Procès des « biens mal acquis » : « Le premier crime reproché à Teodorín Obiang est d’être le fils de son père ! »

Le procès des biens-mal-acquis se poursuivait jeudi à la 32e chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Alors que le procureur a requis trois ans de prison et 30 millions d’euros d’amende contre Teodoro Nguema Obiang Mangue, la défense jouait ses dernières cartes avant le jugement, que le tribunal prononcera le 27 octobre. Récit.

Teodorín Obiang, le 30 septembre 2015 au siège des Nations Unies (image d’illustration). © Frank Franklin II/AP/SIPA

Teodorín Obiang, le 30 septembre 2015 au siège des Nations Unies (image d’illustration). © Frank Franklin II/AP/SIPA

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Publié le 6 juillet 2017 Lecture : 8 minutes.

Deux des 11 véhicules appartenant à Teodorín Obiang saisis par la justice suisse, dans la zone de fret de l’aéroport de Genève, jeudi 3 novembre 2016. © Laurent Gillieron/AP/SIPA
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Procès des biens mal acquis : un verdict historique

Teodoro Nguema Obiang Mangue, vice-président de Guinée équatoriale, a été condamné vendredi 27 octobre par la justice française à trois ans de prison et 30 millions d’amende avec sursis. Retrouvez tout ce qu’il faut savoir sur ce dossier historique.

Sommaire

Teodoro Nguema Obiang Mangue, dit Teodorín, ou en tout cas sa défense, a-t-il prié pour que la nuit lui porte conseil ? Ses avocats ont, en tout cas, dû rêver qu’elle leur porte chance. Alors que le procureur a requis mercredi 5 juillet trois ans de prison et trente millions d’euros d’amende, sans oublier la confiscation de ses biens saisis en France, la défense du vice-président équato-guinéen jouait jeudi 6 juillet sa dernière carte.

Objectif de Mes Marsigny, Tomo et Marembert : obtenir la relaxe de leur client, malmené pendant plusieurs heures la veille, lors des plaidoiries des parties civiles et du réquisitoire du procureur. Stratégie : convaincre le tribunal qu’il n’est pas compétent pour juger des crimes de détournement potentiellement commis en Guinée équatoriale et que, par voie de conséquence, il n’est pas en mesure de se prononcer sur les faits de blanchiment reprochés à « Teodorín ».

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Exercice ardu, tant les frasques du fils du président Teodoro Obang Nguema Mbasogo ont imprégné les débats pendant des semaines, laissant l’image, à tort ou à raison, d’un « petit Ubu roi de casino », selon l’expression de Me William Bourdon, avocat de Transparency International France, partie civile.

« Calomnies, insultes et injures »

« Nous savions que nous allions nous heurter à la bien-pensance, la morale, le contexte et qu’il serait difficile de faire entendre la voix de notre client au milieu de ce concert d’opprobres, de calomnies, d’insultes et d’injures », a débuté Me Emmanuel Marsigny. « Nous savions que le premier crime reproché serait un crime ADN : celui d’être le fils de son père ! Choisit-on sa naissance ? », a poursuivi l’avocat du vice-président équato-guinéen.

Un style de vie dispendieux est-il une raison pour lui refuser d’être défendu ?

« Qu’a-t-il bien pu faire pour mériter un tel concert d’insultes pendant tant d’années ? Un style de vie dispendieux est-il une raison pour lui refuser d’être défendu ? », a-t-il encore lancé. « Oui, c’est un procès historique, car c’est la première fois qu’un chef d’État (sic) en exercice est poursuivi par la justice d’un État étranger. Mais c’est aussi historique car jamais la défense n’a été insultée de la sorte, rappelant les heures des plus sombres des procès politiques. »

« M.Nguema aurait pendant quatorze ans blanchi des fonds frauduleux, au su et au vu de tous, sans qu’aucun corrupteur n’ait jamais été présenté ! Où sont-ils ? Quand il y a un corrompu, il y a un corrupteur ! », a-t-il ajouté, évoquant l’absence de preuves présentées par l’accusation. Et de poursuivre : « Où sont-ils, les banquiers, les vendeurs de Ferrari, Pierre Bergé, qui a vendu la collection Yves Saint-Laurent au prévenu ? »

