Biens mal acquis : l’accusation marque un point dans le procès de Teodorín Obiang
Le procès du vice-président de Guinée équatoriale, Teodoro Nguema Obiang Mangue (appelé Teodorín ), s’est ouvert à Paris ce lundi 19 juin. Les arguments soulevés par la défense pour faire reporter cette procédure historique ont été retoqués par les juges. Les débats ont été vifs. Chronique.
C’est un premier bras de fer perdu par la défense : la présidente de la 32e chambre du tribunal de Paris a rejeté la demande de renvoi du premier procès dit des biens mal acquis (BMA), qui s’est ouvert lundi 19 juin dans la capitale française. Accusé aux abonnés absents, le vice-président de Guinée équatoriale, Teodoro Nguema Obiang Mangue, représenté par ses trois avocats, les Français Emmanuel Marsigny et Thierry Marembert ainsi que l’équato-guinéen Sergio Esono Abeso Tomo. Le fils du président est poursuivi pour « détournement de fonds publics », « abus de confiance » et « corruption ».
Parmi les arguments jugés non recevables par la présidente : selon la défense, la France devrait attendre la fin de la procédure initiée par la Guinée équatoriale, en juin 2016, auprès de la Cour internationale de justice (CIJ), puisque sa décision – qui portera sur l’immunité réelle ou non du vice-président et le caractère diplomatique ou non d’un hôtel particulier parisien attribué à Teodorìn – s’imposera à Paris. Réponse des juges : si la saisie de l’immeuble est prononcée par la justice française, l’exécution sera suspendue le temps que la procédure auprès de la CIJ arrive à son terme.
Autre point de désaccord : l’immunité de Teodorín qui, selon l’équipe de défense qui s’appuie sur des décisions antérieures de la CIJ et sur la constitution équato-guinéenne, est dévolue « à des personnalités occupant des hautes fonctions au sein d’un État ». Mais pour la présidente, le 7 décembre, en même temps qu’elle demandait à la France de préserver l’intégrité de l’immeuble incriminé le temps de la procédure, la CIJ se déclarait incompétente pour trancher sur l’immunité du fils de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo. Les débats peuvent donc se poursuivre.
Une partie civile « politique » ?
En face, parmi les parties civiles, l’avocat de Transparency international France, William Bourdon, et celui de la Coalition pour la restauration d’un État démocratique en république de Guinée équatoriale (Cored), Jean-Pierre Spitzer. La présence de cette plateforme d’opposition, qui réunit quelque dix-neuf partis et organisations de la société civile en exil, a suscité une autre protestation côté défense. Jugeant « irrecevable cette partie civile constituée le 2 janvier devant le tribunal », Emmanuel Marsigny qualifie cette coalition de « politique, et elle ne s’en cache pas d’ailleurs ». Elle souhaite « la restitution des biens à son profit (…) et veut une tribune politique ». « Cela risque de polluer les débats sur le fond », a-t-il conclu. Dans l’assemblée, une figure bien connue de l’opposition depuis plusieurs décennies : Severo Moto Nsa, condamné en 2004 par Malabo pour tentative de coup d’État. Exilé en Espagne, cet ancien proche du pouvoir est venu à Paris suivre les débats entouré d’une demi-douzaine d’autres opposants en exil. Pour William Bourdon, « la Guinée équatoriale pourchasse inlassablement ses opposants, et veut les chasser aussi de l’audience tout en vous (les juges, ndlr) faisant une leçon de droit ». Marembert l’interrompt : « C’est un procès politique ! Ou on fait de la politique, ou on fait du droit, mais que les choses soient dites! »
On ne peut donc pas juger les corrompus étrangers ?
Sur le fonds des faits reprochés, la défense estime que, s’il y a blanchiment d’argent, il y a une infraction à l’origine qui doit être caractérisée : à la manière d’un recel, pour que ce dernier soit jugé, il faut qu’il y ait un vol commis à la base. Comprendre : vu qu’aucune plainte n’a été déposée en Guinée équatoriale contre Teodorín, accusé en France d’avoir utilisé de fruit d’un détournement de fonds publics, cela voudrait dire que la France peut enquêter sur une infraction commise par un étranger dans un pays étranger, bafouant ainsi la souveraineté d’un État. William Bourdon s’interroge : « On ne peut donc pas juger les corrompus étrangers ? Très bien. Ce sont les narcotrafiquants qui vont être contents. Remarquez, cela devrait relancer le marché de l’immobilier ! »
Sur le volet équato-guinéen de l’affaire, le tribunal a reçu, via son adresse e-mail et en provenance de l’ambassade en France, les conclusions en espagnol d’une enquête diligentée en Guinée équatoriale pour déterminer si ce qui était jugé en France avait un délit d’origine. « Bon, au delà du fait que cela ne passe pas par un avocat, on ne comprend pas l’espagnol. Est-il possible d’avoir une version traduite? » interroge la juge. « Vous l’aurez », promet Marsigny.
Passe d’armes tendue entre avocats
Passé les références aux différentes jurisprudences, d’un côté comme de l’autre, censées faire valoir ou décrédibiliser l’immunité du vice-président (« C’est une immunité de façade, tout le monde sait que M. Obiang passe tout au plus un mois par an dans son pays ! », dit Bourdon), Emmanuel Marsigny s’interroge : « Il ne viendrait à personne d’imaginer que le vice-président des États-Unis ne bénéficie d’aucune immunité. Alors, est-ce parce qu’il s’agit d’un petit pays ? Est-ce parce qu’il est noir et le fils du président ? » Indigné, Spitzer prend la parole : « Je représente ici des Équato-guinéens et comme vous pouvez le voir, ils sont tous noirs ! Il y a des choses qu’on ne peut pas dire dans l’enceinte d’un tribunal ! » Bourdon : « La défense de M. Obiang est une habituée des contorsions judiciaires. M. Obiang a une obsession pathologique, celle de transformer les règles d’immunité en règles d’impunité ! » Sergio Tomo : « Chez nous on dit : le crabe a du mal à danser car il a trop de pattes ; eh bien je pense que M. Bourdon a trop de pattes ! Mais je comprends qu’il a un problème : le procès doit se tenir rapidement car il veut récupérer ses honoraires ! » « Vos plaidoieries sont comme un lugubre chant du signe! », s’exclame à son tour Bourdon. Et de conclure à l’attention des juges : « Une coutume est en train d’émerger et des décisions ont déjà été prises en ce sens : en aucun cas les faits commis à titre personnel ne doivent être protégés. Et c’est en ce sens que vous allez rendre une décision moderne. » Reprise des débats mercredi 21 juin.
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