Les Égyptiens dans la crainte de l’inflation
A l’approche de son mariage, Hicham Gaber ne cache pas son appréhension : l’Égypte, qui poursuit un douloureux programme de réformes économiques, pourrait connaître une nouvelle vague inflationniste, après une nouvelle coupe des subventions aux carburants.
« Je ne suis pas du tout optimiste », lâche cet ingénieur égyptien de 28 ans.
« Dans les circonstances actuelles, se marier et avoir des charges supplémentaires n’est pas une bonne idée », ajoute-t-il inquiet.
Jeudi, le gouvernement égyptien a annoncé une hausse des prix à la pompe de l’essence (+43% pour l’indice d’octane super 92 et +55% pour l’octane 80) mais aussi du diesel (+55%), en raison d’une baisse des subventions publiques sur les carburants.
La décision était attendue puisqu’elle fait partie des réformes promises par Le Caire afin d’obtenir un prêt de 12 milliards de dollars (10 milliards d’euros) du Fonds monétaire international (FMI) destiné à relancer une économie en berne.
Mais pour des économistes, la hausse des prix du carburant risque d’entraîner une augmentation des prix dans d’autres secteurs dans un pays qui connaît depuis novembre des taux d’inflation élevés.
« L’inflation annuelle va augmenter dans les deux mois à venir, avec un taux variant entre 34% et 36% », pronostique l’analyste Radwa El-Swaify, de la banque d’investissement Pharos, basée au Caire.
En mai, avant la baisse des subventions aux carburants, elle s’est élevée à +30,9% en glissement annuel contre 32,9% un mois plus tôt.
Pour Omar El-Shenety, à la tête de la Banque d’investissement Multiples Group au Caire, la hausse du diesel va impacter les prix des biens et des services, et entraîner une hausse des coûts de production.
Fruits, légumes, transports en commun
« Les prix des fruits et légumes pourraient augmenter de 20% à 25% en raison de l’augmentation du coût du transport », met-il en garde.
Le renchérissement du carburant devrait aussi se répercuter sur le prix des transports en commun qui pourrait croître de 10% à 15%, a par ailleurs annoncé jeudi le directeur du Bureau des statistiques Abou Bakr al-Gindi.
Pour Mme Swaify, l’inflation annuelle « pourrait partiellement reculer lors des deux derniers mois de l’année ».
Mais uniquement parce que la hausse des prix durant la même période il y a un an avait été particulièrement forte en raison de la décision du gouvernement d’instaurer une taxe sur la valeur ajoutée (TVA), de réduire une première fois les subventions sur les carburants mais surtout de laisser flotter le taux de change de la livre égyptienne face au dollar.
Cette mesure avait entraîné une forte dévaluation de la monnaie locale, qui s’est répercutée sur le consommateur par une inflation galopante –nombre de produits de base étant importés et achetés en dollars.
« Dans un pays où plus de 40% de la facture des importations concerne la nourriture et les carburants, le taux de change est la clé qui explique la hausse ou la baisse de l’inflation » justifie Amr Adly, expert en économie politique du Centre Carnegie pour le Moyen-Orient.
S’il fallait avant novembre 2016, 8,8 livres égyptiennes pour un obtenir un dollar au taux officiel, il en faut aujourd’hui 18.
Situation sous contrôle
Pour parer à la grogne sociale, le ministère des Finances a récemment annoncé une augmentation des dépenses destinées aux programmes de protection sociale des plus démunis, soit un budget total de 4,1 milliards de dollars.
Mais pour Mme El-Swaify, ces mesures sont insuffisantes dans un pays où près d’un tiers de la population de 92 millions d’habitants vit sous le seuil de pauvreté.
« Le gouvernement a doublé ses dépenses sociales, mais les prix ont triplé », souligne-t-elle.
« Le gouvernement ne nous laisse pas le temps de souffler après chaque réforme. Il les impose les unes après les autres, rapidement », déplore de son côté l’ingénieur Hicham Gaber.
Pourtant, malgré l’austérité et le pouvoir d’achat en berne, le pays n’a pas connu d’explosion de mécontentement. Sous le président Abdel Fattah al-Sissi, manifester peut conduire en prison.
Et une grande partie des Égyptiens ont soif de stabilité, après les années de chaos qui ont suivi la révolte de 2011 contre Hosni Moubarak.
M. El-Shenety ne s’attend pas à des troubles politiques ou à une mobilisation dans les rues: « le gouvernement est convaincu qu’il n’y aura pas de réaction de la population, c’est pour cela qu’il a adopté des réformes aussi agressives ».
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