Ibrahim Fall, de l’OMS : « En RDC, Ebola a été circonscrit rapidement »

Directeur des urgences sanitaires pour l’Afrique, le médecin sénégalais explique comment l’OMS s’est adapté aux risques d’épidémies.

Un test en vue de détecter les symptômes du virus d’Ebola à Boende, dans le nord-ouest de la RDC, le 4 septembre 2014. © Flickr/OMS/Eugène Kabambi

Un test en vue de détecter les symptômes du virus d’Ebola à Boende, dans le nord-ouest de la RDC, le 4 septembre 2014. © Flickr/OMS/Eugène Kabambi

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Publié le 30 juin 2017 Lecture : 5 minutes.

Médecin-militaire, Ibrahim-Soce Fall est depuis plusieurs années en première ligne dans la bataille contre les maladies infectieuses : d’abord contre la malaria puis contre Ebola à partir de la crise en Afrique de l’Ouest, en 2014-2015. Nommé directeur régional au sein du nouveau programme des urgences sanitaires de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), il explique à l’occasion du premier forum africain de la santé de l’institution internationale − qui s’est tenu à Kigali les 27 et 28 juin −, comment la réaction aux épidémies à évolué depuis un peu plus d’un an. Avec une première réussite : la maîtrise de la crise Ebola dans la province du Bas-Uele au nord de la RDC…

Jeune Afrique : quelle est la situation de la crise Ebola en RDC ?

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Ibrahim-Soce Fall : La situation est sous contrôle et la fin de l’épidémie devrait être déclarée le 2 juillet. Deux périodes d’incubation de 21 jours se seront alors succédées après que le dernier cas d’Ebola a été testé deux fois négatif. C’était le 21 mai. Au total, la RDC a connu huit cas d’Ebola, dont cinq ont été confirmés et trois sont des cas probables. Il y a eu quatre décès. C’était un test pour le pays et le nouveau programme des urgences de l’OMS.

Dès que le premier cas a été détecté, le ministère de la Santé nous a prévenus et nous avons pu déployer en 48 heures des équipes sur place. Il y avait évidemment une difficulté de déploiement, la zone de contamination étant située à 1 400 kilomètres de Kinshasa et à plus de 300 kilomètres de Kisangani, avec seulement une vingtaine de kilomètres de routes goudronnées. Grâce à des fonds immédiatement disponibles, nous avons pu louer des hélicoptères pour acheminer hommes et matériels.

Vous insistez aussi sur l’importance de la transparence…

En effet, le pays a été transparent très tôt et a associé rapidement les partenaires, dont les ONG présentes sur le terrain mais aussi la mission des Nations unies au Congo.

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Le nouveau vaccin anti-Ebola a-t-il été utilisé ?

Le candidat-vaccin n’est pas encore totalement pré-qualifié pour être utilisé à large échelle. Toutefois, un groupe d’experts a recommandé qu’il puisse être utilisé sous certaines conditions en cas d’épidémie. Nous étions donc prêts mais nous n’avons pas eu besoin de l’utiliser, l’épidémie ayant été rapidement circonscrite.

Nous n’avons pas eu besoin d’utiliser le nouveau vaccin anti-Ebola en RDC

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L’Éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus prendra la tête de l’OMS le 1er juillet. Quel est son programme en matière d’urgences sanitaires ?

Le nouveau directeur général a un programme ambitieux pour l’OMS, notamment en matière de couverture sanitaire universelle et de soins de santé primaire. La question des épidémies et des urgences sanitaires est un sujet aussi très important pour lui. Il souhaite par ailleurs améliorer la question de la stabilité des financements.

La gestion de la crise Ebola en Afrique de l’Ouest par l’OMS a été très critiquée. Quelles leçons votre organisation en a-t-elle tiré ?

