Rwanda : mêlez-vous de ce qui vous regarde
«L’image que les médias vous proposent de l’Afrique est généralement celle d’un continent en crise, victime de catastrophes naturelles, de famines, de drames ou de coups d’État militaires… Eh bien, ce soir, c’est une tout autre image que [nous vous proposons] : celle d’un petit pays – le Rwanda – qui […] cherche à conquérir son indépendance économique et son autonomie, sans crise, sans drame. »
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Mehdi Ba
Journaliste, correspondant à Dakar, il couvre l’actualité sénégalaise et ouest-africaine, et plus ponctuellement le Rwanda et le Burundi.
Publié le 19 juillet 2017 Lecture : 3 minutes.
Rwanda : droit devant
Alors que la campagne pour la présidentielle du 4 août bat son plein, la victoire semble déjà acquise à Paul Kagame. Décryptage d’un mode de gouvernance et d’un modèle de société singuliers.
Avec une trentaine d’années de recul, ce lancement de la Télévision suisse romande (TSR) peut prêter à sourire – jaune. En cette année 1988, érigé en premier de la classe de « l’Afrique de l’espoir », le Rwanda de Juvénal Habyarimana cumule les satisfecit. Outre la Suisse, la Belgique, la France et la République fédérale d’Allemagne, notamment, ont avec lui une coopération idyllique. En Occident, le pays des Mille Collines a acquis un autre surnom, présumé flatteur, celui de « Suisse de l’Afrique ».
Et pourtant… Le Rwanda de 1988 est un volcan en sommeil. Le général Habyarimana, arrivé au pouvoir quinze ans plus tôt par un coup d’État militaire, a instauré un parti unique caricatural (chaque citoyen en est membre dès la naissance). Un système de discrimination digne de l’apartheid y est en vigueur sans que quiconque, hors du pays, ne s’en offusque. Des dizaines de milliers d’exilés tutsis attendent depuis trente ans de pouvoir retourner vivre sur leur terre, en vain. Et le régime s’est enfermé dans une dictature régionaliste et ethniste qui voit une petite nomenklatura se partager les prébendes au détriment de la population.
23 ans plus tard
Six ans et un génocide plus tard, l’espoir s’est envolé. Si les collines ont conservé leur luxuriance, le pays est à genoux. À Kigali, le leadership a changé de visage. Une rébellion armée essentiellement tutsie, le Front patriotique rwandais (FPR), a pris le pouvoir en même temps qu’elle mettait un terme au génocide. S’il n’est encore officiellement que vice-président et ministre de la Défense, un homme semble concentrer le pouvoir entre ses mains : Paul Kagame, 36 ans, ancien guérillero déraciné revenu au Rwanda en vainqueur. Très vite, le nom de cet homme austère se confond avec celui de ce pays de 5 millions d’habitants (12 millions aujourd’hui), au point qu’ils ne font plus qu’un. Vingt-trois ans plus tard, il en est toujours ainsi.
Le nom de Paul Kagame se confond avec celui du pays, au point qu’ils ne font plus qu’un
Pour les médias, les ONG et les bailleurs de fonds, la donne a changé. Dans la presse occidentale commencent à se déverser des tombereaux de critiques : les prisons sont trop pleines ; la justice est aux ordres ; une élite tutsie illégitime s’est substituée à l’ancienne nomenklatura hutue ; l’opposition et les médias sont muselés ; la RDC est pillée…
Cordon ombilical
Comment « la Suisse de l’Afrique » est-elle devenue, à en croire certains, un décalque africain de la Corée du Nord ? Peut-être en adoptant comme principale ligne de conduite, au risque de déplaire, un enseignement directement tiré du génocide : cette indifférence affichée à l’égard d’une communauté internationale qui, sans bouger le petit doigt, a regardé périr un million d’innocents. De cette épreuve, les Rwandais ont en effet retenu une leçon : qu’ils soient africains ou non, il convient aux États et aux peuples de tracer leur propre voie sans se laisser dicter leur conduite par quiconque.
Encensée par certains, vouée aux gémonies par d’autres, la voie tracée par le Rwanda peut se prévaloir de cette singularité : cet État confetti a coupé le cordon ombilical, renvoyant les adeptes du paternalisme postcolonial à sa nouvelle devise : « Mind your own business*. » Et, à l’heure où il acquiert sur le continent le statut d’un pays phare, il entend moins que jamais demander à l’Occident son imprimatur quant à savoir s’il est un bon ou un mauvais élève.
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