Gaza : Hamas-Israël… qui perd, qui gagne ?
Le 26 août, après cinquante jours de guerre, Israël et le Hamas sont parvenus à un accord de cessez-le-feu. Comme chaque fois, chacun des deux camps crie victoire. Sur un champ de ruines.
Le fracas des missiles israéliens et le sifflement des roquettes palestiniennes se sont tus. Le 26 août, après cinquante jours de guerre, les deux belligérants ont fini par décréter un cessez-le-feu permanent. Les portes de l’enfer se sont enfin refermées pour les habitants de la bande de Gaza.
Et celles de ce pénitencier à ciel ouvert soumis depuis 2006 à un blocus draconien se sont entrouvertes pour laisser passer l’aide humanitaire, les secours et les moyens de reconstruction destinés à panser les plaies de la mince bande de territoire dévastée par les frappes de l’armée israélienne.
De l’autre côté des grillages qui l’enserrent, en Israël, la hantise des tirs de roquettes et de mortiers palestiniens du Hamas et des factions alliées qui contrôlent Gaza s’est estompée.
Fin septembre, un mois après la conclusion de ce cessez-le-feu, les protagonistes devraient se retrouver au Caire pour négocier la levée complète du blocus, la construction d’un port et d’un aéroport à Gaza et la libération des prisonniers palestiniens voulues par le Hamas, ainsi que la démilitarisation de la zone réclamée par Israël.
"Le Hamas a subi des coups très durs, les plus durs qu’il ait reçus depuis sa création. Il a accepté le cessez-le-feu sans qu’une seule de ses exigences soit satisfaite", s’est félicité Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien. Pendant ce temps, de Rafah – au sud de Gaza – à Ramallah, capitale de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie, le camp adverse célébrait sa victoire par des salves de joie, des fanfares et des feux d’artifice…
Qui a gagné, qui a perdu ? À l’heure du bilan, la question s’impose. Mais, comme à l’issue des précédentes crises, y répondre reste malaisé. "Il est clair que les Palestiniens ont tout perdu, car ils ont fini par accepter une proposition de cessez-le-feu très similaire à celle faite par l’Égypte avant l’offensive israélienne du 8 juillet, qui depuis a provoqué la mort de plus de 2 000 personnes et infligé des destructions considérables à Gaza", argumente Leïla Seurat, chercheuse associée au Centre d’études et de recherches internationales de Sciences-Po Paris.
"À en croire la presse israélienne, Israël a perdu, réplique Dominique Vidal, journaliste et historien spécialiste du conflit israélo-palestinien. Cette troisième guerre menée contre Gaza n’est pas parvenue à mettre à genoux la résistance palestinienne. Rompant plusieurs fois la trêve, le Hamas a obtenu un certain nombre de concessions importantes, et l’union nationale qu’il a scellée récemment avec le Fatah au pouvoir en Cisjordanie a tenu bon."
"Les armes de la résistance sont sacrées"
Dans l’État hébreu, Benyamin Netanyahou a déjà perdu la bataille de l’opinion. Selon un sondage publié par le Jerusalem Post, 54 % des Israéliens estiment avoir perdu la guerre et la cote de popularité du Premier ministre, qui était de 82 % lors de l’invasion terrestre de Gaza, a chuté à 32 % au lendemain du cessez-le-feu.
Si Netanyahou revendique l’élimination d’un millier de miliciens palestiniens, la destruction d’importants stocks de roquettes et de nombreux tunnels qui pouvaient permettre aux combattants palestiniens de pénétrer en Israël, la poursuite des tirs de missiles depuis Gaza jusqu’à la dernière heure étaie les critiques de ses alliés gouvernementaux mais rivaux politiques de l’extrême droite, qui dénoncent l’échec de l’objectif affiché : annihiler les capacités militaires du Hamas.
>> Lire aussi : Gaza : Égypte, Qatar, Iran, Turquie… un trafic d’influence meurtrier
En déclarant, le 28 août, que "les armes de la résistance sont sacrées" et qu’il était exclu que leur restitution fasse l’objet des négociations à venir, Khaled Mechaal, le chef du Hamas, a confirmé les vives réserves exprimées par les bellicistes israéliens, qui n’ont cessé de dénoncer la retenue de leur Premier ministre. Et pourtant, la violence déployée par Tsahal, les destructions matérielles et la proportion très élevée de victimes civiles – aux alentours de 70 % selon Dominique Vidal – coûtent cher à Israël.
