Procès des biens mal acquis : « On ne parle pas de dix balles, Madame la Juge ! »
Jeudi 22 juin, au troisième jour d’audience du procès dit des biens mal acquis, dans lequel le vice-président équato-guinéen Teodoro Nguema Obiang Mangue est accusé de détournement de fonds publics, de blanchiment et d’abus de confiance, la défense était à pied d’œuvre, tout en pensant déjà à l’étape cruciale de l’audition des témoins. Compte-rendu.
Procès des biens mal acquis : un verdict historique
Teodoro Nguema Obiang Mangue, vice-président de Guinée équatoriale, a été condamné vendredi 27 octobre par la justice française à trois ans de prison et 30 millions d’amende avec sursis. Retrouvez tout ce qu’il faut savoir sur ce dossier historique.
Avant la grande bataille, mieux vaut fourbir ses armes. Mieux, saboter celles de son adversaire. À la 32e chambre correctionnelle du Palais de justice de Paris, la défense de Teodoro Nguema Obiang Mangue avait choisi d’appliquer cette dernière maxime, jeudi 22 juin, au troisième jour des audiences du procès dit des biens mal acquis.
La juge a pourtant d’abord poursuivi son exposé du contexte, donnant lecture des dépositions des deux anciens ambassadeurs de France en Guinée équatoriale, dont les avis ont dépeint un « Teodorín » en ministre factice, « enfant gâté ». Considéré comme le maître d’une filière bois dans laquelle il n’aurait pas hésité à puiser des commissions (« à hauteur de 20% »), le fils du président se voyait « reprocher, et à juste titre, de ne rien faire », selon un des ambassadeurs cités.
Pas de reconnaissance de culpabilité
Une description rude, mais qui a curieusement laissé la défense de marbre. Celle-ci avait en réalité autre chose en tête : aborder le volet américain de l’affaire Obiang. Alors que plusieurs biens, dont une villa à Malibu et un jet de 38,5 millions de dollars, avaient été saisis en octobre 2012 par la justice américaine, Teodoro Nguema Obiang Mangue avait en effet accepté de passer un compromis avec le département d’État américain. En échange de l’abandon de la procédure, il avait accepté de vendre une partie des biens saisis, à hauteur de 30 millions d’euros, qui devaient officiellement être versés à des associations d’utilité publique en Guinée équatoriale.
« Je sais que les parties civiles vont tenter de faire passer cet accord pour une reconnaissance de culpabilité », a entamé Me Emmanuel Marsigny, avocat de Teodorín Obiang. « Or il a été conclu alors qu’un juge fédéral avait estimé que les saisies n’avaient pas lieu d’être car il n’y avait pas suffisamment de preuves concernant la provenance illégale des fonds ayant servi à les acquérir », a-t-il poursuivi, provoquant l’étonnement du tribunal.
« En général, quand on renonce à 30 millions, c’est qu’on a quelque chose à se reprocher »
Si la justice fédérale était en faveur du vice-président équato-guinéen, pourquoi celui-ci a-t-il accepté de payer ? « En général, quand on renonce à 30 millions d’euros, c’est qu’on a quelque chose à se reprocher », glisse la juge. « C’est votre avis », rétorque l’avocat de la défense. « Personne ne peut se mettre à la place de mon client. On ne peut que faire des supputations », ajoute-t-il, avant d’enfoncer le clou.
« N’oublions pas non plus que, quand il y a un corrompu, c’est qu’il y a des corrupteurs. On ne parle pas de dix balles, pardonnez l’expression, mais de centaines de millions. Pourtant, aucun corrupteur n’a jamais été condamné autour de mon client. Il y a pourtant plusieurs centaines d’entreprises américaines qui travaillent en Guinée équatoriale, ainsi que de nombreuses françaises, dont Total, qui a le monopole de la distribution de carburant », glisse-t-il.
Un « lion » contre des « chasseurs » ?
Riposte du procureur, qui revient au volet américain : « Mais Maître, pourquoi abandonner des biens s’il n’avait rien à se reprocher ? » « Parce que le département d’État, même après la décision du juge fédéral, aurait pu porter l’affaire plus loin, devant un grand jury par exemple », répond la défense, agacée. « Mais s’il n’y avait plus aucune charge, il n’y avait pas de risques », tente la juge. « Ça aurait coûté encore plus cher en frais d’avocats ! », s’exclame Me Thierry Marembert.
Personne ne peut être dans la tête de Teodorín Nguema Obiang Mangue
Et Me Sergio Esono Abeso Tomo, avocat équato-guinéen de l’accusé, de conclure, dans son style lyrique : « Personne ne peut être dans la tête de Teodorín Nguema Obiang Mangue. Comme on dit chez moi, les lions n’ont pas d’historiens, seuls les chasseurs en ont. Aujourd’hui, je suis l’avocat d’un lion ».
« Alcool, putes, coke »
L’audience pouvait se poursuivre. Et la juge d’énumérer les biens prétendument mal acquis du vice-président équato-guinéen. Voitures de luxe, hôtel particulier avec salon de coiffure et discothèque, chaussures, objets d’art, montres achetées plusieurs centaines de milliers d’euros place Vendôme… La description du train de vie de « Teodorín », appuyée par la lecture de plusieurs témoignages de ses anciens employés, chauffeur, homme à tout faire ou cuisinier, est lourde de sens.
Quand les valises étaient vides, il retournait en Guinée équatoriale
« Alcool, putes, coke », résume l’un d’eux, qui ajoute : « Il arrivait avec des valises d’argent, dépensait tout et quand elles étaient vides, il retournait en Guinée équatoriale ». Au 42 avenue Foch, dans le fameux hôtel particulier, reconverti ensuite en annexe de l’ambassade en 2011, la mode est par exemple à l’honneur, mais, pour une fois, le mannequin y est roi, et ce sont les grands couturiers qui défilent !
« On va s’évanouir »
Cette fois encore, la défense ne réagit pas. La partie civile non plus. Me William Bourdon et Jean-Pierre Spitzer sont d’ailleurs absents, sans doute pour préparer les interrogatoires des témoins qui auront lieu le 26. La chaleur et la canicule ont fait leur office. « À quelle heure pensez-vous que nous aurons fini Madame la Juge », interroge Me Thierry Marembert, « parce que nous allons nous évanouir vers 18 heures ! » La séance n’ira pas aussi loin. Elle est levée, en avance, à 17 heures, après une dernière joute verbale entre Me Sergio Esono Abeso Tomo et le tribunal sur le code pénal équato-guinéen, que la juge, évidemment pas spécialiste, cherche à prendre en compte dans sa réflexion.
Toute l’assistance pense de toute façon déjà au prochain round, le 26 juin, lorsque les sept témoins, dont six pour les parties civiles, se succéderont à la barre. Les débats risquent alors d’être essentiellement politiques et l’ambiance d’autant plus électrique. Du côté de la partie civile, on tentera de décrire une Guinée équatoriale dictatoriale et ploutocratique. Et du côté de la défense, on jouera à fond la carte Simon Mann.
Condamné pour une tentative de coup d’État contre le président Obiang et dont les bénéficiaires auraient pu être certains membres de la Coalition pour la restauration d’un État démocratique en république de Guinée équatoriale (Cored, aujourd’hui partie civile), l’ancien mercenaire sud-africain est appelé « pour montrer ce qu’est vraiment la Cored », glisse un avocat de la défense. Les lions ont affûté leurs griffes, l’arène est prête, place désormais aux jeux, en espérant que ce ne soit pas le cirque !
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