Ebola : la peur, c’est contagieux
Les mesures de quarantaine, discriminatoires à l’égard des pays touchés, sont-elles excessives ? L’Organisation mondiale de la santé a-t-elle sous-estimé l’ampleur de la menace ? Pendant que l’on se perd en conjectures, l’épidémie et la psychose gagnent du terrain…
Le doute n’est plus permis : dans la lutte contre l’épidémie Ebola, la première manche est perdue. Durant ces dernières semaines, marquées par une psychose grandissante, la barre des 2 000 morts a été franchie, et on constate une explosion de nouveaux cas. Et encore, selon certains spécialistes, la majorité d’entre eux ne seraient pas recensés. Les projections sont donc pessimistes.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) table désormais sur une épidémie qui se propagerait pendant encore six à neuf mois et pourrait toucher jusqu’à 20 000 personnes. Si elle continue de progresser au rythme actuel, le seuil des 100 000 cas sera atteint d’ici à décembre, estime de son côté Christian Althaus, épidémiologiste à l’Université de Berne (Suisse), cité par le magazine Science.
Dans ce contexte, l’Afrique de l’Ouest est de plus en plus ostracisée, comme en témoigne l’annulation d’une réunion de la pourtant très afro-optimiste Fondation Mo-Ibrahim, qui devait se tenir fin novembre à Accra. Plusieurs événements attendus à Dakar, dont le sommet de la Francophonie, en novembre, et le sommet sur la paix et la sécurité en Afrique, le mois suivant, pourraient être menacés, un premier cas ayant été dépisté au Sénégal le 29 août. Le sport n’est pas épargné : à N’Djamena, les autorités envisagent un report, voire l’annulation de la Coupe d’Afrique militaire de football (Camfoot), prévue en novembre.
Et pourtant, cet échec sanitaire n’est pas vraiment une surprise. Les États les plus touchés (la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone) sont parmi les plus pauvres d’Afrique de l’Ouest. Non seulement leur système de santé était déjà en lambeaux, mais ils n’avaient jamais été confrontés à une maladie jusque-là cantonnée à l’Afrique centrale.
"Des gens meurent à l’extérieur de nos centres parce que ceux-ci sont pleins"
La gestion de la crise, après la détection du virus en mars, n’est pas davantage exempte de critiques. Rétrospectivement, on ne peut que regretter que les autorités guinéennes aient minimisé la situation. Mais elles ne sont pas les seules dans ce cas. Une enquête du New York Times, publiée le 3 septembre, met directement en cause l’OMS.
Ces dernières années, le budget bisannuel de l’agence onusienne a en effet été réduit de 1 milliard de dollars (il est désormais de 4 milliards) et son département de réaction aux épidémies et pandémies a été tout bonnement dissous, les professionnels non licenciés étant affectés à d’autres services. Conséquence : ses experts en urgences épidémiques pour l’Afrique, qui étaient une douzaine, ne sont plus que trois.
"L’OMS est une agence technique, s’est défendue sa directrice, la Chinoise Margaret Chan. C’est aux gouvernements qu’il incombe en priorité de s’occuper de leurs concitoyens." Il n’empêche, l’organisation aurait pu ne pas attendre le 8 août pour déclarer qu’Ebola était une "urgence de santé publique de portée mondiale".
Après cette prise de conscience tardive, la réaction des autorités ouest-africaines a été brutale : elle s’est traduite par des fermetures de frontières et la mise en quarantaine de territoires entiers du Liberia et de la Sierra Leone. Il apparaît aujourd’hui que ces décisions sont inapplicables ou contre-productives : elles ont alimenté la psychose (et avec elle, le refus des malades de se faire dépister) et, en entravant les échanges, ont porté un rude coup à ces économies essentiellement agricoles. Le risque est grand de voir la crise sanitaire se doubler d’une crise alimentaire.
Difficile donc de donner tort à l’ONG Médecins sans frontières (MSF), dont Conakry avait critiqué l’alarmisme. "Nous n’arrivons plus à faire face, affirme Henry Gray, son coordonnateur des opérations d’urgence. Je rentre de Monrovia : des gens meurent à l’extérieur de nos centres parce que ceux-ci sont pleins. C’est pourquoi nous lançons un appel aux États, ce qui est très inhabituel de notre part. Ceux qui ont les moyens de lutter contre la maladie doivent le faire immédiatement."
L’échec de la stratégie adoptée jusqu’ici incite en tout cas à en changer. L’OMS a indiqué qu’elle adoptait un nouveau plan de bataille. L’Union africaine, qui s’était d’abord contentée de dénoncer le caractère discriminatoire de certaines mesures prises à l’encontre des pays touchés, s’inquiète dorénavant de voir la fermeture des frontières mener "à des souffrances encore plus grandes" dans lesdits pays.
Les moyens efficaces de lutter contre l’épidémie sont pourtant simples et connus : il faut isoler les patients contagieux et surveiller les personnes avec lesquelles ils ont été en contact. Mais cela nécessite la présence d’agents sur le terrain, formés et bien protégés (car, avec plus de 120 morts, la communauté médicale paie un très lourd tribut au combat contre la maladie).
De timides réactions, plus pragmatiques, s’esquissent, comme la levée, par Monrovia, de la quarantaine imposée à l’un des quartiers de la capitale. La Côte d’Ivoire a annoncé l’ouverture de corridors humanitaires vers le Liberia. Les organisations internationales pressent le Sénégal d’en faire autant. Paris s’est engagé, de son côté, à envoyer une vingtaine de réservistes sanitaires d’ici à la fin de l’année. Cela suffira-t-il ?
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