Libye : très cher Seif el-Islam Kadhafi, butin de guerre et trésor vivant
Détenu au secret depuis fin 2011, l’ex-dauphin du « Guide » représente pour ses geôliers un trésor de guerre inestimable. Que lorgnent avec convoitise toutes les factions rivales.
L e 19 novembre 2011, jour de sa capture dans les sables des environs d’Obari (Sud-Ouest), il avait été forcé de se mettre face contre terre. Au rebelle de Zintan qui le tenait en joue, un pied sur son visage, Seif el-Islam Kadhafi, qui pensait rejoindre le Niger déguisé en Bédouin chamelier, demande : "Qui êtes-vous ?" "Nous sommes les rats [surnom donné par Kadhafi père aux rebelles]." "Alors, tuez-moi !" Si ces derniers ne lui ont pas fait cette faveur, c’est que le dauphin du "Guide" constitue leur assurance vie. Mort, il ne vaut rien.
Depuis, Seif el-Islam n’a fait que deux apparitions publiques, la première lors d’une brève interview de quarante secondes réalisée le 7 novembre 2013 par un journaliste de la chaîne de télévision Al-Assema. Vêtu d’un uniforme bleu, un doigt de la main gauche masquant une dentition abîmée par les coups, le plus célèbre des prisonniers de la Libye post-Kadhafi se montre impatient, agacé, expéditif.
Quelques semaines avant la capture de Seif el-Islam, le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI) avait déclaré avoir établi un contact avec lui à travers un intermédiaire. Mais face au refus de Tripoli de le livrer, la CPI a finalement accepté que celui qu’on a un temps présenté comme le futur maître "réformateur" de la Jamahiriya soit jugé dans son pays.
>> Lire aussi : L’avocate de la CPI estime que la justice libyenne ne sera pas "impartiale"
"Dieu est mon avocat !"
La seconde et dernière apparition publique de Seif el-Islam remonte au 27 avril dernier. Détenu au secret quelque part à Zintan, à environ 160 km au sud-ouest de Tripoli, le deuxième fils de Kadhafi comparaît ce jour-là par vidéoconférence devant les juges de la cour pénale de Tripoli. "Dieu est mon avocat !" leur lance-t-il, bravache et un rien condescendant. Depuis, ses chances de bénéficier d’un procès équitable vont s’amenuisant.
Pour les maîtres de Zintan, une cité arabe de quelque 40 000 habitants nichée dans le djebel Nefoussa, fief de l’ennemi berbère, le fils préféré du "Guide" représente un butin inestimable.
Depuis plusieurs semaines, Seif el-Islam est déplacé chaque quarante-huit heures par mesure de sécurité.
Dans le contexte actuel de lutte à mort pour le pouvoir entre les différentes factions armées, l’influence dont il jouit encore auprès des tribus, les secrets d’État qu’il détient et sa probable fortune placée quelque part à l’étranger en font un atout considérable, sinon vital, qu’il s’agit de préserver par tous les moyens. Quitte à se rapprocher des cellules actives et structurées de responsables de l’ancien régime réfugiés dans les pays voisins, en Tunisie et en Égypte notamment.
"La situation est particulièrement critique, et même si Zintan est géographiquement difficile à atteindre, le risque que les islamistes s’emparent de lui est pris au sérieux", confie, depuis Tunis, un ancien bras droit de Seif, qui se dit en mesure d’affirmer qu’il "se porte bien". Et d’ajouter : "La complexe évolution des alliances tribales dans la région n’est pas à l’avantage de Zintan, et ça risque d’empirer."
Après six semaines de combats d’une rare intensité, l’aéroport international de Tripoli, sous contrôle des milices de Zintan depuis trois ans, est passé, le 23 août, aux mains des groupes islamistes de Misrata, riche cité portuaire située à 200 km à l’est de la capitale. La victoire de ces derniers, alliés aux milices salafistes de Tripoli sous l’étiquette Fajr Libya (Aube de Libye), a modifié le rapport des forces politiques en Tripolitaine.
Depuis plusieurs semaines, Seif el-Islam est déplacé chaque quarante-huit heures par mesure de sécurité. À Zintan, on redoute une offensive ou un plan des islamistes pour s’emparer de lui. Car d’aucuns parmi les Misratis ne cachent par leur intention d’arracher celui qui, en 2011, promettait aux rebelles "des rivières de sang".
Zintan affaibli
Longtemps considérée comme la principale puissance militaire de Tripolitaine, la tribu de Zintan, forte de sept milices lourdement armées, est sortie considérablement affaiblie de cette défaite. En dépit du soutien logistique militaire de son allié émirati, elle a enregistré des pertes matérielles importantes et manque désormais de munitions. Réputés habiles ou opportunistes, c’est selon, les Zintanis se sont imposés comme une force incontournable sur la scène libyenne non islamiste post-Kadhafi.