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« Diktat de la morale »

« On vous a dit qu’il faudrait que vous soyez fiers de votre décision, qu’elle participerait à l’histoire des peuples. Et c’est en ce nom qu’on vous demande de tordre le cou au droit, au mépris de tout le droit international, et notamment à la jurisprudence concernant l’immunité d’un chef d’État (sic) en exercice ! », s’est-il exclamé, décrivant un « diktat de la morale » qui fait des avocats de la défense « des suppôts de la dictature ».

« C’est une sorte de compétence de juridiction universelle qui est donnée à la justice française. Mais comment juger, sur la base du droit français, des faits provenant de l’étranger par un prévenu étranger ? », a-t-il soulevé. « Dans son pays, on a le droit d’être ministre et de passer des contrats avec une entreprise dans le même domaine. Mais est-ce que cela intéresse quelqu’un, dans les médias ? Non, pas un filet ! », a-t-il critiqué, dans une tirade contre la presse française.

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Et de détailler point par point, justifiant chaque fois, les actions de la défense, pas suffisamment écoutées par le tribunal selon lui, à l’inverse d’un « contexte » qui a selon lui pollué les débats. « Je ne sais si votre tribunal parviendra à se départir de cette campagne de diabolisation », a-t-il ajouté évoquant les « manipulations », les « mensonges », les « procédés de voyou » et les « méthodes abjectes » de William Bourdon, sur lequel il s’est une nouvelle fois interrogé.

« Ce pays attise les convoitises, et énormément de gens voudraient prendre la place du chef ! », a-t-il plaidé. « Et vous voudriez que nous ne nous intéressions pas aux liens qu’il pourrait y avoir entre Ely Calil, le financeur d’un coup d’État en 2004, la société Tecnip, avec qui il a travaillé et qui avait des intérêts en Guinée équatoriale, et Me Bourdon ? »

« Ce n’est pas parce que votre tribunal ne comprend pas qu’il y a quelque chose de malin ! »

Et voilà que Me Marsigny tente d’enfoncer le clou, estimant, sur la base d’informations transmises au département d’État de la justice américain, que la fortune de Teodorín est parfaitement légale. « Il n’y a jamais eu de preuves. Les virements sont légaux car, en Afrique, il y a une confusion totale entre le patrimoine d’une société et celui de la personne qui la possède », a-t-il insisté.

On l’a vu dans la procédure menée contre Laurent Gbagbo, les articles de presse et les rapports d’ONG ne sont pas suffisants pour juger.

Et de justifier que les virements ont en partie été faits sur les comptes personnels du vice-président : « Si vous vous intéressez à l’Afrique, vous pouvez comprendre que, et ce n’est pas faire injure, la Guinée équatoriale est un pays neuf ! Oui, ce pays est perfectible, mais, après tout, en France, 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté et personne ne dit que c’est un système de corruption entretenu ! » Et l’avocat de reprendre : « Ce n’est pas parce que votre tribunal ne comprend pas qu’il y a quelque chose de malin ! ».

« Aucun mépris de la justice française de la part de M. Nguema »

Revenant sur chaque témoin appelé par les parties civiles, Me Marsigny a ensuite cherché à les décrédibiliser, tout autant que le fameux « contexte », qui guiderait la décision du tribunal. « On se contente d’un contexte, de ouï-dires, sans vérifier ! », a-t-il reproché, avant d’ajouter : « On l’a vu dans la procédure menée contre Laurent Gbagbo, les articles de presse et les rapports d’ONG ne sont pas suffisants pour juger. »

« M. Nguema n’a jamais prétendu avoir plus de droits qu’un autre. Il se défend et tente de vous expliquer des choses peut-être un peu complexes », a encore poursuivi l’avocat. Et de conclure : « Il est important que vous sachiez qu’il n’y a de sa part aucun mépris de la justice française, qu’il y a une confiance dans le fait que c’est le droit qui va guider votre jugement, et non les mensonges, les calomnies et le contexte ».

