France : BNP Paribas accusée de « complicité de génocide » au Rwanda

Deux plaintes viennent d’être déposées devant la justice française avec un objectif commun : faire la lumière sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda. L’une, déposée par trois associations, vise la BNP Paribas ; l’autre, portée par l’association Survie, cible des responsables politiques français en poste à l’époque.

Performance à Kigali pour la commémoration des 20 ans du génocide des Tutsi au Rwanda, le 7 avril 2014 au stade Amahoro. © Ben Curtis/AP/SIPA

Performance à Kigali pour la commémoration des 20 ans du génocide des Tutsi au Rwanda, le 7 avril 2014 au stade Amahoro. © Ben Curtis/AP/SIPA

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Publié le 29 juin 2017 Lecture : 5 minutes.

Deux nouveaux fronts judiciaires viennent de s’ouvrir en France dans la bataille mémorielle sur les responsabilités de Paris dans le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. Une première plainte contre X avec constitution de partie civile a été déposée par l’association Survie, ce mercredi 28 juin. Elle vise « les responsables politiques et militaires français » de l’époque soupçonnés d’avoir fourni des armes au régime rwandais, avant et pendant le génocide de 1994.

« Nous avions déjà porté plainte en 2015, mais cette plainte avait été rejetée, au motif, notamment, que des ministres ne peuvent être jugés que par la Cour de Justice de la République. Le Parquet avait alors considéré que la plainte ne visait que les ministres et le président de la République d’alors, mais il y a en fait énormément d’autres responsabilités qui sont à rechercher dans les cabinets ministériels ou chez les responsables militaires », explique Thomas Borrel, porte-parole de Survie. « Cette fois, en nous constituant partie civile, nous espérons bien pousser le Parquet à ouvrir une instruction », pointe-t-il.

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Des armes livrées malgré l’embargo

La seconde plainte a été déposée le même jour par Sherpa, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda et Ibuka France. Selon ces associations, BNP Paribas se serait rendu coupable de « complicité de génocide, complicités de crimes de guerre et de complicité de crimes contre l’Humanité » en permettant, en plein génocide, le financement de l’achat d’un important stock d’armes par le gouvernement rwandais, alors qu’un embargo avait été décrété par les Nations unies le 17 mai 1994.

Les ONG pointent du doigt la Banque nationale de Paris − devenue depuis la BNP Paribas −, qui selon elles auraient autorisé deux transferts depuis le compte détenu chez elle par la Banque nationale du Rwanda vers un compte au nom de Petrus Willem Ehlers dans la banque suisse UBP. Des fonds qui, selon Sherpa, auraient permis à Théoneste Bagosora – surnommé le « cerveau du génocide » et condamné à 35 ans de prison en appel en 2011 – d’acheter 80 tonnes d’armes, kalachnikovs et munitions, livrées les 16 et 20 juin 1994 à Goma, au Zaïre (actuelle RDC), avant d’être transportées vers le Rwanda voisin. Une livraison confirmée par le colonel Bagosora lors de son procès devant le tribunal international pour le Rwanda, qui a précisé que ces armes avaient servi à « aller donner un coup de main à Kigali ».

Une vente d’arme scellée aux Seychelles

Les transferts visés par la plainte contre BNP Paribas portent sur un montant global de 1,3 millions de dollars (soit l’équivalent de 1,1 millions d’euros). Le bénéficiaire, le Sud-Africain Petrus Willem Ehlers, dirige alors la société Delta Aero qui sert d’intermédiaire dans des ventes d’armes.

La vente d’arme a été finalisée aux Seychelles le 17 juin 1994, entre le vendeur d’armes sud-africain et le colonel rwandais Théoneste Bagosora. Celui-ci, bénéficiant de complicités, fournit un faux certificat de destination finale, afin de contourner l’embargo pesant sur le Rwanda en faisant croire que le contrat a été passé par le Zaïre.

Le simple fait que le montant soit si élevé, en provenance de la Banque nationale du Rwanda, aurait dû, à l’époque, alerter la BNP

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« À l’époque, nous étions en plein embargo de l’ONU. Les ordres de virements de la Banque nationale du Rwanda auraient dû être particulièrement surveillés. D’autres banques ont d’ailleurs gelé les fonds de la BNR, notamment la banque Bruxelles Lambert. Le simple fait que le montant soit si élevé, en provenance de la Banque nationale du Rwanda, aurait dû, à l’époque, alerter la BNP », estime Marie-Laure Guislain, directrice du contentieux au sein de Sherpa. Sur la dimension pénale de la plainte, elle précise que la complicité de génocide ne suppose pas « d’intention génocidaire », mais « d’avoir su que l’acte allait servir à la commission d’un génocide ».

Une affaire connue depuis 1995

Pour l’instant, la BNP Paribas ne fait aucun commentaire. « Nous avons appris le dépôt de cette plainte par voie médiatique, nous ne disposons pas des éléments suffisants pour la commenter », se contente de répondre à Jeune Afrique Olivier Durbize, responsable de la communication du géant bancaire français.

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L’affaire est pourtant ancienne. « Les questions de trafic d’armes malgré l’embargo ont été levées dès 1995 par Human Rights Watch, ce qui avait débouché sur la mise en place d’une commission d’enquête de l’ONU », souligne Jacques Morel, auteur de La France au cœur du génocide des Tutsi (éd. L’Esprit frappeur). Les deux versements visés par la plainte contre BNP Paribas, tout comme le nom de l’intermédiaire sud-africain, figurent d’ailleurs en toutes lettres dans le rapport de la Commission internationale d’enquête des Nations unies sur les livraisons d’armes illicites dans la région des Grands Lacs, remis en 1998 à Kofi Annan. À l’époque, la commission avait noté que le ministère français des Affaires étrangères, sollicité sur ce dossier, n’avait pas donné suite.

Une offensive pas concertée

Ces deux plaintes déposées à Paris interviennent alors que la revue XXI vient tout juste de publier un témoignage inédit sur la livraison d’armes au régime génocidaire rwandais par la France. « Au cours de l’opération Turquoise, ordre avait été donné de réarmer les Hutus qui franchissaient la frontière », y affirme notamment un haut fonctionnaire français qui a eu accès aux archives classées secret défense. « Instruction a été donnée de charger les conteneurs d’armes sur ces camions, qui les ont emmenés ensuite au Zaïre pour les remettre aux forces gouvernementales rwandaises », déclarait déjà à Jeune Afrique, en avril 2014, un officier français, Guillaume Ancel, qui était capitaine au sein de l’opération Turquoise.

Les différents protagonistes assurent que l’initiative n’a pas été coordonnée. « Nous n’avons appris la volonté de Sherpa de déposer plainte contre BNP Paribas qu’en début de semaine », explique ainsi Thomas Borrel. Du côté de Sherpa, on assure également que la coïncidence n’est pas calculée. « Ce que cette plainte veut aussi montrer aux nouveaux élus, c’est l’importance de la loi sur le devoir de vigilance », insiste Marie-Laure Guislain, de Sherpa. Quelques semaines seulement après son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron est désormais prévenu : les plaies laissées béantes en France par le génocide des Tutsis au Rwanda ne sont pas encore refermées.

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