« Un étudiant, une tablette » : d’où vient le malentendu entre Alpha Condé et les étudiants ?

« Tablette ! » « Tablette ! » « Tablette ! » : c’est par ces cris que le chef de l’État guinéen a été accueilli dans la salle des congrès du Palais du peuple (à Conakry), où s’ouvrait, le 1er juin, la première édition du Forum de l’étudiant guinéen. Beaucoup l’ont interprété comme une manière de rappeler Alpha Condé à sa promesse de 2010 de doter chaque étudiant guinéen d’un ordinateur.

Des étudiants en Guinée Conakry, en juin 2007. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Des étudiants en Guinée Conakry, en juin 2007. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

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Publié le 30 juin 2017 Lecture : 4 minutes.

La distribution de la tablette Sincery dans les universités de Conakry a commencé le 1er mai, un mois avant la rencontre mouvementée du 1er juin entre Alpha Condé et les étudiants. Suite à la bronca du Forum de l’étudiant guinéen, le ministre de l’Enseignement supérieur, Abdoulaye Yéro Baldé, le directeur général de Jatropha, l’institution de micro-finance chargée de la distribution des tablettes, et le président du comité de pilotage du projet Sincery, le professeur Mamadou Saliou Diallo se disent « surpris par le comportement des étudiants ». Comment l’expliquer, en effet ?

« Beaucoup d’étudiants s’attendaient à des tablettes gratuites »

MT, étudiant en deuxième année de Sciences du langage à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia (en banlieue de Conakry) a acheté sa tablette il y a environ un mois. Mais il juge son prix « très cher », d’autant plus que « beaucoup d’étudiants s’attendaient à des tablettes gratuites, ou moins chères, au coût de 500 000 francs guinéens par exemple ».

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Un groupe d’étudiants rencontrés dans l’enceinte de l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry, la plus grande du pays, insistent sur la faiblesse de leur pouvoir d’achat. « En moyenne, la prime mensuelle d’un étudiant est de 100 000 francs (environ 10 euros). Il nous faudra attendre dix mois pour pouvoir acheter une tablette », estime l’un d’eux ayant requis l’anonymat.

Le ministre de l’Enseignement supérieur, interrogé par Jeune Afrique constate que « les étudiants sont capables de s’acheter des smartphones d’un million de francs, voire plus ». Il assure par ailleurs dans un premier temps que « les tablettes ont été largement subventionnées et sont vendues presque à la moitié de leur prix ». Une version contredite par celle du président du comité de pilotage du projet Sincery, Mamadou Saliou Diallo : « Je n’ai vu nulle part que l’État s’était engagé à subventionner le prix de la tablette de moitié. L’État a plutôt renoncé aux taxes. » Mieux : la tablette à moitié prix devait coûter 75 dollars et non 105 dollars (son prix de vente actuel), annonçaient l’année dernière le département de l’Enseignement supérieur et l’institution de micro-finance Jatropha.

Tous les accessoires sont payants

Pour sa part, MT l’a payée 997 000 francs guinées, alors que le prix de vente officiel de l’objet devait être de 981 750 francs. L’objet est en outre livré séparément de sa pochette, revendue elle seule à 80 000 francs, soit environ 8 euros. Ce alors que d’après un étudiant, « 30 000 francs suffisent à trouver une pochette sur le marché ».

Le ministre de l’Enseignement supérieur ne semble pas au courant et assure qu’il va « se renseigner auprès de la structure chargée de la distribution ». C’est ce que nous avons fait, nous aussi. « Nous vendons les tablettes avec des accessoires de base », explique le directeur général de Jatropha, « housse de protection, kits oreillettes, deux chargeurs (secteur et USB). Nous avons aussi nos propres accessoires comme des pochettes, des clés USB, des protections pour écran… Ils sont à vendre, mais rien n’est imposé à l’étudiant et sa tablette marche très bien sans tout cela », assure-t-il

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Attention si l’on paie la tablette à crédit

Sincery pouvait à l’origine être payée en une fois, ou en plusieurs fois étalées sur un an maximum. Mais une étudiante soulève là encore un problème : « Il était prévu que l’étudiant garde la tablette, une fois qu’il a payé la première tranche de 300 000 francs », précise-t-elle. Mais pour Mamadou Saliou Diallo, chargé du pilotage du projet « livrer une tablette payée à crédit à l’entame des vacances est un gros risque à ne pas prendre », justifie le professeur Mamadou Saliou Diallo. Par conséquent, les étudiants qui paieront par tranche n’auront leurs tablettes qu’à la prochaine rentrée des classes.

Le directeur de Jatropha, Alpha Bacar Barry, appuie : « Le projet a pris du temps et les acteurs ont changé donc les cahiers de charge aussi. Cette version de tablette est plus performante, avec plus de pixels sur le capteur, un meilleur processeur, une couverture entièrement en aluminium pour éviter la surchauffe ». Et de poursuivre : « Comparée à la tablette Qelassy de Côte d’Ivoire qui coûte 200 000 F CFA, sans contenus, je pense que nous avons fait un effort considérable pour rendre la tablette Sincery abordable pour les étudiants guinéens ».

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Les contenus pédagogiques attendus à la rentrée

Les contenus sont justement, eux aussi, mis en cause par les étudiants. Alors qu’il existe des centaines de milliers d’ouvrages numériques et de MOOC (cours en lignes ouverts à tous), les premiers acquéreurs des tablettes se plaignent de ne pas avoir accès à des contenus pédagogiques via leur tablette. « Ce ne sont pas des cours figés que nous introduisons dans la tablette. Nous développons une plateforme et donnons aux étudiants des liens vers des cours en rapport avec leurs spécialités respectives. Il y a plus de 400 cours préparés mais qui ne seront accessibles qu’à la rentrée académique 2017-2018 », répond le professeur Saliou Diallo.

La tablette « Sincery », du nom d’une montagne de Dabola, préfecture du centre de la Guinée, est commercialisée par l’institution de micro-finance Jatropha, dans les universités guinéennes sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (MESRS).Elle est fabriquée par la société française EVI et est assemblée en Chine pour le premier lot de 25 000 exemplaires. Le reste des tablettes doit être assemblées en Guinée, à l’Institut supérieur de technologie de Mamou, à 275 km de la capitale, selon les promoteurs du projet.

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