Gaetan Santomenna : « La réouverture du Cappuccino a été un combat contre moi-même »

Il est 19 heures 30, ce jeudi, à Ouagadougou, lorsque l’enseigne lumineuse du restaurant chic Cappuccino s’allume en présence de plusieurs invités dont des journalistes. Parmi les VIP, le ministre burkinabè en charge de la Culture, Tahirou Barry, qui confie vouloir encourager le symbole d’une nation qui refuse de se mettre à genou face aux terroristes.

Capture d’écran de l’emplacement du Cappuccino sur la Google Map. © DR / J.A.

Capture d’écran de l’emplacement du Cappuccino sur la Google Map. © DR / J.A.

Publié le 16 juin 2017 Lecture : 3 minutes.

L’accès au café est soumis à une fouille minutieuse par des vigiles sous le regard de policiers armés. Un muret de protection en granite et des vitres pare-balles ont été érigés, la décoration revue avec des couleurs attrayantes… Dans la soirée du jeudi 15 juin, le Cappuccino renaît de ses cendres, après avoir subi dix-sept mois plutôt la pire attaque terroriste jamais survenue dans la capitale burkinabè, qui avait fait trente morts le 15 janvier 2016. Dès l’entrée, des hôtesses vêtues de tee-shirt bleu-ciel nous souhaitent la bienvenue et guident nos pas alors que le patron de l’établissement, Gaetan Santomenna, salue chaque visiteur par une chaleureuse poignée de main et reçoit les encouragements des uns et des autres. « J’admire son courage. En revenant ici, c’est comme s’il revisitait les fantômes du passé », glisse un invité visiblement impressionné par la volonté de cet homme qui a perdu sa femme et un de ses fils dans le drame. C’est dans une ambiance sobre toute en symboles et en émotion que le fondateur du Cappuccino s’est confié en exclusivité à Jeune Afrique.

Jeune Afrique : Dix sept mois après l’attentat de Ouagadougou, vous avez rouvert ce jeudi 15 juin. Quel est votre état d’esprit ?

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Gaetan Santomenna : C’est d’avoir respecté l’engagement pris il y a huit mois et surtout d’honorer la mémoire de ceux qui sont partis. Je pense que d’avoir rouvert va nous permettre à tous de dire qu’on ne peut pas baisser les bras face à ces terroristes. Ce n’est pas un sentiment de joie, parce qu’il n’y en a aucun. Je dirai que c’est un sentiment [silence]… Je ne saurai vous le décrire parce que c’est compliqué. La douleur, la mémoire est toujours vivace. Mais, je dirai que c’est une continuité pour dire que ces gens ne sont pas morts pour rien.

Quelle philosophie sous-tend cette réouverture ?

De ne pas accepter la terreur qu’on veut nous imposer. Notre combat vise à léguer un monde libre à nos enfants où ils pourront évoluer sans avoir peur de rien. Et ne pas accepter qu’autrui puisse nous arracher la vie uniquement pour des idées politiques, religieuses. Cela dit, le Cappuccino est ouvert à tous, riches et pauvres sans exception aucune.

Je dois montrer aux autres qu’on peut vivre sans avoir peur de ce qui peut nous arriver. Il faut se battre

Vous vous considérez personnellement comme la 31e victime de ces attentats. Expliquez-nous…

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Je me considère comme un mort-vivant. J’ai tout perdu. Cela ne se remplace pas malheureusement, le reste est matériel. Quand on a quelque chose à perdre, on a peur. Moi, je n’ai plus rien à perdre. Tout ce qu’on m’a pris, on ne pourra plus me le rendre. Je suis là, la peur ne me n’habite absolument pas. Toute injustice doit être dénoncée. Je dois montrer aux autres qu’on peut vivre sans avoir peur de ce qui peut nous arriver. Il faut se battre.

Pourquoi, était-il important de reprendre ce projet ?

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Le 14 juillet 2016 [jour des attaques sur la Promenade des Anglais, NDLR], j’étais chez moi à Nice (France) devant la télé. Quand j’ai vu ce qui s’est passé, je me suis dit que rester inactif dans un canapé, ce n’était pas la solution. Il a fallu que je me batte. La réouverture a été un combat contre moi-même. Baisser les bras pour moi, c’est accepter la barbarie. Dès le 15 juillet, j’ai pris l’avion pour Ouagadougou. Je n’aurais pas fait ça ailleurs. Je devais le faire au même endroit pour que la vie continue, pour que le fil qui a été coupé le 15 janvier 2016 soit renoué, peu importe les conditions.

Comment vivez-vous depuis ce drame ?

Je ne vis pas, je survis. [Silence]

Beaucoup d’amis, de personnes sont venus vous encourager…

Les félicitations, les mots n’ont aucune importance. Si ça peut donner envie à d’autres d’avancer, de vivre correctement, ça sera déjà une grande réussite. Je tiens à préciser que mes anciens collaborateurs ont participé à la réouverture. Ils ont subi et souffert de ce drame. Ils ont perdu beaucoup. Ensemble, il fallait qu’on reconstruise quelque chose. Seul, je n’aurai jamais pu le réaliser. C’est grâce à eux qu’on en est là. Je laisse les rênes à cette famille.

Avez-vous d’autres projets au Burkina ?

Oui, absolument. J’ai un autre projet qui me tient à cœur. C’est un Fast Food que j’ai promis à mon fils avant qu’il nous quitte. Il en avait envie. Si j’ai encore un temps soit peu de vie devant moi je ferai tout pour le réaliser pour moi. Permettez-moi de ne pas communiquer ici les détails. Je souhaite que les choses puissent se dérouler en paix.

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