administration du régime s’occuper de l’aéroport de Kameshli.

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