Jihadistes de tous les pays…

En trois ans, au moins 12 000 étrangers, originaires de 81 États, ont rejoint les rangs des islamistes radicaux. Radiographie de la nouvelle internationale des fous d’Allah.

Les étrangers sont plus de 12 000 à avoir rejoint les islamistes radicaux. © Sameh Rahmi/AFP

Les étrangers sont plus de 12 000 à avoir rejoint les islamistes radicaux. © Sameh Rahmi/AFP

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 16 septembre 2014 Lecture : 5 minutes.

Connaissez-vous Jihad John ? Le 19 août, sous sa cagoule noire de bourreau, "Jihad John" expliquait au monde entier les raisons pour lesquelles il allait décapiter le journaliste américain James Foley, à genoux devant lui en plein désert. Deux semaines plus tard, même mise en scène soignée, mêmes injonctions à l’arrogante Amérique, le bourreau médiatique de l’État islamique exécutait Steven Sotloff, compatriote et confrère de Foley.

Son surnom, il l’a hérité de son accent très british, de l’ouest londonien disent les experts. À la fin de la dernière vidéo, un autre otage apparaît, David Haines, un Britannique menacé du même sort.

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Jihad John n’est sans doute pas celui que l’on a d’abord soupçonné, Abdel Majed Abdel Bary, un rappeur londonien de 23 ans qui a délaissé les feux de la rampe pour ceux du jihad en 2013 et qui s’affichait fièrement sur Twitter, en août, brandissant la tête coupée d’un soldat syrien. Mais comme lui, l’assassin de Foley et de Sotloff fait partie de ces quelque 500 citoyens britanniques qui, selon leur gouvernement, ont fait le pèlerinage en barbarie pour rejoindre l’un des groupes d’islamistes ultraradicaux qui veulent imposer au Levant leur conception de la loi coranique.

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Député de Birmingham, Khalid Mahmood a jugé le décompte officiel très sous-estimé : les Britanniques jihadisant en Syrie seraient en réalité plus de 1 500. En Tunisie, le chiffre de 3 000 combattants est avancé par les autorités, mais, selon une source sécuritaire haut placée, 5 000 individus ont déjà fait le voyage et près de 9 000 ont été retenus avant leur envol.

"Pour ce qui est de la France, le président Hollande annonçait en janvier 700 départs, chiffre revu à 900 par le ministre de l’Intérieur en août. Il ne s’agit en fait que des personnes clairement identifiées par les renseignements, la partie émergée de l’iceberg. Il faut au moins doubler ce chiffre", explique le géographe Fabrice Balanche, directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo).

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Cent Américains !

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En mai, le Soufan Group, une agence américaine de conseil en renseignement et en sécurité, évaluait à 12 000 le nombre d’étrangers à avoir gagné la Syrie sur trois ans, venant de 81 pays. Un chiffre à multiplier aussi par deux, selon Balanche.

Soit autant que le nombre d’étrangers qui ont combattu pendant plus de dix ans en Afghanistan. Certains aspirants au martyre continuent de rejoindre les formations jihadistes historiques de la crise syrienne, comme la Jabhat al-Nosra, affiliée à Al-Qaïda, ou les salafistes d’Ahrar al-Sham. Mais les campagnes de communication chocs et les victoires retentissantes de l’État islamique (EI) confèrent à celui-ci un pouvoir d’attraction grandissant.

Après la conquête de Mossoul en Irak, début juin, son autoérection en califat a-t-elle pu susciter de nouvelles vocations ? "Je ne le pense pas, répond Balanche. Par contre, la dernière guerre de Gaza a donné un coup d’accélérateur au recrutement. Beaucoup, comme les Jordaniens d’origine palestinienne, pensent aujourd’hui que seul le recours aux ultraradicaux permettra de libérer la Palestine du joug israélien et le monde musulman de la domination occidentale."

Si les pays arabes – Tunisie, Arabie saoudite et Jordanie en tête – fournissent les quatre cinquièmes des recrues et ceux d’Europe la majeure partie du reste, ce pot-pourri nauséabond a les allures d’une "internationale". Le 26 août, une semaine après l’exécution de Foley, l’Amérique se voyait confirmer la mort de son premier jihadiste, Douglas McArthur McCain.


