L’Ougandais Bobi Wine, « président du ghetto » et star du reggae devenu député
Pendant la décennie écoulée, les Ougandais ont connu deux présidents: l’inamovible chef de l?État Yoweri Museveni, à la tête du pays depuis 1986, et celui que ses compatriotes surnomment affectueusement le « président du ghetto », le charismatique musicien Robert Kyagulanyi, dit Bobi Wine.
Sauf qu’à l’occasion d’une surprenante élection locale partielle, le chanteur de reggae de 35 ans qui venait d’apprendre à marcher lorsque Museveni a accédé au pouvoir, a troqué jeudi son titre honorifique pour celui, bien réel, de député.
Le très populaire Bobi Wine incarne pour beaucoup les frustrations et les espoirs des jeunes, des pauvres et des laissés pour compte d’une nation dont les leaders, souvent âgés, ne semblent pas se préoccuper.
Son élection consacre une incroyable ascension, celle d’un jeune et impétueux chanteur de reggae coiffé de dreadlocks traînant sa carcasse entre les maisons en tôle du bidonville devenu un habile politicien au style, notamment vestimentaire, plus policé.
Se présentant comme indépendant, Bobi Wine a battu les candidats du parti de Museveni (NRM) et du principal parti d’opposition (FDC) lors de cette élection locale organisée en raison d’irrégularités pendant les élections générales de 2016.
Le chanteur au parcours atypique grandit à Kamwokya, un des plus grands bidonvilles de Kampala, et commence sa carrière musicale en tant que choriste. Il parvient ensuite à intégrer l’université, où il étudie la musique et le théâtre avant de se lancer dans une carrière solo.
Il s’impose sur la scène musicale ougandaise il y a environ dix ans avec des compositions entraînantes de reggae africain dont les paroles évoquent la pauvreté et l’injustice sociale.
Ce fêtard extravagant surnomme alors son quartier d’enfance « Uganja », mot valise intégrant « Ouganda » et « ganja », et se déplace à Kampala dans une Cadillac Escalade tape-à-l’oeil, dont la plaque d’immatriculation personnalisée arbore une feuille de cannabis.
« Il comprend notre situation »
Bobi Wine devient alors une des proies favorites des tabloïds locaux. Sa vie fait l’objet d’innombrables spéculations, tout comme ses supposées disputes avec les musiciens Jose Chameleon et Bebe Cool, parfois inventées, parfois exagérées, mais toujours omniprésentes dans la presse à scandale.
Avec l’âge, il s’écarte progressivement de son style de vie frivole pour se muer en défenseur de l’Ougandais ordinaire, et chantre de la lutte contre les injustices sociales.
Alors que d’autres stars ougandaises ont accepté d’être payées pour chanter en 2016 pendant la campagne électorale de Yoweri Museveni, Bobi Wine résiste à la tentation de l’argent et aux pressions. Au lieu de cela, il compose « Dembe » (liberté en Luganda), chanson appelant à la non-violence dans un pays où les élections sont souvent synonymes de gaz lacrymogène, coups de feu et violences policières.
« Dembe » a d’ailleurs retenti vendredi matin sur le marché de Kamwokya, bien que le quartier d’enfance de Bobi Wine ne soit pas situé dans le district que l’artiste représente désormais, Kyadondo Est, à une dizaine de km de là.
« Bobi a grandi ici, il a été sur le terrain et il comprend notre situation », observe Hamidu Mubiru, un des vendeurs du marché.
« J’ai l’impression de le connaître et j’apprécie ce qu’il a fait pour nous, il a chanté au sujet de la dictature et de ses brutalités », ajoute cet homme de 27 ans, décrivant le règne de Museveni dans des termes que Bobi Wine ne se risquerait probablement pas à utiliser publiquement.
Dans les rues étroites et sales du bidonville, un nouveau défi attend le « président du ghetto »: ne pas décevoir la jeunesse pauvre qui attend de sa part non pas une seule lueur d’espoir mais un vrai changement.
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