"Son image s’est considérablement dégradée dans le monde entier. Il n’y avait jamais eu d’aussi importantes manifestations de solidarité en faveur des Palestiniens, au point qu’en France le président Hollande, qui avait d’abord affiché un soutien sans faille à Tel-Aviv, a dû revoir sa copie", souligne l’historien.
Cette guerre porte enfin un rude coup à l’économie israélienne. Le coût du conflit a été évalué à 2,5 milliards de dollars (1,9 milliard d’euros), sans compter les dizaines de millions de pertes causées par la ruine de la saison touristique et le succès grandissant, particulièrement en Europe, de la campagne internationale pour le boycott, les désinvestissements et les sanctions (BDS) contre Israël.
Cet échec relatif de l’État hébreu signifie-t-il pour autant que le Hamas a gagné ? Asphyxié économiquement par le blocus de son territoire, le mouvement islamiste était, avant l’opération Bordure protectrice, en chute libre dans l’opinion palestinienne, au point qu’il avait dû se résoudre à une réconciliation – désavantageuse pour lui – avec ses rivaux du Fatah.
Le Hamas, à genoux militairement
Sa résistance acharnée contre la très puissante armée israélienne a redoré son blason et, si les négociations ont été menées au Caire sous l’égide de l’Autorité palestinienne contrôlée par le Fatah, le rôle majeur du Hamas et du Jihad islamique a officialisé sur la scène internationale l’importance de ces formations qualifiées de terroristes du Caire à Washington, en passant par le Vieux Continent.
"Certes, le Hamas et ses alliés ont tenu cinquante jours, davantage que lors des précédentes opérations de Tsahal, qui a essuyé ses pertes les plus lourdes depuis la guerre contre le Liban en 2006, mais comment peut-on affirmer que les Palestiniens ont vaincu alors que le conflit a fait plus de deux mille morts, dix mille blessés et causé d’énormes dégâts ?" tranche Leïla Seurat.
Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, entre Benny Gantz, chef d’état-major (à g.),
et Moshe Yaalon, ministre de la Défense, à Jérusalem, le 27 août. © Nir Elias/Reuters
Présenté comme une grande victoire par le Hamas et perçu comme tel par une majorité de Palestiniens, le cessez-le-feu "permanent" décrété bilatéralement le 26 août n’a que très partiellement satisfait les revendications palestiniennes, dont les principales doivent être débattues dans plusieurs semaines en Égypte, pays peut-être aussi hostile qu’Israël aux islamistes du Hamas depuis qu’il est passé sous la coupe d’Abdel Fattah al-Sissi, le tombeur des Frères musulmans.
Le Hamas obtiendra-t-il gain de cause ? Rien ne permet de l’affirmer. En acceptant un cessez-le-feu dont les termes éludaient ses principales revendications, le mouvement palestinien n’a-t-il pas fait l’aveu qu’il était militairement à genoux ? Et si Israël clamait haut et fort son projet de détruire le Hamas, son dessein véritable n’était sans doute pas de supprimer un pouvoir certes hostile, mais dont l’absence aurait pu être comblée par des mouvements beaucoup plus radicaux.
Le principal d’entre eux, le Jihad islamique, est d’ailleurs parvenu à jouer un rôle de premier plan à ses côtés, tant durant les hostilités que lors des négociations du cessez-le-feu. "Le Jihad islamique a occupé une place jusque-là inédite pour lui. Paradoxalement, cette institutionnalisation pourrait l’amener à se modérer", constate Vidal.
De son côté, Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne, pourrait lui aussi se targuer d’avoir tiré bénéfice de la crise et de son dénouement : la délégation unitaire qui a négocié le cessez-le-feu était placée sous l’égide du Fatah, son parti, et le gouvernement d’union qu’il domine a tenu bon, même si sa coopération avec les autorités israéliennes lors de l’arrestation de centaines de membres du Hamas en Cisjordanie a durablement écorné sa popularité.
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