Il y a eu deux phases dans la réponse de l’OMS à cette crise Ebola. Il faut d’abord se rappeler que les pays d’Afrique de l’Ouest n’avaient jamais connu d’Ebola et ils n’étaient donc pas prêts à y répondre. En trois mois, les chaînes de transmission ont été multiples. La réponse initiale n’a donc pas été appropriée. Ensuite, lorsque le monde a compris le danger, des moyens colossaux ont été mis en place.

La réponse initiale à la crise Ebola en Afrique de l’Ouest n’a pas été appropriée

Et cette crise nous a permis d’apprendre beaucoup de choses sur Ebola. Nous avons utilisé des technologies pour comprendre la chaîne de transmission, ce qui n’avait jamais été fait, et nous avons compris la nécessité de travailler avec des partenaires qui ont des moyens logistiques importants.

Comment l’OMS s’est-elle réformée ?

Pour faire à ce genre de crise, il fallait avoir un programme d’urgence beaucoup plus robuste, plus opérationnel et plus prévisible. Il fallait aussi avoir des moyens financiers immédiatement mobilisables. En Afrique de l’Ouest, nous avions dû attendre six mois pour obtenir l’argent nécessaire. En RDC, nous avons pu débloquer 2,3 millions de dollars grâce au fonds de contingence. En tout, ce fonds qui sert uniquement aux situations d’urgence dispose de 40 millions de dollars et en une année, la région Afrique a utilisé plus de 14 millions de dollars.

Par ailleurs, l’OMS a créé un programme d’urgence (WHO Health Emergency Program) avec une seule organisation, des méthodes uniques, un directeur exécutif exclusif et un directeur dans chaque région. Ce programme a été officiellement validé en mai 2016, après avoir été testé notamment lors de l’épidémie de fièvre jaune en Angola. Avant cette réforme, la réponse était fragmentée entre plusieurs programmes qui ne se concertaient pas forcément.

Ce programme a-t-il une forme d’autonomie ?

Les procédures d’urgence sont différentes, pour pouvoir mobiliser en 24 heures de l’argent. Les directeurs en charge ont aussi une autonomie en matière de décision. Le programme a également la latitude d’appeler telle ou telle expertise disponible au sein de l’OMS.

Quels sont les points d’amélioration à envisager ?

En mai 2017, un groupe d’experts a fait le point et a salué les réformes mises en place. Toutefois, il a attiré l’attention sur la fragilité des acquis, si les financements prévisibles ne sont pas assurés pour ce programme. Il y a aussi encore beaucoup d’équipes ayant des contrats précaires.

En un an, nous avons recensé plus de 100 événements de santé publique nécessitant des réponses rapides

Depuis un an, cette nouvelle organisation a-t-elle beaucoup servi ?

On a eu en Angola et en RDC des épidémies de fièvre jaune, et au Niger la fièvre de la Vallée du Rift. En tout, nous avons recensé plus de 100 événements de santé publique nécessitant des réponses rapides et dont 80% étaient liés à des épidémies. L’Afrique est la région la plus concernée par ces problématiques, en raison de la vulnérabilité de ses systèmes de santé, la présence de certains vecteurs importants comme le moustique, l’urbanisation mal planifiée.

Avez-vous des inquiétudes particulières en ce moment ?

Oui, il y a des situations qui mettront du temps à être résolues, par exemple dans des zones où il y a des urgences humanitaires, comme dans la Corne de l’Afrique ou au nord du Nigeria.

Les épidémies ne cachent-elles pas d’autres évolutions sanitaires inquiétantes en Afrique ?

Les épidémies et les urgences sont beaucoup plus visibles mais il y a en effet une épidémie silencieuse en Afrique, celle des maladies chroniques comme le diabète, l’hypertension, les maladies cardiovasculaires. Il y a un double fardeau des maladies en Afrique : le problème des maladies infectieuses n’est pas réglé que, déjà, le continent connaît les maladies dites de pays développés. Dans nos villes, les gens ne sont plus actifs comme avant et consomment des produits peu adaptés. Ce double fardeau risque d’être difficile à gérer pour les systèmes de santé en Afrique.

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