Procès des « biens mal-acquis » : « Quand on s’appelle Nguema Obiang, on a moins de droits que les autres ? »
Le procès des « biens mal-acquis », dans lequel Teodoro Nguema Obiang Mangue, dit « Teodorín », est accusé de détournement de fonds publics, d’abus de confiance et de blanchiment, se poursuivait jeudi. Au programme : l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), qui a donné lieu à des passes d’armes entre juristes chevronnés.
QPC, l’acronyme était sur toutes les lèvres jeudi 29 juin, sous les colonnes aux abords de la 32e chambre correctionnelle du Tribunal de Paris, où se tient le procès des « biens mal-acquis ». Qu’importe, au fond, si tous les observateurs ne sont pas des spécialistes du droit constitutionnel, chacun sait ici que la QPC est sans doute la dernière carte de la défense pour obtenir le renvoi du procès de Teodoro Nguema Obiang Mangue, le vice-président de Guinée équatoriale.
La défense de l’accusé, toutes griffes dehors à moins d’une semaine des plaidoiries, a en effet déposé le jour même, au matin, une question prioritaire de constitutionnalité devant le tribunal, afin qu’il en examine la recevabilité lors de l’audience de l’après-midi. La question posée : un tribunal français peut-il juger, sur la base du droit français, un ressortissant équato-guinéen accusé d’avoir détourné des biens équato-guinéens en Guinée équatoriale ?
La défense estime en effet que Teodorín n’étant pas agent public français, la justice française n’a pas la compétence pour le juger. Le tribunal devait donc décider si, oui ou non, cette interrogation devait être transmise au Conseil constitutionnel en France et, par conséquent, entraîner un renvoi du procès. « Le tribunal est bien conscient que les infractions d’origine ont été commises en Guinée équatoriale. Il n’est pas question de les juger. Il a toujours été question de ne juger que les faits de blanchiment en France », précise d’ailleurs la juge d’entrée de jeu.
Vice-Président mais pas fonctionnaire ?
Mais l’examen de la QPC devra attendre. Car d’autres points légaux sont abordés au préalable. Et la juge de citer la législation guinéenne précisant qu’un agent public ne peut tirer avantage de sa fonction et être partie prenante d’un contrat signé dans son secteur d’activité. Survient alors Me Tomo, l’avocat du prévenu.
« Madame la Juge, je voudrais vous citer moi aussi la loi guinéenne, qui stipule notamment que les membres du gouvernement ne sont pas des fonctionnaires ». Stupeur dans l’assemblée. Selon Me Tomo, les ministres et autres vices-présidents ne seraient donc selon lui pas concernés par les législations citées par la juge.
On ne peut pas appliquer ces délits aux ministres en Guinée équatoriale
« C’est quand même assez providentiel ! » s’exclame Me William Bourdon, avocat des parties civiles. « Mais, si l’on ne s’attarde que sur le fond, on sait bien que le droit international primera, et qu’il y est exclu que les ministres ne soient concernés par les infractions imputables aux agents publics. » Et Me Tomo d’insister : « On ne peut pas appliquer ces délits aux ministres en Guinée équatoriale. »
« Rien de contradictoire » dans la procédure à Malabo
Vient alors une autre réjouissance : l’examen du jugement rendu par un tribunal de Malabo le 12 juin dernier, et qui venait blanchir Teodoro Nguema Obiang Mangue. « On ne pourra pas retenir comme pertinentes ces conclusions », explique la juge. « Il n’y a absolument rien de contradictoire dans cette procédure, où tout ne repose que sur l’analyse du dossier d’instruction français », poursuit-elle, avant de s’étonner : « D’ailleurs, il y a une question qui se pose : comment le dossier complet de l’instruction s’est-il retrouvé dans les mains du procureur à Malabo ? »
Même étonnement du côté du Procureur ? « Le parquet de Guinée équatoriale ne pouvait pas ouvrir une procédure sur des pièces qui ne lui auraient pas été transmises par la voie légale. » Et Me Tomo d’expliquer que le dossier détenu par le procureur de Malabo serait un ensemble de pièces reçues de l’ambassade de France en Guinée équatoriale, auxquelles s’ajouteraient des documents récupérés lors de la procédure à la Cour internationale de justice.
