Nigeria : comment le kidnapping est devenu une activité extrêmement rentable pour les criminels

Avec près de deux enlèvements par jour depuis l’an dernier, le kidnapping est un fléau pour les résidents du pays. Et une véritable industrie pour les criminels.

Des forces de sécurité nigérianes patrouillent le 24 février 2017. © Lekan Oyekanmi/AP/SIPA

Des forces de sécurité nigérianes patrouillent le 24 février 2017. © Lekan Oyekanmi/AP/SIPA

Publié le 19 juin 2017 Lecture : 3 minutes.

L’arrestation est symbolique mais elle illustre bien la guerre que livrent les autorités nigérianes aux enlèvements. Le 10 juin dernier, la police de Lagos appréhendait Chukwudubem Onwuamadike, alias Evans, après une interminable fusillade dans l’une de ses villas. Considéré comme le « roi du kidnapping », le gangster s’est en quelques années bâti une fortune considérable en rançonnant les riches familles de ses victimes, au point d’acquérir deux maisons au Nigeria et deux autres au Ghana, d’après ses aveux.

La police n’a pas manqué de le présenter comme un trophée de sa lutte contre le kidnapping. Reste que cette pratique est un véritable fléau dans le pays. Début juin, le quotidien local Daily Trust affichait en première page des chiffres étourdissants : 630 enlèvements entres les mois de mai 2016 et 2017 à travers le territoire, dont 200 depuis janvier, plaçant le Nigeria dans le top 10 des pays les plus à risque dans ce domaine d’après le baromètre de NYA International, une organisation de conseil en gestion des risques et des crises. Et ce décompte est très largement sous-évalué selon Nnamdi Obasi, spécialiste du Nigeria pour International Crisis Group : « De nombreux enlèvements ne sont pas rapportés car les familles ne font pas confiance à la police et préfèrent traiter directement avec les kidnappeurs. Beaucoup ont lieu dans des zones rurales reculées, du nord de la région centrale au delta du Niger, et les médias en parlent très peu. »

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Des rançons en dizaines de milliers d’euros

Les statistiques ne sont pas précises et rarement régionalisées, mais l’an dernier les États de Lagos au sud-ouest, de Kogi et Kaduna dans le centre ont été particulièrement ciblés par les ravisseurs. Cette pratique est favorisée par un cocktail d’ingrédients tels que le chômage de masse, la criminalité généralisée et la carence de l’État dans ce domaine. « C’est une industrie riche, explique Martin Ewi, chercheur sur le Nigeria à l’Institut sud-africain des études sur la sécurité. Les rançons demandées tournent autour de 10 millions de nairas (28 000 euros) en moyenne. C’est un véritable business pour les criminels qui a le double avantage de présenter moins de risques et de s’enrichir assez rapidement. Les ravisseurs peuvent garder en captivité leur victime pendant des mois car ils sont persuadés que la famille finira par payer. »

Les chiffres prennent en compte tous les enlèvements. Ceux perpétrés par Boko Haram pour le recrutement et le financement de leurs opérations terroristes, ceux commis dans les zones pétrolifères du delta du Niger pour des revendications politiques, et le rapt « commercial » qui a pris des proportions inquiétantes à partir des années 2000. Largement utilisée à partir des années 60 dans le delta du Niger, la méthode s’est généralisée à travers le pays sous un aspect purement vénal. Le phénomène est tel que les autorités ont du mal à le contenir. « Il arrive souvent que les coupables connaissent très bien leur proie, voire fassent partie de la même famille, poursuit Martin Ewi. Et la lutte est d’autant plus difficile du fait du niveau de corruption, une autre plaie du pays. À cela s’ajoute la crise économique que traverse actuellement le Nigeria. »

La sanction de la peine de mort sans effet

Pour limiter la gangrène, le gouvernement adopte des mesures radicales. Depuis 2009, 16 des 36 États qui composent le Nigeria ont approuvé le recours à la peine de mort dans certains cas de séquestration contre rançon. Malgré tout, l’épidémie de kidnapping n’a pas freiné. « Ces mesures ne dissuadent pas les gangsters, pour qui le rapt constitue un moyen efficace de s’enrichir rapidement, argue Isa Sanusi, d’Amnesty International au Nigeria et contre la peine capitale. Et bien que plusieurs ravisseurs soient aujourd’hui en prison, ils ne font que remplir des prisons déjà surpeuplées de détenus en attente de jugement. Avec pour seul résultat de faire du Nigeria le deuxième pays après la Chine au plus grand nombre de condamnations à mort. L’une des réponses à apporter, c’est avant tout la réforme du système judiciaire et la lutte contre le chômage des jeunes. »

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