Cameroun : l’affaire Lydienne Yen Eyoum, un procès jugé d’avance ?
Accusée de détournements de fonds publics et risquant la prison à vie, l’avocate franco-camerounaise Lydienne Yen Eyoum est en détention provisoire depuis près de cinq ans à la prison de Kondengui. Retour sur un procès hors-norme, dont le verdict doit être prononcé par le tribunal criminel spécial de Yaoundé le 11 septembre.
Avocate franco-camerounaise, Lydienne Yen Eyoum a longtemps été l’un des membres les plus en vue du barreau de Douala, au Cameroun. Défendant l’État et notamment le ministère des Finances, elle est tombée, en 2010, dans l’une des multiples affaires liées à l’opération Épervier lancée par le Premier ministre Ephraïm Inoni et le président Paul Biya en 2004.
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Accusée de détournement de fonds, aux côtés de l’ancien ministre des Finances Polycarpe Abah Abah, lui-même arrêté et détenu depuis mars 2008, elle croupit désormais en détention provisoire à Kondengui depuis près de cinq ans, l’État camerounais estimant qu’elle pourrait profiter de sa nationalité française, acquise par mariage, pour fuir la justice. Pourtant, selon l’article 221 du code de procédure pénale, la période de détention provisoire ne peut excéder six mois, sauf ordonnance motivant une prorogation d’un maximum de douze mois en cas de crime et de six mois en cas de délit.
C’est le 11 septembre que le tribunal criminel spécial rendra son verdict dans cette affaire. Il y a pourtant peu de chances, selon ses avocats, que l’énoncé débouche sur autre chose qu’une lourde condamnation. La bataille judiciaire, qui remet une nouvelle fois en question l’indépendance de la justice camerounaise, semble encore loin d’être close.
Voici, en cinq questions-clés, ce qu’il faut savoir pour comprendre le dossier Yen Eyoum.
Cliquez sur les questions pour accéder aux explications.
> Que lui reproche-t-on ?
> Quelles sont ses conditions de détention ?
> Assiste-t-on à une parodie de justice ?
> À quoi s’attendre pour le verdict ?
> Pourquoi la France et l’ONU pourraient jouer un rôle ?
Lydienne Yen Eyoum risque la peine maximale : la prison à vie. Accusée de détournement de fonds publics par l’État du Cameroun, elle a été arrêtée le 8 janvier 2010 et a rejoint à Kondengui, la prison centrale de Yaoundé, une vingtaine de ministres et hauts fonctionnaires, cibles de l’opération anti-corruption, dite Épervier, lancée sous l’impulsion de Paul Biya. Parmi eux : l’ancien ministre de l’Économie et des Finances Polycarpe Abah Abah et l’ancien ministre de la Santé Urbain Olanguena Awono. Était également accusé dans cette affaire l’ancien ministre délégué aux Finances en charge du Budget, Henri Engoulou, décédé en détention le 8 mai 2014.
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Lydienne Yen Eyoum était avocate de l’État camerounais et avait été chargée de recouvrements de sommes colossales, notamment sous mandat spécial délivré par le ministère des Finances le 16 décembre 2004, dans le dossier opposant ce dernier à la filiale camerounaise de la Société générale, la Société générale de banques du Cameroun (SGBC).
L’affaire qui la concerne est née d’un recouvrement des fonds de la liquidation de l’ex-Office national de commercialisation des produits de base (ONPCB), versés sur un compte de la SGBC. Me Eyoum avait été chargée de récupérer quelque 3,6 milliards de francs CFA que la banque était supposée avoir bloqués alors qu’elle aurait dû les restituer à l’État. Grâce à l’action de Lydienne Yen Eyoum, l’établissement sera finalement sommé, par décision de justice, de transférer 2,155 milliards de francs CFA à l’État. C’est à partir de cette somme que l’avocate retiendra, avec accord du ministère de la Justice, 1,077 milliard à titre de « dépens » (frais de justice engagés pour un procès).
L’État accuse Lydienne Yen Eyoum d’avoir détourné 1,077 milliard de francs CFA.
Une action tout à fait justifiée pour la défense, puisqu’elle aurait été prise en accord avec l’ancien ministre délégué aux Finances en charge du Budget, Henri Engoulou, aujourd’hui décédé. Une correspondance de ce dernier, versée au dossier, en date du 23 décembre 2004, indique ainsi : « Maître, comme suite à la décision de justice relative à l’affaire État du Cameroun/ONPCB contre la SGBC, et en attendant que nous nous mettions d’accord sur vos honoraires, j’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir virer la moitié de la somme (…) au profit du Trésor public. » En clair, dans l’attente d’un accord entre l’État et la SGBC, la somme de 1,077 milliard reste entre les mains de l’avocate.