Ce jugement est issu de l’obtention déloyale d’un dossier d’instruction.
Me Jean-Pierre Spitzer, avocat de la Coalition restauratrice de l’État démocratique (Cored) réplique alors : « C’est hallucinant ! Il est radicalement impossible que l’ambassade de France ait transmis ce dossier complet, qu’elle aurait obtenu de façon totalement illégale ! C’est totalement contraire au secret de l’instruction. » Et Me Bourdon d’en rajouter : « Ce jugement est issu de l’obtention déloyale d’un dossier d’instruction complet, grave violation du secret de l’instruction, violation du secret professionnel, et recel. »
Me Emmanuel Marsigny évoque alors la possibilité que Teodorín ait pu transmettre le dossier aux autorités guinéennes et que rien, selon lui, ne l’en empêchait, en tant que prévenu. La réponse ne contente pas tout le monde. Mais il est temps de changer de sujet, et d’aborder l’acronyme qui est dans toutes les têtes.
Le tribunal est-il compétent ?
Me Marsigny entame alors son plaidoyer : « La défense ne conteste pas que le tribunal est compétent sur le blanchiment car il a été potentiellement commis en France ». Il poursuit : « Mais vous êtes saisi de blanchiment et vous avez donc à caractériser les infractions d’origine, sans lesquelles il ne peut pas y avoir de blanchiment. Là est la particularité de ce dossier : il va vous falloir vous prononcer sur des infractions d’origine, potentiellement commises à l’étranger en infraction d’un droit étranger, raison pour laquelle vous n’êtes pas compétent pour le faire ».
Votre tribunal ne peut pas se faire juge du détournement de fonds publics étrangers
Et Me Marsigny de dérouler son argumentaire : « De plus, votre tribunal ne peut pas se faire juge du détournement de fonds publics étrangers. La charte des Nations unies interdit en effet à tout État de se prononcer sur l’utilisation des fonds publics d’un autre État ». Et de conclure : « La jurisprudence vous demande de faire abstraction du fait que ce soit un agent public étranger et de le juger comme s’il était un agent public français. Mais ce serait alors nier que, si détournements il y a eu, c’est uniquement parce que le prévenu était agent public étranger ! »
« Les faits sont simples ! »
Réponse de la partie civile en trois temps : « Cette QPC ne vise qu’à ralentir le fonctionnement de la justice. On a multiplié ce type d’arguments du côté de la défense. En réalité, c’est une question qui est dans les débats depuis 2010 et sur laquelle la justice s’est déjà prononcé ! » « Nous sommes dans des petites stratégies jusqu’à la nausée », explique Me William Bourdon.
Cette QPC ne vise qu’à ralentir le fonctionnement de la justice
Et d’ajouter : « Les faits sont simples. Nous sommes dans un dossier de blanchiment classique. S’il y a une singularité, c’est la personnalité du prévenu. Cette QPC est dilatoire et de mauvaise foi, tant ce point est dans le débat juridique depuis longtemps. De qui se moque-t-on ? ». Et le procureur, moins virulent, met néanmoins le coup de grâce à cette QPC : « Je considère qu’il y a une absence de sérieux. J’ai donc conclu à la non-transmission de la question posée au Conseil constitutionnel. »
Teodorín à la Cour de justice de la République française ?
« Quand on s’appelle M. Nguema, on a moins de droits que les autres ? », s’indigne Me Marsigny. Qui ajoute : « Vous nous dites qu’il faut se placer comme si les faits avaient été commis en France. Chiche ! M. Nguema est ministre, qu’on le juge comme un ministre ! » Teodorín à la Cour de justice de la République française ? Aucune chance, évidemment.
Qu’en est-il donc de cette QPC ? Nul ne le saura avant mercredi 5 juillet. La juge a en effet décidé de supprimer l’audience prévue lundi 3 juillet et ne rendra sa décision que le mercredi matin. Les plaidoiries suivront ensuite, ou non, si la QPC est finalement transmise au Conseil constitutionnel. Les lions, les parties civiles et l’auditoire entier, restent donc, pour le moment sur leur faim. Mais, alors que beaucoup reprochaient à ce procès son caractère trop politique, nul ne contestera que, cette fois, il n’a été question que de droit.
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