De g. à dr. : Denis Mamadou Gerhard Cuspert, ancien rappeur allemand, est soupçonné d’avoir participé à la publication des vidéos de décapitation de James Foley et Steven Sotloff. Adel Abdel Bari, rappeur britannique, est soupçonné d’avoir exécuté James Foley et Steven Sotloff. Mehdi Nemmouche est un djihadiste français, arrêté pour le meurtre de quatre personnes au Musée juif de Bruxelles et aurait été chargé de la surveillance d’otages en Syrie.© AFP

Les autorités révélaient alors qu’au moins une centaine de nationaux avaient pris le sentier de la guerre sainte. Les Russes, dont beaucoup de Tchétchènes, y seraient plus de 800. Le 1er septembre, le ministère irakien de la Défense publiait sur sa page Facebook les photos d’un jihadiste asiatique présenté comme chinois, le premier capturé dans la zone. Selon Pékin, ils y seraient une centaine à se battre. L’on y trouverait des Malaisiens en même nombre et le double d’Indonésiens. "Tous les fêlés de la planète se donnent rendez-vous dans la zone", constate, blasé, Fabrice Balanche.

Venus des cinq continents, ces volontaires du jihad sont pour la plupart très jeunes, voire adolescents, bien davantage séduits par la propagande spectaculaire distillée sur les réseaux sociaux que recrutés par prosélytisme direct à la manière d’Al-Qaïda. Des compatriotes déjà engagés assurent la prédication en ligne, comme Omar Omsen, un Niçois d’origine sénégalaise parfois surnommé cheikh Google, grand recruteur pour la Jabhat, ou le Canadien André Poulin, alias Abou Ibrahim al-Canadi, héros posthume, en juillet, d’une vidéo où il chante la gloire du jihad et de l’EI.

Fidèles persuadés de pouvoir vivre le vrai islam, individus en rupture avec leurs sociétés, romantiques attirés par le calife Ibrahim et la macabre esthétique jihadiste comme ils l’auraient été par Che Guevara et Hare Krishna, voyous ayant trouvé – sincèrement ou non – leur salut au service armé d’Allah : l’EI et ses semblables leur offrent les moyens, apparemment rédempteurs, d’exprimer leur violence ou leurs espoirs déments. Tous sont bien sûr musulmans sunnites, certains fraîchement convertis, comme Abou le Suisse, qui a embrassé l’islam en 2012 avant de prendre le chemin du Cham et de devenir, selon le quotidien Le Temps, l’émir de la brigade francophone de l’EI.

Complaisance turque

D’autres, musulmans d’origine, ont cru trouver dans l’idéologie jihadiste la vraie nature de l’islam. Si le Français Mohamed Merah, assassin de militaires et de juifs français en mars 2012, revenait des capms jihadistes pakistanais, son compatriote Mehdi Nemmouche, auteur d’un quadruple meurtre au Musée juif de Bruxelles en mai, revenait lui du jihad syrien. Le type même de vétéran qui angoisse les renseignements, conduisant le roi Abdallah d’Arabie saoudite à déclarer, le 30 août, que les jihadistes "pourraient frapper l’Europe d’ici à un mois et les États-Unis d’ici à deux mois" si rien n’est fait pour les contrer.

Le renforcement de l’arsenal judiciaire dans les pays de départ ou les fatwas condamnant l’EI, comme celles émises par le grand mufti d’Arabie saoudite ou par d’importants religieux britanniques, suffiront-ils à endiguer le flot ? "Improbable, répond Balanche, les candidats au jihad considèrent les autorités religieuses comme mécréantes, et aucune loi ne pourra arrêter un individu déterminé. L’unique solution est le bouclage de la frontière turque, désormais leur seul point de passage, mais celle-ci reste une vraie passoire, et, malgré leurs déclarations, les autorités de ce pays font pour le moins preuve d’une coupable complaisance envers cette nouvelle internationale jihadiste."


L’eldorado du jihad. © Jeune Afrique

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