« Les fonds litigieux provenant des dépens appartiennent à l’avocat », qui devient « créancier direct de la partie perdante », explique Me Black Yondo, avocat de l’accusée. « Ce ne sont donc pas des deniers publics », insiste-t-il, évoquant un procès « scandale » qui n’a pas lieu d’être. « Il semble surtout qu’on lui reproche d’avoir (…) travaillé sous les instructions d’un ministre des Finances [Polycarpe Abah Abah, NDLR] suspecté lui aussi de détournements de fonds publics », ajoute quant à elle Me Caroline Wassermann, un des avocats français de Lydienne Yen Eyoum, qui a engagé une procédure en France pour détention arbitraire.
On ne se fait guère d’illusion quand on parle de détention à Kondengui. Surpeuplée, insuffisamment, voire pas du tout approvisionnée, la prison centrale de Yaoundé est l’une des plus tristement célèbres d’Afrique subsaharienne.
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« Les conditions de sa détention sont effrayantes même si elles se sont un peu améliorées ces derniers temps », explique Caroline Wassermann, qui a récemment rendu visite à sa cliente en cellule et qui a notamment décrit les lieux dans une lettre au pape François datée du 24 avril dernier. « Cela fait 4 ans et demi qu’elle croupit parmi les rats et les cafards dans une prison dont le taux de surpopulation est de 400%, en compagnie de centaines de co-détenus dont les chevilles sont enchaînées », s’indigne-t-elle. Selon ses proches, Lydienne Yen Eyoum est épuisée moralement et physiquement. Inquiets, ils ont peur à la fois pour sa santé et sa sécurité.
Martin Belinga Eboutou, directeur du cabinet civil du président Paul Biya, dans une lettre adressée en 2012 au quotidien français Libération, justifiait la prolongation de la détention provisoire en arguant du fait que l’accusée »entend[ait] user de tous les subterfuges pour échapper à la justice camerounaise ». Et notamment de sa nationalité française, acquise par mariage. « La lenteur décriée dans cette affaire est entretenue par les accusés [dont les] conseils ont ecipé de la nullité de la procédure », explique-t-il encore.
« Elle n’aurait jamais pris la fuite puisqu’elle a construit toute sa vie et sa carrière au Cameroun. Elle pouvait parfaitement se présenter libre devant ses juges ! », répond Me Wassermann, s’indignant du fait que les demandes en liberté demandées à la justice camerounaise ont toutes été refusées.
Cela fait 4 ans et demi qu’elle croupit parmi les rats et les cafards, dit son avocate.
« L’insécurité à Kondengui est permanente », raconte de son côté Maxime Cessieux, en mission à Yaoundé en juin 2014 pour le compte du Syndicat des avocats de France. « Notre consœur a fait l’objet de deux agressions physiques ayant nécessité son hospitalisation », poursuit-il.
Et pour cause, à son arrivée à Kondengui, Lydienne Yen Eyoum a été présentée comme faisant partie des prédateurs du système qui détournent les deniers publics à leur profit au détriment du peuple. Devenue une cible, d’abord incarcérée dans une cellule collective avec vingt-deux détenues, elle est aujourd’hui seule dans une cellule double, un cagibi qu’elle a été autorisée à aménager aux frais de sa famille. « Son cas ne peut pas laisser indifférent », estime pour sa part François Zimeray, ancien ambassadeur de France aux Droits de l’homme. « Il y a des dossiers qu’on ne peut pas oublier ».
Difficile de croire en l’impartialité de la justice en ce qui concerne l’affaire Lydienne Yen Eyoum. « Ces tribunaux créés ex-nihilo pour officiellement lutter contre la corruption sont en réalité des vitrines destinés à rassurer les bailleurs de fonds internationaux », estime Caroline Wassermann, rejoint par son confrère et co-défenseur, Me Christian Charrière-Bournazel, qui estime que le pouvoir a simplement cherché à écarter le ministre des Finances de l’époque, Polycarpe Abah Abah.
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Le tribunal criminel spécial créé pour l’occasion n’instaure pas de possibilités d’appel et le président de la Cour, Me Yap Abdou, qui officiait auparavant comme collaborateur du conseiller juridique de Paul Biya, est accusé par la défense d’avoir, directement ou non, été partie poursuivante dans ce dossier dès 2008. « C’est vous qui avez décidé qu’on arrête Me Yen Eyoum et qu’on la poursuive », a notamment lancé Me Black Yondo lors de l’audience du 17 juin 2014. « Par quel revirement allez-vous la remettre en liberté ? », s’est-il faussement interrogé.
« Je n’ai pas l’impression que Laurent Esso ait une grande marge de manœuvre », glisse-t-on, sous couvert d’anonymat.