La capture de Seif étant intervenue à un moment clé – le Premier ministre Abderrahim el-Keib conduisait alors des consultations pour former le premier gouvernement post-Conseil national de transition (CNT) -, le chef du conseil militaire de Zintan, Oussama el-Jouili, a hérité du portefeuille de la Défense.
D’autres grandes figures zintanies se sont vu attribuer des ministères stratégiques (Intérieur, Affaires étrangères…) et des postes importants, ce qui leur a permis de financer et d’assurer l’approvisionnement en armes de leurs milices, et de se poser en partenaires crédibles des Occidentaux. C’est ainsi que, à la demande des Zintanis, un projet de construction d’un aéroport par des sociétés françaises avait un temps été évoqué.
Paris et son allié qatari de circonstance avaient fait de Zintan le principal point de livraison d’armes par voie aérienne durant la révolution. L’ancien Premier ministre Ali Zeidan était sous la protection des Zintanis, et son allié libéral, l’ex-président du CNT Mahmoud Jibril, entretient toujours des liens étroits avec l’influente tribu par l’intermédiaire de son bras droit, Abdelmajid Melikta, dont le frère commande la controversée milice Al-Qaaqaa, longtemps réputée comme la plus puissante de Tripoli.
Si Zintan cultive son entregent politico-militaire et son image révolutionnaire, une partie de la tribu n’a jamais rompu avec les kadhafistes.
Mais si Zintan cultive son entregent politico-militaire et son image révolutionnaire, une partie de la tribu n’a jamais rompu avec les kadhafistes. "Nous disposons de canaux de communication avec des membres de Zintan restés fidèles à la Jamahiriya et qui protègent Seif el-Islam", explique un membre actif des réseaux de l’ancien régime qui fait état d’un plan d’exfiltration d’urgence "si nécessaire". Pour les miliciens misratis, qui se sont autoproclamés gardiens de la révolution, il s’agit ni plus ni moins d’une guerre contre les "partisans de l’ancien régime", de surcroît alliés à Khalifa Haftar, qui a lancé en mai l’opération Dignité contre les islamistes de Cyrénaïque.
"La tribu de Zintan est divisée"
Au cours du mois d’août, Zintan a procédé à la libération massive de prisonniers de guerre kadhafistes envoyés faire le coup de feu contre les islamistes de Fajr Libya à Tripoli. Tout en menant une intense offensive diplomatique tribale pour tenter de faire obstacle aux islamistes dans le djebel Nefoussa et empêcher ainsi une éventuelle prise de Seif.
Ces derniers jours, une délégation de dignitaires zintanis s’est discrètement rendue dans la cité berbère voisine de Yefren pour convaincre ses notables de les aider à amorcer une médiation avec les chefs politico-militaires de Misrata. Réponse sans équivoque des caciques amazighs : "Cherchez d’autres alliés, nous ne prendrons pas part à ce conflit."
Les geôliers de Seif el-Islam apparaissent plus que jamais isolés. Même les villes et les tribus arabes de la région ont rejeté la demande des Zintanis, perçus comme arrogants, assoiffés de pouvoir et affaiblis. Mais ces derniers peuvent encore compter sur leur alliance traditionnelle avec l’influente tribu des Warfalla, dont est issu Mahmoud Jibril, ou encore celle des Warshefana, restée en partie fidèle à l’ancien régime, ou du moins nostalgique de l’ordre qu’il faisait régner.
Dans l’entourage de celui que les révolutionnaires surnommaient Zayf el-Ahlam ("l’illusion des rêves"), on garde l’espoir de voir ce dernier libéré à la faveur de l’évolution du rapport des forces politiques : "La tribu de Zintan est divisée, veulent-ils croire, entre ceux, notamment parmi les aînés, qui ne seraient pas opposés à une libération des prisonniers kadhafistes, y compris Seif el-Islam, et un conseil militaire qui y est fermement opposé."
En Libye, certains, y compris parmi les révolutionnaires, sont partagés entre la haine et un reliquat de fascination à l’égard de celui qui avait promis une mutation moderniste de la Jamahiriya. Mais, au conseil municipal de la ville, pas question de faire état de ces divisions ni d’aborder le cas de ce prisonnier si particulier qui excite les convoitises de toutes les factions rivales du pays.
Caisse noire
Seif el-Islam était président de la Fondation Kadhafi pour la charité et le développement, créée en 1998. Il s’en est servi comme caisse noire pour notamment :
- Indemniser des victimes de l’attentat du DC-10 d’UTA
- Solder l’affaire des infirmières bulgares
- Financer la London School of Economics, qui lui a décerné un doctorat en 2009.
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