Plus d’une heure et trente minutes de plaidoirie, obligeant le tribunal à prononcer une suspension d’audience d’un quart d’heure, afin de respirer, dans un climat étouffant. Sergio Tomo et Thierry Marembert doivent encore s’exprimer et chacun, ici, redoute une audience interminable, la défense cherchant par tous les moyens à changer la donne.

« Qui donne à la Cored la légitimité de représenter le peuple ? »

« La France est un grand pays. Il y a eu des grands présidents. François Mitterrand avait son fils comme conseiller, comme Jacques Chirac a eu sa fille. Gardons-nous de juger la Guinée équatoriale », a débuté Sergio Tomo. « Il n’y a pas de preuves dans ce dossier », a-t-il poursuivi, avant de citer un proverbe : « Quand il y a trop de revenants, le rêve est gâté ! Et ici, le rêve est gâté par les revenants de la Cored. Qui lui donne la légitimité de représenter le peuple ? », s’est-il interrogé, égratignant à son tour la totalité des témoins des parties civiles, qui corrupteur, qui fils de candidat à la présidentielle…

Les parties civiles n’ont pas engagé de débat juridique sur le droit équato-guinéen car elles ne le connaissent tout simplement pas !

« L’Ohada nous dit que le cumul d’une activité commerciale et d’une fonction d’agent public est interdit mais la loi équato-guinéenne exclut de ce champ d’application les ministres. Par conséquent, on ne peut pas appliquer l’interdiction à M.Nguema », a-t-il expliqué. « J’invite la partie civile et le procureur à prouver en droit équato-guinéen qu’il y a incompatibilité entre les différentes activités de Teodoro Nguema Obiang Mangue ! ».

« De plus, la loi équato-guinéenne interdit à un fonctionnaire de diriger une entreprise commerciale. Mais il ne l’a jamais fait. Il a été associé ou actionnaire et il en avait parfaitement le droit ! Ne venez pas me dire que les fonds sont d’origine illégale alors que mon client a respecté les lois de son pays ! », a-t-il lancé. « Les parties civiles n’ont pas engagé de débat juridique sur le droit équato-guinéen car elles ne le connaissent tout simplement pas ! ».

« On nous a parlé du train de vie. Mais alors, le délit pénal, c’est une faute de goût ? »

« On a quasiment fait un procès politique à la Guinée équatoriale, avec des témoins politiques », a ensuite entamé Me Marembert. « Or, c’était nécessairement unilatéral puisque la Guinée équatoriale n’était pas présente ». « Comment vous détacher de ces éléments périphériques qui ont été apportés ? Il va falloir que vous vous en décentriez car juger, ce n’est pas préjuger ! ». « On nous a parlé du train de vie. Mais alors, le délit pénal, c’est une faute de goût ? », s’est-il interrogé ?

« On ne nous a pas prouvé que les revenus de mon client étaient illicites. On n’a que des présomptions », a-t-il ajouté. « Vous devez juger sur des preuves, pas sur des soupçons, pas sur de vagues témoignages, pas sur de larges allégations », a-t-il encore lancé. « Vous n’avez rien de tangible dans ce dossier ! On ne peut pas se contenter de témoignages qui disent « Tout le monde est corrompu en Guinée équatoriale » ». Et d’enfoncer le clou : « Vous ne pouvez juger sur la base d’une grosse bouillie, bordelaise ou pas ».

Me Marembert a ensuite enchaîné les démonstrations juridiques, jonglant entre le droit français, le droit équato-guinéen et les conventions internationales, se mettant à dessein à la place de la juge. Un seul objectif : démontrer que le tribunal ne pourra pas se contenter de la loi française pour juger Teodoro Obiang Nguema Mangue. « Allez au-delà de l’apparence de la morale ! » Aura-t-il fait mouche ? Réponse le 27 octobre à 10 heures du matin, date à laquelle les juges de la chambre correctionnelle ont annoncé qu’ils rendront leur décision. L’audience est levée.

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