Procès des « biens mal-acquis » : « Teodorín, roi de la transparence, c’est une véritable blague ! »
Le procès des « biens mal-acquis », dans lequel Teodoro Nguema Obiang Mangue, dit « Teodorín », est accusé de détournement de fonds publics, d’abus de confiance et de blanchiment, se poursuivait mercredi. Et il a été question, entre autres, de « sentiments ».
Procès des biens mal acquis : un verdict historique
Teodoro Nguema Obiang Mangue, vice-président de Guinée équatoriale, a été condamné vendredi 27 octobre par la justice française à trois ans de prison et 30 millions d’amende avec sursis. Retrouvez tout ce qu’il faut savoir sur ce dossier historique.
Même les lions peuvent avoir des sentiments. Et, à la 32e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, on en a parlé, dans le cadre du procès de Teodoro Nguema Obiang Mangue, vice-président de la Guinée équatoriale. Tout avait pourtant commencé sans surprise, la juge reprenant certains témoignages figurant au dossier. Elle a ainsi détaillé à nouveau les principes d’une « taxe révolutionnaire », qu’aurait mis en place Teodorín, alors ministre des Forêts. « 10 000 ou 15 000 F CFA par mètre cube, payés à l’embarquement du bois, directement à Somagui », a-t-elle étayé, s’appuyant sur le témoignage de German Tomo Mangue, professionnel du secteur forestier ayant travaillé en Guinée équatoriale.
La défense a alors commencé à mettre en doute la crédibilité d’un des témoins cités, dont le frère serait toujours homme d’affaires à Malabo et qui aurait, selon elle, menti dans sa déposition. « Ce témoin nous dit qu’il n’est pas en mesure d’apporter de preuves, parce qu’il a dû quitter précipitamment la Guinée. Mais ce n’est pas crédible », tente d’expliquer Me Sergio Esono Abeso Tomo.
« Si Monsieur Nguema était là… »
Devant l’attitude de la juge, l’Équato-Guinéen est ensuite emporté par sa fougue. « Vous faites tout pour m’empêcher de m’exprimer ! », s’exclame Me Tomo, qui avait déjà menacé de « rentrer à Malabo » lors d’une audience précédente. Indignation immédiate de la juge, qui estime son attitude impartiale, et réaction outrée du procureur, dans la même veine. Mais la défense n’en a pas fini.
« Nous avons le sentiment que, chaque fois que nous tentons d’apporter un élément au débat, le tribunal y reste sourd », glisse Me Marsigny. « Gardez vos sentiments pour vous Maître », rétorque la juge, s’attirant les regards courroucés de la défense. « Si Monsieur Nguema était là, il pourrait exprimer ses sentiments, mais je ne suis pas sûre que cela soit essentiel dans le cas de ses avocats ».
La SGBGE au cœur des discussions
C’est donc dans un contexte un brin tendu que les débats ont repris, autour de l’implication des banques dans les détournements dont est accusé le vice-président équato-guinéen. Au centre des discussions : la Société générale de banques en Guinée équatoriale (SGBGE) et sa maison-mère, la Société générale, qui a indiqué à la justice française qu’elle ne contrôlait pas complètement sa filiale, au capital de laquelle elle est minoritaire.
« Il y a un certain nombre d’éléments qui laissent penser que la SGBGE était au courant des achats de Monsieur Nguema », indique la juge. Un témoin, inspecteur des Finances, affirme notamment que des copies de factures étaient conservées. Un ancien directeur général de la structure explique même : « J’ai conseillé de fermer la filiale. Le système équato-guinéen n’était clairement pas approprié, car basé sur la corruption. »
J’ai conseillé de fermer la filiale. Le système équato-guinéen n’était clairement pas approprié, car basé sur la corruption.
Selon un autre ancien directeur général, chaque virement lié au Trésor public était validé par la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC). Il était par ailleurs impossible, selon lui, de s’élever contre les fraudes, car la famille Obiang contrôlait tout, via le président du Conseil d’administration et les deux directeurs adjoints. La défense a alors insisté sur le rôle de la maison-mère Société générale, estimant qu’elle ne pouvait ignorer ce qui se passait, selon l’accusation, à Malabo.
« Ce qu’il faisait était légal dans son pays »
Mais William Bourdon ne souhaite pas laisser le champ libre à ses adversaires sur ce point. « La question de la défaillance des institutions bancaires et de leur opacité est au cœur du système de défense des grands délinquants financiers, quand ils cherchent à diminuer la responsabilité pénale », affirme-t-il, évoquant une stratégie de la défense pour obtenir des « circonstances atténuantes ».
Réplique de Me Marsigny : « On parle d’un compte ouvert à Malabo, au nom de Teodoro Nguema Obiang Mangue. C’était transparent. Tout le monde savait que ce qu’il faisait était parfaitement légal dans son pays. » « Teodorín, roi de la transparence, c’est une véritable blague ! », s’esclaffe alors Me Bourdon, qui n’est toutefois pas au bout de son indignation.
Une question surprise
La défense joue en effet une dernière carte : une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), qu’elle doit déposer et présenter au tribunal jeudi 29 juin. « Nous parlons de faits ayant eu lieu en Guinée équatoriale et d’un accusé équato-guinéen, la question se pose sur la possibilité de le juger sur la base du droit français », justifie la défense, qui espère obtenir la relaxe de son client.
« C’est honteux ! Pourquoi ne pas l’avoir déposée dès le début de l’audience ? », tonne Me Bourdon, peu fâché d’exploiter l’agacement de la juge, qui semble partager son avis. Cette dernière avait d’ailleurs envisagé dans un premier temps de supprimer l’audience de jeudi, la jugeant peu nécessaire au vu de la bonne avancée des débats. Mais elle y renonce finalement « puisqu’il y aura une QPC au programme ». La séance est levée et jeudi après-midi est réintégré au programme. Rendez-vous demain.
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