Les nuits du Ramadan à Alger, un vrai business
Depuis quelques années, les soirées du mois du Ramadan sont devenues des opportunités pour les jeunes sociétés événementiel en Algérie. Mais la crise économique qui secoue le pays jette un froid sur ce secteur en plein essor.
Près des canons, des sofas et des tables basses ont été installés sur une moquette verte, qui fait office de pelouse synthétique, tandis qu’un jeu de lumières habille les murs. Sur cette terrasse du Palais des Raïs, un ensemble de demeures ottomanes construit entre la baie d’Alger et la Casbah, un spectacle est proposé au public presque chaque soir après l’iftar. Deux autres espaces ont été aménagés dans l’enceinte du Palais : à l’intérieur du Bastion 23, les visiteurs sont plongés au son de l’oud dans l’esprit de la vieille ville, tandis que, dans la cour principale, d’autres se prélassent dans une ambiance lounge.
« Notre but avec l’événement El Manzah [ndlr « terrasse » en arabe] est de réconcilier les Algériens avec leur patrimoine. Certains de nos clients n’avaient jamais mis les pieds ici avant », explique à Jeune Afrique Mahrez Rabia, animateur radio et télé et cofondateur de La Fabrik Prod, une agence de communication qui organise depuis 2013 des manifestations culturelles et grand public pendant le Ramadan.
À l’époque, l’établissement enregistrait 50 entrées par mois. Nous, le premier soir, on avait accueilli 250 personnes
Avant le Palais des Raïs, son équipe avait investi le musée du Bardo. « Une opération bankable : à l’époque, l’établissement enregistrait 50 entrées par mois. Nous, le premier soir, on avait accueilli 250 personnes. Toute l’Algérie était là : des jeunes filles en robe croisées, des femmes voilées ou en haïk [ndlr le voile traditionnel algérien], des barbus, des non barbus. On recevait également des délégations diplomatiques », détaille l’entrepreneur de 32 ans, qui dit s’être inspiré d’une soirée au Louvre, en France, à laquelle il avait assisté quand il étudiait à l’Ecole Supérieure de Journalisme de Paris (ESJ).
L’initiative, qui avait nécessité six mois de préparation, avait engendré un bénéfice estimé à trois millions de dinars (soit 24 000 euros).
Un phénomène qui se développe depuis 15 ans
Monotone le restant de l’année, la capitale algérienne vibre les soirs de Ramadan. Concerts, théâtre, cafés, discothèques… Les Algérois ne manquent pas de choix pour s’occuper, de la rupture du jeûne jusqu’à l’aube.
C’est à partir de la fin des années 2000 que les sociétés de communication et d’événementiel ont commencé à exploiter ce nouveau filon. Si, au départ, ces rendez-vous nocturnes se déroulaient dans des lieux fermés (chapiteaux, hôtels, salles de spectacle etc.), la mode est désormais aux espaces en plein air.
Après une décennie noire, les Algériens aspirent à vivre autre chose
Pour Tinhinen Makaci, qui passe ce mois-ci toutes ses soirées à « The Forest », un café niché au cœur de la forêt d’Hydra, sur les hauteurs d’Alger, « l’été est propice à l’avènement des soirées ramadanesques ».
Mais la responsable de la communication de l’agence d’événementiel Insomnia est persuadée qu’il ne s’agit pas d’un phénomène saisonnier : « La demande est là. Après une décennie noire, les Algériens aspirent à vivre autre chose. »
Il faut dire que la tendance gagne d’autres villes du pays. Après Alger, Oran, Béjaïa et Annaba s’y sont mises. « Les débuts étaient timides mais on remarque un boom de ce secteur depuis 2013 et pas seulement dans la capitale », analyse Tarik Ouhadj, cofondateur de Broshing Events, une agence productrice d’événements, pionnière en la matière.
« Certains lieux ne sont ouverts au public que durant cette période. C’est le cas, par exemple du, jardin botanique de l’hôtel Saint-Georges. En fait, pendant le Ramadan, on peut voir le potentiel qui existe en Algérie dans le domaine culturel et événementiel », estime ce chef d’entreprise.
La crise économique est passée par là
Mais cette année, son agence, qui emploie 13 personnes, fait l’impasse sur le Ramadan. La faute à une conjoncture économique désavantageuse. « On ressent à notre échelle la crise économique, liée en partie à la baisse des prix du pétrole. Depuis deux ans, il est plus difficile de convaincre une marque de sponsoriser de tels événements. Comme leur budget de communication est serré, elles préfèrent miser sur des valeurs sûres comme le sport plutôt que la culture », avance Tarik Ouhadj, qui planche sur la troisième édition du Festival Algé’Rires, prévue pour l’année prochaine.
D’après lui, la vente de billets ne permet pas de couvrir les charges relatives à l’organisation de tels évènements, dont le coût oscille entre 15 et 30 millions de dinars (soit entre environ 120 000 et près de 240 000 euros).
Aujourd’hui, ramener un artiste de l’étranger coûte plus cher, il faut bien répercuter les frais quelque part
La crise économique a également des conséquences sur le taux de fréquentation de ces soirées. En quelques années, le prix du ticket d’entrée a quasiment doublé, passant de 800 dinars (6,5 euros) en moyenne à 1 500 dinars (12 euros).
« Cette augmentation est due en partie à la dévaluation de notre monnaie. Aujourd’hui, ramener un artiste de l’étranger coûte plus cher, il faut bien répercuter les frais quelque part », souligne Tarik Ouhadj.
Le Ramadan reste une période propice
Dans ce contexte, difficile de faire salle comble tous les soirs. « J’avais prévu un démarrage plus rapide mais le taux de remplissage les 15 premiers jours était de 50% », reconnaît Mahrez Rabia, qui pointe du doigt d’autres paramètres. « Cette année, on a eu du mauvais temps et le baccalauréat pendant le Ramadan. Ça ne nous a pas aidé. »
Si les organisateurs de soirées du Ramadan ne sont pas certains de rentrer dans leurs frais, ils restent malgré tout optimistes. « Même si l’événement n’est pas rentable, le Ramadan reste une opération de charme. Ce genre de manifestation est une belle vitrine pour nos agences, elle permet de nous faire connaître auprès des marques », conclu Mahrez Rabia.
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