Selon des sources proches du dossier, celui-ci est piloté directement par la présidence, sans que le ministère de la Justice, que Jeune Afrique a tenté de joindre en vain, joue un rôle de premier plan. « Je n’ai pas l’impression que Laurent Esso ait une grande marge de manœuvre », glisse-t-on, sous couvert d’anonymat. « J’ai été reçue l’année dernière [2013, NDLR] par Laurent Esso en personne qui s’est montré complètement insensible à l’état de Lydienne », confie pour sa part Me Wassermann. « Il a persisté à marteler qu’elle était coupable, alors même que son procès n’avait pas commencé. »
Dans un document, dont Jeune Afrique a eu copie, estampillé confidentiel et daté du 29 décembre 2009, soit dix jours avant l’arrestation de Lydienne Yen Eyoum, c’est bien le secrétariat général de la présidence de la République qui a notifié au ministre de la Justice « l’accord du chef de l’État (…) tendant à faire déférer Maître Eyoum Yen Lydienne (…) en vue de l’ouverture d’une information judiciaire contre [elle], avec mandat de détention provisoire, du chef de détournement de deniers publics et complicité ».
Lydienne Yen Eyoum risque la prison à vie. Et, de l’aveu de la défense, il n’y a que très peu de chances pour que le verdict soit favorable à l’accusée. Les précédentes condamnations en lien avec l’opération Épervier sont très lourdes.
L’ex-ministre Alphonse Siyam Siwé a écopé de la prison à perpétuité pour des détournements de fonds au port autonome de Douala en décembre 2007. Urbain Olanguena Awono, ancien titulaire du portefeuille de la Santé a quant à lui été condamné à 15 ans de prison. Enfin, comment ne pas relever les similitudes avec l’affaire Atangana, qui n’a été libéré qu’après 17 ans d’incarcération.
« Peut-être sont-ils tout simplement les victimes d’une guerre pour la succession qui n’est pourtant pas encore ouverte à la tête de l’État », écrivait Jeune Afrique en 2010, année de l’incarcération de Lydienne Yen Eyoum. Une observation qui pourrait s’avérer toujours d’actualité.
Pour certains acteurs du dossier, le fait que le Cameroun se soit retrouvé au centre des négociations concernant des otages français n’est pas de très bon augure. Dans la situation sécuritaire actuelle, il se pourrait que les droits de l’homme passent au second plan, même si seuls les avocats de l’accusée s’autorisent à le formuler de manière aussi franche.
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Ses avocats français ne s’en cachent pas : le cas de Lydienne Yen Eyoum, franco-camerounaise, devrait mobiliser des mécanismes internationaux. « Nous avons déposé en France, à l’été 2011, une plainte avec constitution de partie civile dont la finalité est de faire condamner les responsables pour ce qui apparaît clairement comme une séquestration arbitraire et des actes de traitements inhumains et dégradants, voire de torture et de barbarie », explique Caroline Wassermann. En filigrane, c’est donc bien l’État camerounais qui est visé. D’où, sans doute, une certaine frilosité de la justice française à lancer une instruction dans ce dossier.
Alors que le parquet puis la cour d’appel de Paris se sont montrés réticents, l’affaire a fini par se jouer à la Cour de cassation qui a déclaré recevable, le 19 mars 2013, l’ouverture d’une information judiciaire visant le président camerounais ainsi que d’autres responsables de l’État pour des faits présumés de « torture, d’actes de barbarie et de détention arbitraire ».
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« Il est logique qu’il y ait, côté français, quelques grincements de dents surtout quand on sait que nous avons eu des otages au Cameroun, et que nous avons eu besoin du concours des autorités camerounaises pour les faire libérer », tempère Caroline Wassermann. Très suivi du côté des autorités diplomatiques, notamment à l’ambassade aux droits de l’homme du temps de François Zimeray puis de son successeur Patrizianna Sparacino-Thiellay, le dossier est également suivi depuis l’Élysée. La conseillère Afrique de François Hollande, Hélène Le Gal, dans une lettre datée du 11 février 2013 et adressée à Me Christian Charrière-Bournazel, explique que le cas de Lydienne Yen Eyoum faisait « l’objet d’une attention particulière des services français », tout comme celui de Michel Thierry Atangana.
Désormais président du comité de soutien de l’avocate franco-camerounaise, Atangana a été libéré, fin février 2014, après une forte pression internationale, notamment de la part de la France et des Nations unies. Et ce sont les mêmes instances onusiennes, saisies en juin par la défense de Lydienne Yen Eyoum, qui vont être amenées à statuer dans les mois qui viennent sur la question de savoir si elle subit ou non une détention arbitraire et si elle est victime de traitements inhumains et dégradants.
Si elle tombe dans l’oubli, elle mourra en prison
« C’est le fruit d’une diplomatie discrète et efficace », se félicitait-on dans l’entourage de François Hollande, lors de la libération d’Atangana, soulignant également l’action de l’ONU. On ne sait si l’histoire se répétera. Elle devra cependant faire vite. « Si elle tombe dans l’oubli, elle mourra en prison », a ainsi confié à Jeune Afrique un diplomate qui a récemment visité la prisonnière de Kondengui.
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